Lyrique: « Samson », de Rameau, ou le fantôme d’un opéra

Opéra de Jean-Philippe Rameau dont le livret coécrit avec Voltaire en 1733 a été censuré pour son mélange de sacré et de profane, Samson est longtemps resté inachevé; il a été recréé en 2024 par Raphaël Pichon et Claus Guth pour le Festival d’Aix-en-Provence, avant d’être repris à l’Opéra-Comique avec une distribution en partie renouvelée. Loin d’être une simple reconstitution historique, cette production propose une mise en scène audacieuse qui confère à l’œuvre une intéressante modernité... L’article Lyrique: « Samson », de Rameau, ou le fantôme d’un opéra est apparu en premier sur Causeur.

Mar 19, 2025 - 18:02
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Lyrique: « Samson », de Rameau, ou le fantôme d’un opéra

Opéra de Jean-Philippe Rameau dont le livret coécrit avec Voltaire en 1733 a été censuré pour son mélange de sacré et de profane, Samson est longtemps resté inachevé; il a été recréé en 2024 par Raphaël Pichon et Claus Guth pour le Festival d’Aix-en-Provence, avant d’être repris à l’Opéra-Comique avec une distribution en partie renouvelée. Loin d’être une simple reconstitution historique, cette production propose une mise en scène audacieuse qui confère à l’œuvre une intéressante modernité .


Jean-Philippe Rameau (1683-1764) n’a rien d’un génie précoce. Le compositeur dijonnais des merveilleuses Pièces et autres Suites de clavecin a déjà franchi la cinquantaine quand, savant théoricien, auteur émérite, par ailleurs, de plusieurs Traités de l’harmonie, il devient l’auteur incontournable de toute une série de chef d’œuvres lyriques, depuis Hyppolyte et Aricie (1733), Les Indes galantes (1735), jusqu’à Zoroastre (1740), en passant par Castor et Pollux (1737),  Les Fêtes d’Hébé ou  Dardanus (1739)… Avant que de suspendre mystérieusement, pour les quatre années suivantes, cette enfilade d’opéras. Plus tard encore, se seront toute une flopée de pastorales, opéras-ballets et autres tragédies lyriques, jusqu’à ces fameuses Boréales, chant du cygne ce celui qui est devenu le parangon du grand style français. Rameau s’éteint l’année même de cette ultime production ; il a 81 ans. 

C’est dans ce contexte qu’il faut situer Samson, au livret duquel est associé Voltaire dès 1733, objet de dissension, dès l’abord avec le compositeur, mais censuré bientôt, sur fond de cabale janséniste, pour le caractère corrosif de cette intrigue mariant profane et sacré, et qui prend ses largesses avec la vérité biblique. Résultat, Rameau refuse d’imprimer la partition, et se réserve d’en recycler des morceaux pour de futures pages lyriques – ce qu’il fera abondamment.  

Opéra – fantôme que ce Samson, donc, librement « recréé » pour le Festival d’Aix en Provence, en juillet dernier, par le maestro Raphaël Pichon à la tête de l’orchestre baroque Pygmalion (qui joue sur instruments d’époque), en duo avec un metteur en scène toujours très inspiré, Claus Guth. Coproduit avec l’Opéra-Comique, ce spectacle est repris à Paris, salle Favart, jusqu’au 23 mars, dans une distribution en partie modifiée. Fort heureusement, si la soprano roumaine Ana Maria Labin reprend ici pour le meilleur le rôle de Dalila que tenait Jacquelyn Stucker sur la scène de l’évêché aixois, si Julie Roset permute avec Camille Chopin l’emploi de « l’Ange » pour camper Timma à la place de Lea Desandre, si Achisch, le chef philistin, emprunte les traits de la basse Mirco Palazzi en remplacement de Nahuel Di Pierro, l’excellent ténor britannique Laurence Kilsby est, lui, reconduit dans l’inégalable incarnation du jeune Elon ;  mais surtout, et c’est l’essentiel, le baryton Jarret Ott, malabar à la blonde crinière, assume à nouveau le rôle-titre. Avec une éloquence, une intensité, une délicatesse prodigieuse, dans un phrasé tellement impeccable qu’on peine à le connaître pour américain ! Il faut l’entendre chanter, dans un vibrato presque murmuré, l’aria sublime du troisième acte : « soleil, cache à mes yeux tes feux étincelants./A mon peuple, livré aux plus cruels tourments, / offre seul dans la nuit l’éclat de ta lumière ».  Ou encore, à l’acte IV, dans la scène où Dalila, prostituée aux philistins, ne le séduit que pour lui arracher le secret de sa force invincible, avouer que « sans l’amour et sans les flammes/ Tous nos beaux jours sont perdus. / Les vrais plaisirs ne sont dus/ Qu’à l’ivresse de nos âmes ». Puis, sacrifiantaux ardeurs sournoises de l’hétaïre, se confier au sommeil qui lui sera fatal : « Cédons à ce charme invincible : mes yeux en se fermant, s’abandonnent à la beauté »…

La régie de Claus Guth ne fait pas l’économie d’ébats érotiques à la sauvagerie tout à fait animale mais dans lesquels, n’en déplaise aux vestales du woke, la Femme n’est point victime, mais vénale, allumeuse, violeuse, manipulatrice – quand bien même le remord la conduira au suicide – il y a une justice sur cette terre ! Et l’Homme tout au contraire, à ses dépens : candide, vulnérable, confiant – mais vengeur in fine dès lors que la repousse de ses cheveux ravive son pouvoir herculéen ! Partie de l’Ancien testament, le Livre des Justes ne fait pas dans la propagande féministe : le metteur en scène en dispose d’éclairantes citations qui, tout au long du spectacle, s’impriment en bandeau sur une poutre massive. Le décor expose l’intérieur d’une demeure aristocratique d’époque classique, avec lambris et escalier d’apparat à rampe de fer forgé, dans l’état de ruine où, prélude à l’opéra, une cohorte de techniciens du bâtiment, casqués et outillés, évaluent le programme de restauration à effectuer sur l’édifice patrimonial. Au dénouement, on les verra y pratiquer des mesures au laser.

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Métaphore, précisément, de l’entreprise de restauration d’une œuvre en quelque sorte spectrale, composite en tous cas, puisqu’elle combine quantité d’airs repris par Rameau dans des productions lyriques ultérieures, et coud habilement un livret qui, aux vers originaux de Voltaire, raccorde des éléments inventés, mais parfaitement homogènes au style du temps. Rien d’une reconstitution historique, en somme, même si la résurrection de ce Samson mort-né s’enracine dans le matériau prosodique de Rameau. Cet enchâssement anti-archéologique est donc porté par une scénographie aussi spectaculaire visuellement que stimulante dans ses intentions.

Sous les traits de la comédienne Andréa Ferréol, elle intègre la mère de l’élu de Dieu, laquelle revisite, sur le site même du Temple ravagé, la tragédie qui a vu son fils se tuer en se vengeant – attentat-suicide avant la lettre, à Gaza qui plus est s’il faut en croire la Bible ! Sans jamais tomber dans la facilité des actualisations factices ou tendancieuses, le « scénario » imaginé par Claus Guth avec l’aide d’Eddy Garaudel invente également le personnage d’Elon, l’ami traître à Samson, ainsi que la jeune Timna conquise par lui tel un trophée de guerre, ou encore l’Ange annonçant en prologue que « ce jeune enfant devra supporter bien des chaînes »… Le climax se noue après l’entracte, dans le martyre sanguinolent et christique du colosse aux yeux crevés.

Au pupitre, Raphaël Pichon fait sonner chœur et orchestre avec une amplitude sonore qui s’agrège de généreuses, tonnantes percussions, qui impriment à la partition une étonnante modernité.  

A noter incidemment qu’on retrouve Claus Guth dans quelques jours à l’Opéra-Bastille, pour sa mise en scène de Il Viaggio, Dante, du très moderne Pascal Dusapin, également une commande Opéra de Paris/ Festival d’Aix-en-Provence, coproduite avec Le Saarländisches Staattheater Sarbrücken et les Théâtres de la ville de Luxembourg.

Pour en revenir au sieur Rameau, l’Auditorium de Radio France proposait, ce mardi 18 mars, une autre « tragédie lyrique » majeure du compositeur, mais en concert, pour le coup: Dardanus, dans une version revisitée en profondeur par ses soins en 1744. Représentation unique, sous les auspices de l’orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie, avec le Chœur de chambre de Namur, à la baguette le chef (et violon solo) franco-italien Emmanuel Resche- Caserta, issu des Arts Florissants et assistant musical de William Christie, et une distribution de bonne tenue – le ténor belge Reinoud Van Mechelen dans le rôle-titre… Concert ultérieurement diffusé sur France Musique et francemusique.fr

Et pour en finir avec notre Samson né de ses cendres, ceux qui n’auront pas eu la chance d’assister salle Favart à sa résurrection, peuvent se reporter sur Arte Concert où, dans sa distribution aixoise, la captation de l’opéra demeure visionnable en accès libre, et ce pour de longs mois encore…  


Samson. Opéra de Jean-Philippe Rameau.  Avec Jarrett Ott (Samson), Ana Maria Labin ( Dalila), Julie Roset (Timna), Mirco Palazzi (Archisch) , Laurence Kilsby (Elon), Camille Chopin ( L’Ange). Direction : Raphaël Pichon. Mise en scène : Claus Guth. Chœur et orchestre : Pygmalion  Durée :2h40

Opéra-Comique, Paris. Les 19, 21 et 23 mars 2025


Dardanus, opéra de Jean-Philippe Rameau. Version de concert. Avec Emmanuelle de Negri, Marie Perbost, Reinoud Van Mechelen, Edwin Fardini, Stephan Macleod. Direction : Emmanuel Resche-Caserta. Chœur de chambre de Namur. Orchestre Les Ambassadeurs – La Grande écurie. Durée : 3h05. Concert du 18 mars 2025 à l’Auditorium de Radio France, diffusé le 5 avril à 20h sur France Musique, puis disponible à la réécoute sur francemusique.fr

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