Livre-vie

Et si penser, aujourd’hui, relevait déjà de l’exil? Dans L’Exil de la pensée, Jean-Yves Clément signe un livre à contre-courant, où l’aphorisme devient refuge et la sagesse un art discret. Un texte délicat, lucide, presque musical, à lire au bord de l’eau comme on écouterait une sonate... L’article Livre-vie est apparu en premier sur Causeur.

Avr 19, 2025 - 17:18
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Livre-vie

Et si penser, aujourd’hui, relevait déjà de l’exil? Dans L’Exil de la pensée, Jean-Yves Clément signe un livre à contre-courant, où l’aphorisme devient refuge et la sagesse un art discret. Un texte délicat, lucide, presque musical, à lire au bord de l’eau comme on écouterait une sonate


Est-ce la Semaine sainte qui se prête à la lecture du livre de Jean-Yves Clément, L’Exil de la pensée, ou tout simplement l’air du temps qui nous impose l’exil – intérieur – pour sauver notre pensée ? Un peu des deux, même si les propos de l’auteur sont a-religieux pour parler comme Georges Bataille. Jean-Yves Clément est éditeur et directeur artistique de festivals. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Le retour à Majorque (Le Passeur), « faux journal » qui retrace le voyage de Frédéric Chopin avec George Sand de Majorque à Nohant. Ouvrage subtil sur quelqu’un qui transpose sa vie dans son art. Cette vie qui, par ailleurs, « est un livre suffisant », pour reprendre la citation de Max Jacob, exhumée par Clément. Max Jacob, fantasque poète, génial inventeur, n’aurait du reste pas détesté ces écrits emprunts de sagesse et de tranquillité fertile.

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De quoi est constitué L’Exil de la pensée qui se déguste au bord de la rivière, sous un déjà vibrant soleil de printemps ? Il est formé de deux parties distinctes qui se répondent, sans jamais se croiser. La première alterne pensées, maximes et autres éclats de réflexion qui n’ont d’autre but que de nous permettre d’atteindre cette verticalité devenue suspecte aux yeux des esprits nivellateurs. Jean-Yves Clément nous invite à rejoindre l’idéal cher à Baudelaire. Exemple, la pensée – au sens pascalien du terme – 48 : « La vérité est chose légère, autrement nous ne nous sentirions pas aussi prêts à nous élever à chaque fois qu’elle semble s’éprendre de nous. » La pensée 23 me plait car elle renvoie au voluptueux Max Jacob : « La magie est le réel accompli. » Ces pensées deviennent variations au sens musical du terme. Comme le dit Verlaine à propos de la femme inconnue « que j’aime et qui m’aime. Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même. Ni tout à fait une autre (…) » Tout change et rien ne change. Pensées ductiles, insaisissables, sauvages ouvrant sur le territoire de l’amour. Loin des envolées romantiques, l’amour et la musique restent les remèdes aux scories du monde moderne. Pensée 142 : « La musique et l’amour nous égarent de la même façon, en nous ramenant brusquement à l’essentiel et à nos aspirations les plus secrètes. Ils nous révèlent entiers et libres, quand nous passons la majeure partie de notre temps à nous dissimuler nous-mêmes. » Au détour du mouvement de l’aphorisme, l’éclat tranchant de la vérité.

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La seconde partie propose une suite de variations dont le thème est l’écriture elle-même, toujours selon une approche musicale dans la forme, visant à représenter un ailleurs – l’exil – jamais fixe, dans un « ciel invisible. » Exil qui est en nous, l’auteur insiste, sans repli sur soi, ce qui serait l’empoisonnement assuré. « L’exil n’est pas un refuge, précise l’auteur, mais une situation mentale nouvelle favorisant la créativité dans des formes inédites ; elle induit un rapport au monde affranchi de ses anciens réflexes et de ses lois, qui ne sont un temps que les nôtres. » Clément, l’homme au nom prédestiné, convoque alors Nietzsche, Chopin, Mallarmé, Brahms que nous ne cessons d’aimer, Jankélévich qui parle de la « vérité insulaire » de l’aphorisme. Avec cette sagesse retrouvée, « un jour d’été idéal et suspendu », les vieilles idoles et leurs discours frelatés ne pourront plus nous atteindre, enfin. Nous nous émerveillerons à nouveau devant le cerisier en fleur et le bourdonnement de la ruche. Clément nous invite, avec une fausse nonchalance, à saisir la grâce – divine ou pas – qui partout s’offre à nos sens. Débusquez-là à votre tour, après avoir lu ce mode d’emploi lustral.


Jean-Yves Clément, L’Exil de la pensée, Le Condottiere, 90 pages.

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