Mélenchon et la tentation théocratique

À la suite du meurtre affreux d’Aboubakar Cissé dans une mosquée, le chef de l’extrême gauche s’est livré à une surenchère islamo-gauchiste. Alors que le terme « islamophobie » était auparavant rejeté par la gauche laïque, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon le revendique désormais à tout bout de champ... L’article Mélenchon et la tentation théocratique est apparu en premier sur Causeur.

Mai 9, 2025 - 14:24
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Mélenchon et la tentation théocratique

À la suite du meurtre affreux d’Aboubakar Cissé dans une mosquée, le chef de l’extrême gauche s’est livré à une surenchère islamo-gauchiste. Alors que le terme « islamophobie » était auparavant rejeté par la gauche laïque, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon le revendique désormais à tout bout de champ.


Depuis plusieurs jours, le meurtre sauvage et absurde d’Aboubakar Cissé dans une mosquée de La Grand-Combe est utilisé sans vergogne pour attaquer « l’islamophobie », ce mot fourre-tout servant on le sait à stigmatiser quiconque critique la religion musulmane, ses valeurs et ses prescriptions, de Salman Rushdie à Mila en passant par Charlie Hebdo et Samuel Paty.

Islamo-gauchisme, 100% pur jus

C’est dans ce contexte d’instrumentalisation éhontée d’une émotion légitime, que Jean-Luc Mélenchon, le 29 avril sur BFMTV, a déclaré suite à une discussion au sujet du hijab : « Une amie m’a dit qu’elle ne s’abaissait devant aucun homme mais devant Dieu. Si vous voulez aller discuter les ordres de Dieu avec quelqu’un qui croit, vous y allez, moi j’ai décidé que ça servait à rien. »

Pour un peu, et toutes proportions gardées, on croirait entendre Voltaire : « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? » mais Mélenchon tire de son observation une conclusion radicalement contraire à celle du philosophe des Lumières.

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Là où Voltaire voulait « écraser l’infâme », le tribun de LFI appelle l’État à se soumettre devant un ordre soi-disant divin. Certes, entre porter un hijab et égorger quelqu’un, il y a un monde ! Mais que l’État accepte ne serait-ce que sur un point, fut-il en apparence anodin, que l’ordre d’un dieu serait indiscutable, que l’État considère ne serait-ce qu’une fois que « Dieu me l’a ordonné donc j’ai le droit » est un argument recevable, et c’est la reconnaissance de principe de la théocratie.

Plus encore. Les ordres du « dieu » de l’islam, ce n’est pas seulement le hijab, ce n’est pas seulement « un bout de tissu » (en réalité un étendard), c’est toute la charia. La suite logique de la prise de position de Mélenchon (dont on notera au passage qu’il entérine implicitement l’idée qu’Allah est Dieu) c’est le projet politique que la CEDH a condamné le 13 février 2003 dans l’arrêt « Refah partisi c. Turquie », en reconnaissant « l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie » :

« La Cour (la CEDH) partage l’analyse effectuée par la chambre (de la Cour constitutionnelle de Turquie) quant à l’incompatibilité de la charia avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention :

À l’instar de la Cour constitutionnelle, la Cour reconnaît que la charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques. (….) Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses. (….) Selon la Cour, un parti politique dont l’action semble viser l’instauration de la charia dans un État partie à la Convention peut difficilement passer pour une association conforme à l’idéal démocratique sous-jacent à l’ensemble de la Convention. »

Positions dangereuses

La puissance réelle ou supposée, fut-elle surnaturelle, ne légitime pas l’arbitraire. En France, seul le débat démocratique, en ce qu’il tend vers le bien commun et l’intérêt de la nation, et qu’il exprime la volonté du seul souverain, le peuple français, le demos, est source de légitimité.

Alors en effet, l’Etat n’a pas à « discuter les ordres de Dieu avec quelqu’un qui croit. » L’État n’a pas à discuter ces ordres, parce qu’il n’a pas besoin d’en discuter pour les balayer d’un revers de la main. L’État a pour rôle de n’accorder aucune valeur à la prétendue origine « divine » d’une prescription religieuse, et de la traiter comme il traiterait n’importe quelle conviction, proposition ou revendication militante. Ni plus, ni moins. Et dans le cas d’une idéologie comme la charia, incompatible avec les principes fondamentaux de la démocratie et contraire aux exigences morales les plus élémentaires, l’État a l’obligation de s’opposer à toute velléité d’en faire une norme reconnue, et devrait même idéalement en interdire l’apologie.

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Le sujet est d’autant plus grave que Jean-Luc Mélenchon n’est semble-t-il pas seul à tenir sur ce point des positions dangereuses – et pas uniquement parce que scrutin après scrutin il est systématiquement soutenu par la totalité du « Front républicain contre le RN. » Il y a quelques jours, le maire de Marseille, le socialiste Benoît Payan, clôturant une longue séance de débats municipaux, a déclaré qu’il « ferait condamner » les propos racistes et anti-musulmans, mais a surtout précisé : « là ce que vous venez de dire sur la charia, par exemple, c’est un délit. » On se gardera naturellement de tout jugement définitif sans savoir quels propos exacts étaient ainsi visés (dans la vidéo des débats, la charia ne semble pas avoir été évoquée avant ce moment, il s’agit donc sans doute de paroles hors micro). Notons tout de même que Benoît Payan n’a pas parlé de « ce que vous venez de dire sur nos concitoyens d’origine maghrébine » ni de « ce que vous venez de dire sur les musulmans », mais bien de « ce que vous venez de dire sur la charia. » Encore une fois, il serait bon de savoir à quoi exactement réagissait l’élu. Mais dans tous les cas, il est pour le moins gênant que le maire d’une des plus grandes villes de France puisse ainsi donner l’impression de s’opposer à la critique, fut-elle virulente, d’une idéologie dont même la CEDH a reconnu qu’elle est « incompatible avec les principes fondamentaux de la démocratie. »

« L’époque impose de rappeler que toute croyance, toute conviction, toute idéologie est critiquable. Alors rappelons-le. Nous pouvons critiquer n’importe quelle croyance, n’importe quelle conviction, n’importe quelle idéologie. Nous le pouvons, et même nous le devons. C’est vrai des théories scientifiques, c’est vrai des idées politiques, c’est vrai des religions, et la susceptibilité exacerbée de certains croyants d’hier et d’aujourd’hui ne rend pas leurs croyances intouchables, qu’il s’agisse de croyances scientifiques, politiques ou religieuses.

Rappelons également, pour faire bonne mesure, qu’aucun croyant ne saurait être réduit à telle ou telle de ses croyances. Que quelqu’un peut se considérer comme appartenant à une école de pensée, un parti politique ou une religion même sans adhérer à tous ses préceptes. Et que personne, fort heureusement, ne se résume à une telle appartenance. Condamner une croyance, ce n’est donc pas condamner les croyants. Cas extrême, la religion de l’ancien empire aztèque était une monstruosité, mais tous les Aztèques n’étaient pas des monstres. Pour autant, se souvenir que tous les Aztèques n’étaient pas des monstres ne doit pas empêcher de dire l’évidence : leur religion était une monstruosité. Parfois, encourager un croyant à apostasier est la plus belle marque de respect que l’on puisse avoir envers lui. Parfois, lorsque ce en quoi il croit n’est pas seulement faux, mais déshumanisant, le lui dire clairement et lui montrer qu’il vaut mieux qu’une telle idéologie, est la meilleure manière — peut-être même la seule — de reconnaître pleinement son humanité. » (Aurélien Marq, La possibilité de Dieu).

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