Majorque avec Sand et Chopin

En 1842 était publié un récit de voyage autobiographique de George Sand... L’article Majorque avec Sand et Chopin est apparu en premier sur Causeur.

Mai 16, 2025 - 02:24
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Majorque avec Sand et Chopin

Un hiver à Majorque, de George Sand (1804-1879), vient d’être réédité en Poche. Récit de voyage, journal, non pas intime mais personnel, c’est un magnifique texte littéraire qu’il nous est ainsi donné de pouvoir relire.


George Sand est partie, en hiver 1838, avec ses enfants et Chopin, pour Majorque, dans la Chartreuse de Valldemosa, située en pleine montagne. La traversée en bateau a été rude à cause des cochons bruyants et malodorants entreposés dans la soute. Mais enfin, tout le monde est arrivé à bon port. Le piano, le pianino, un Pleyel, « arraché aux mains des douaniers » arrivera plus tard. Le contact avec l’île est rude : les indigènes ne font pas bon accueil au couple. Lequel n’inspire rien qui vaille : un pianiste égrotant, peut-être contagieux, une femme artiste, à la vie libre. Ajoutez l’obstacle de la langue que Sand ne parle pas bien, la vie matérielle est loin d’être idyllique. Néanmoins les jours s’écoulent, riches d’imprévus, de beautés de toutes sortes, de créations. Sand fait tourner la maison, joue la garde-malade, se promène, écrit. Chopin compose ses Préludes. 

Illusions perdues

Le livre est intéressant, d’abord, par sa « philosophie ». Fille de la Révolution, amie de Gustave Roux, Sand aime « le peuple ». Mais sur cette entité mythique, elle projette une image d’elle-même et de la Révolution. Alors, forcément déçue par la réalité, en butte à l’animosité des habitants, Sand perd ses illusions. Adoptant souvent des préjugés qu’on qualifierait aujourd’hui de racistes, elle a tendance à ne voir dans Majorque que l’antichambre de l’Afrique. Au peuple majorquin, elle reproche sa superstition et son caractère arriéré. Ce qui n’empêche pas des considérations fort belles sur l’histoire (ancienne et riche) de l’île et la géographie, les rapports entre politique et l’économique. Elle-même n’est-elle pas fascinée par l’existence de ces moines dont elle imagine « le bruit des sandales et le murmure de la prière sous les voûtes des chapelles »? Elle s’intéresse, également, à la langue majorquine dont elle donne des indications précises. Preuve, s’il en est, qu’aucune pensée libre n’échappe à des contradictions. En tout cas, le caractère polémique du livre ne passera pas inaperçu aux yeux des contemporains.

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Mais le livre n’est pas idéologique. George Sand est toujours imaginative et concrète. Pour cette île plongée dans une situation économique déplorable, elle rêve de la libre entreprise et de la petite propriété privée. Pour cela, elle imagine, au chapitre IV, un dialogue sur l’Inquisition, entre deux personnages, l’un à la fleur de l’âge, l’autre usé par l’âge. Incarnation, encore : les habitants sont rendus comme des caricatures à la Daumier ou à la Goya. Incarnation, toujours, avec le jeu des registres littéraires quand le réalisme se mêle à l’humour et au fantastique.

Une aventure esthétique

Valdemosa : une ruine dans la montagne, le tout dans une île, la mer de toute part. Une solitude monastique mâtinée de Rousseau. Le climat est âpre, méditerranéen, traversé d’orages : le contraire du Berry. C’est donc à une aventure esthétique sans pareille que George est confrontée. Comment rendre, par des mots, la beauté de cette île ? La réponse est donnée par l’écrivain elle-même : par un ailleurs qu’est la peinture. Non pas en décrivant le paysage avec des mots dont « elle sent le néant » mais le tableau que ferait le paysage et l’impression que le paysage produit. Car l’art apprend à voir la nature au second degré. On retrouve le romantisme de Delacroix, auquel elle écrit, qui annonce Van Gogh. Sand cite aussi « le sévère » Corot, Huet, Dupré. Le style est sans pareil par les couleurs, la précision, la musicalité, la richesse extraordinaire des mots. Les pages sur les oliviers et les orages sont célèbres.

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Dans ce paysage tourmenté et dans cette solitude, Sand fait enfin l’expérience du silence propice à la création. Silence quand elle écrit seule, la nuit ; musique où elle baigne. Silence et musique : les deux sous-tendent le texte. Mais Chopin, direz-vous ? C’est le grand absent du texte. Si l’auteur emploie un je masculin pour écrire, ce n’est pas pour faire des confidences. Et Chopin ne tenait pas non plus à être nommé. C’est dans Histoire de ma vie, et dans la Correspondance de Sand que nous savons que Majorque fut pour Chopin une période intense de création dont les Préludes.

Baudelaire n’aimait pas George Sand. « La femme Sand », disait-il. Ironie des allergies personnelles. Qui, mieux que l’auteur des Maîtres sonneurs incarna, en effet, les richesses des « correspondances » entre littérature, peinture et musique ? Elle qui évoque, ici, les danses et les chants majorquins aux accents arabes et le bruit, parfois, dans la nuit, des castagnettes.

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Les Maîtres Sonneurs

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