Derrière l’élection de Léon XIV: l’ascension de l’Amérique catholique
C’est peu dire que les cardinaux américains ne partaient pas favoris quand s’est ouvert conclave ; avec le pontificat de François, le nouveau monde avait déjà donné et beaucoup de prélats voulaient en revenir aux valeurs sûres (l’Europe) quand d’autres espéraient en tester de nouvelles : pourquoi pas un Philippin ? Pourquoi pas un Africain... L’article Derrière l’élection de Léon XIV: l’ascension de l’Amérique catholique est apparu en premier sur Causeur.

En religion, aux États-Unis, il n’y a plus de demi-mesures : ou l’on y entre totalement, ou l’on en sort.
C’est peu dire que les cardinaux américains ne partaient pas favoris quand s’est ouvert conclave ; avec le pontificat de François, le nouveau monde avait déjà donné et beaucoup de prélats voulaient en revenir aux valeurs sûres (l’Europe) quand d’autres espéraient en tester de nouvelles : pourquoi pas un Philippin ? Pourquoi pas un Africain ?
Pour la curie, l’Amérique renvoyait aux divisions de l’Église qui ont émaillé le pontificat de François. Léon XIV alias Robert Francis Prevost a pourtant toute l’Amérique dans le sang : né à Chicago, ancien évêque péruvien, président de la commission pontificale pour l’Amérique latine, il porte un nom acadien de Français venu peupler le nouveau monde et trouve ses racines en Italie et en Normandie…
Il offre une belle synthèse d’Amérique à la fois française, latine et anglophone. La presse italienne ébruite déjà les secrets de polichinelle du conclave, indiscrétions de cardinaux trop bavards : les prélats américains se seraient rapidement unis sur le nom du cardinal Prevost empêchant rapidement le favori du conclave, le cardinal Parolin d’obtenir la majorité.
Raymond Burke, cardinal américain et figure du conservatisme aurait été à la manœuvre. Constatant l’impossibilité pour la frange traditionnaliste de la curie d’obtenir les deux tiers des voix, il a préféré construire une candidature de synthèse qui barre la route aux héritiers les plus visibles de François. Le conclave aura consacré l’influence de l’Église américaine et révélé son ascension dans un pays qui n’est pas sa fille ainée mais où l’Église catholique représente une force en pleine ascension – mais qui laisse aussi apparaître des divisions entre chapelles.
La petite maison dans la Curie
Dans la diversité confessionnelle yankee, les catholiques manifestent la plus forte dynamique. Ils représentent aujourd’hui la première confession aux États-Unis, devant les protestants (luthériens et calvinistes) et les évangélistes. L’Eglise américaine revient pourtant de loin. Les catholiques furent longtemps cantonnés aux marges de l’identité américaine alors que les premiers immigrants Anglo-puritains du XVIIe arrivaient sur les rivages du Massachussetts la Bible à la main, au cœur la haine du papisme et la volonté d’édifier sur le nouveau monde la Jérusalem du Nouveau Testament. Les catholiques ont été victimes de discrimination et même de pogroms… Souvent issus des vagues d’immigration européenne du XIXe (Irlandais, Italiens, Polonais), les catholiques se sont intégrés à la réussite américaine à la force du poignet. La dynamique démographique et l’immigration latino font grossir les effectifs des messalisants.
Dans le même temps, le catholicisme touche un autre public d’Américains moyens souvent issus de la souche protestante et sans aucun rapport avec l’Eglise. Les journaux américains s’étonnent de voir des rednecks arriver en pickups pour garer leurs gros cylindres sur le parking d’églises néo-gothiques au milieu des champs de maïs où les fidèles enlèvent les rangers pour revêtir les ornements liturgiques et dont les enfants portent cierges massifs et soutanes rouges de servants d’autel. La petite maison dans la curie ! Enquête du New York Times à Détroit daté de 2022 venu interroger les paroissiens d’une Église traditionaliste : Éric Augustin et ses huit enfants vivaient la messe dominicale comme un before avant le brunch familial du dimanche avant de connaitre un « big switch ». La famille fait désormais une heure de trajet tous les matins pour rejoindre l’office en latin dans la lointaine banlieue de Détroit et échange les matchs de foot du dimanche après-midi contre deux heures de liturgie ornementées, faste tridentin et musique grégorienne. Ces catholiques débonnaires sont rejoints par des anciens protestants ou agnostiques, parfois rescapés du vide californien, qui trouvent dans ce retour à l’esthétique des conciles romans de la Renaissance un supplément d’âme qui pouvait manquer à leur vie de col blanc.
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Cette montée en puissance n’est pas sans entrainer quelques tensions avec le Vatican, exacerbées par des mesures telles que la restriction de la messe traditionnelle dans certains diocèses majeurs comme Chicago et Washington ; des restrictions qui découlent de la lettre « Traditionis Custodes » en 2021 ; une décision du pape François qui revient sur la libéralisation de la messe en latin décidée par Benoit XVI et qui avait été interprété comme une attaque contre les catholiques traditionnalistes. Lors d’une conférence à Pittsburgh, des critiques de François ont formulé des « articles de résistance« , qualifiant les réformes de discrimination religieuse. Le pape avait beau jeu de se poser en défenseur de l’unité de l’Eglise alors que certaines paroisses étaient en situation de quasi-schisme, tiraillées entre une branche traditionnaliste et fervente et un vieux catholicisme déclinant. Là où le catholicisme traditionnaliste se développe, notamment grâce aux conversions, un certain catholicisme de convenance, occasionnel, s’efface. En religion, aux États-Unis, il n’y plus de demi-mesures : où l’on y entre totalement ou l’on en sort.
Une Église qui reste divisée entre positions épiscopales et aspirations MAGA
Ce revival (ou vival) spirituel catholique a déjà des traductions politiques. Pour les élections de 2024, il n’y aucune victoire de Trump possible sans le suffrage catholique. Il récolte 59 % de suffrages quand il était devancé par Joe Biden en 2020 sur ce segment. Mieux encore, Trump a pu compter sur 43% d’électeurs catholiques latinos pourtant historiquement et massivement acquis aux Démocrates. On revient de loin. Le GOP, naguère bastion bourgeois, protestant et WASP, se découvre un tropisme catholique apostolique et romain ! Cette évolution religieuse pourrait entrainer quelques inflexions idéologiques. J.D. Vance, fils d’appalachien de plus vieille souche protestante converti entre deux lectures de René Girard, a connu une gloire éditoriale (avec son bestseller Hillbilly Elegy paru en 2015[1]) en rappelant aux élites que le peuple existe – et qu’il souffre. Comme les nouveaux convertis traditionnalistes d’Amérique, Vance n’a rien du catho tiède : il affiche une foi râpeuse, charnelle, virile. Il brandit la bannière du Vatican comme l’étendard d’un retour à l’ordre, à la décence et à une idée organisée du bien commun. Jadis temple du capitalisme dur à cuire, le GOP version Vance voit désormais la pauvreté et la souffrance comme christique. Il y cherche des remèdes (souvent maladroits) comme la guerre tarifaire[2] alors que les électeurs des États industriels du Nord ont voté Trump dans l’espoir de voir les hauts fourneaux délocalisés revenir. L’électorat suit. Et l’Église dans tout cela ? Face à Trump, le pape François fronçait un peu les sourcils. Les derniers tweets du cardinal Prevost sont venus dénoncer les discours et prises de position de Vance sur les migrants. Dans ses premiers mots, il a tenu à rappeler qu’il avait comme religieux obéi à la règle de Saint Augustin, père de l’Église qui a tenu le premier à affirmer l’indépendance du pouvoir spirituel (l’Église) sur le pouvoir temporel (l’Empire). Ce choix pontifical marque une volonté d’indépendance spirituelle assez nette au pouvoir américain à l’heure où il séduit les catholiques ; un choix presque aussi politique que l’élection de Jean Paul II, cardinal polonais élu en pleine guerre froide alors que ses coreligionnaires étaient persécutés par le pouvoir communiste. Si l’Amérique catholique rentre à Rome par la grande porte, on y fera toujours de la politique dans l’ombre des sacristies.
[1] https://www.causeur.fr/j-d-vance-un-eric-zemmour-americain-233417
[2] https://www.causeur.fr/donald-trump-droit-de-douane-etats-unis-supremacisme-economique-309519
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