Les Républicains : quand médias et intellectuels poussent au rapprochement avec l’extrême droite
La présidentielle de LR voit s’affronter deux candidats droitiers, illustrant la pénétration des idées de la droite radicale sous l’influence d’acteurs externes.

L’élection à la présidence des Républicains, dont le premier tour débute samedi 17 mai, voit s’opposer Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, deux représentants de l’aile la plus droitière du parti. Cette nouvelle donne s’explique par la lente pénétration des idées de la droite radicale chez LR, sous l’influence d’acteurs intellectuels et médiatiques qui cherchent à construire un espace idéologique partagé entre droite et extrême droite.
La radicalisation idéologique des Républicains (LR) est un phénomène bien décrit, mais dont les ressorts ont été assez peu expliqués. Loin de se réduire à une réponse apportée à la pression électorale du Rassemblement national – et de manière plus éphémère, de Reconquête ! – elle repose aussi sur l’influence d’intellectuels et d’éditorialistes diffusant un discours de droite radicale.
Anciennes et nouvelles influences de droite radicale
Déjà en 1974, le Club de l’horloge, composé de hauts fonctionnaires, ambitionnait de renflouer la droite en éléments doctrinaux après la victoire du centriste Valéry Giscard d’Estaing. Travaillant à la promotion d’idées anti-immigration et antimétissage dans les années 1970, puis libérales voire néolibérales dans les années 1980, les membres du Club ont œuvré à une union des droites. Le Club de l’horloge collabora d’ailleurs avec le Club 89 – boîte à idées officieuse du RPR chapeautée par Alain Juppé – pour la publication d’un rapport commun sur l’Europe sociale. Mais de facto, les amorces de coopération directe sont largement restées sans lendemain.
Les nouvelles entreprises de radicalisation idéologique à droite opèrent, elles, à travers des acteurs plus proches du grand public (journalistes, essayistes, etc.), comme Élisabeth Lévy, Éric Zemmour, Mathieu Bock-Côté ou Pascal Praud, n’ayant pas forcément été socialisés dans des milieux d’extrême droite. Ce discours de droite radicale repose sur un ensemble de dispositifs rhétoriques visant à favoriser la diffusion d’idées jugées initialement inacceptables dans l’opinion publique (racistes, sexistes, transphobes, etc.).
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On peut compter parmi ceux-ci l’euphémisation de certains termes ou idées polémiques afin de passer sous les radars de l’indignation la plus frontale. Il peut alors s’agir de miser sur la version plus acceptable – « libérale », ainsi que l’ont formulé Mondon et Winter – d’un même argumentaire. Si une idée comme « l’antiwokisme » peut même être défendue par des acteurs étrangers à la droite, alors il est plus difficile de soupçonner ceux qui la portent de convergence avec l’extrême droite.
Le « politiquement correct » et la « censure gauchiste » sont abondamment dénoncés et invoqués face à toute critique se revendiquant des principes de tolérance et d’égalité, ou de l’antifascisme. La façon dont les soutiens de Laurent Wauquiez ont défendu son idée d’envoyer les OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon l’illustre bien.
La confrontation des idées et des valeurs est souvent valorisée par rapport à un débat politique jugé trop technique ou pragmatique, en se prévalant d’un contact direct avec « le réel ». On peut à ce titre penser à un éditorial de Pascal Praud publié dans le JDD, le 2 février 2025, intitulé « Submersion, vous avez dit submersion », où il affirme à propos de l’immigration : « La gauche a perdu la bataille culturelle. Le réel a balayé son idéologie. »
Enfin, le discours de droite radicale s’appuie sur un récit prétendant expliquer les défaites de la droite et les succès de l’extrême droite à partir des attentes objectives des électeurs. À titre d’exemple, Éric Ciotti expliquait ainsi le score de Valérie Pécresse à l’élection présidentielle : « Ce projet de [Valérie Pécresse] n’a pas été assez audacieux. […] Nous ne sommes pas un parti centriste. Je crois que nous avons sans doute trop dérivé au cours de certaines années. »
Le développement d’un espace médiatique de droite radicale
Jusqu’en 2007, les tenants d’un discours de droite radicale disposaient de relativement peu d’espace médiatique pour s’exprimer librement. Quelques francs-tireurs, comme les éditorialistes Éric Zemmour ou Éric Brunet, disposaient d’une audience, mais restaient isolés dans les médias à grande diffusion. Les discours de droite radicale ou extrême étaient en effet cantonnés à des publications marginales où ne s’exprimaient que des personnalités d’extrême droite, comme Présent, Rivarol, ou le site Fdesouche, ainsi qu’à quelques rares endroits où pouvaient se côtoyer signatures et voix de droite et d’extrême droite comme le Figaro magazine ou Radio Courtoisie.
Depuis, le paysage médiatique a beaucoup évolué, et il existe désormais des médias diffusant des idées d’extrême droite où l’on peut pourtant retrouver occasionnellement des élus de droite : le magazine l’Incorrect, fondé par un proche de Marion Maréchal, le site Boulevard Voltaire fondé par les époux Ménard, ou la chaîne YouTube Livre Noir (devenue le magazine Frontières), créée par un ancien candidat à la présidence des Jeunes Républicains exclu pour avoir voulu s’allier avec le RN.
Les espaces d’expression rassemblant la droite et l’extrême droite sont bien plus nombreux, avec la réorientation de la ligne éditoriale de Valeurs actuelles et la création de sa chaîne YouTube VA+ destinée à un public jeune, la restructuration des groupes Vivendi et Lagardère (C8, Cnews, Europe 1, le Journal du dimanche, etc.) ainsi que de Sud Radio, la création du site Atlantico, du magazine Causeur, ainsi que du Figaro Vox, la rubrique opinions du Figaro.
Ces médias accueillent la parole de représentants des Républicains aux côtés d’autres personnalités politiques allant du centre (rarement) à l’extrême droite (souvent). Ils participent ainsi de la naturalisation d’un espace politique commun à l’extrême droite et à la droite de gouvernement. On peut citer en exemple le « grand débat des valeurs », organisé par Valeurs actuelles, le 22 mars 2022, où se sont succédé des interviews de Marlène Schiappa (centre), Valérie Pécresse et Éric Ciotti (droite), Éric Zemmour, Marion Maréchal et Jordan Bardella (extrême droite).
On peut parallèlement observer l’existence d’espaces de sociabilité plus directs. L’Institut de formation politique (IFP) permet, par exemple, de former de jeunes militants de toutes les sensibilités de la droite et de l’extrême droite qui, engagés dans les domaines politique, associatif et médiatique, se côtoient en un même lieu. Parmi les « auditeurs du mois » de l’IFP, on pouvait aussi bien retrouver les présidents des jeunes LR et Reconquête !, respectivement Guilhem Carayon et Stanislas Rigault, que Charlotte d’Ornellas (journaliste à Boulevard Voltaire puis à Valeurs actuelles et au JDD).
Les Républicains eux-mêmes ont accordé une place importante aux acteurs médiatiques et intellectuels de la droite radicale, en invitant – entres autres – Éric Zemmour, Mathieu Bock-Côté, Eugénie Bastié, François-Xavier Bellamy, Alexandre Devecchio à leurs évènements.
Une victoire idéologique au goût de défaite politique
Ce faisant, les professionnels des Républicains – y compris ceux qui ne sont pas particulièrement actifs dans l’espace de la droite radicale – ont contribué à un processus de démarginalisation de l’extrême droite et de ses idées.
Force est de constater que les idées de la droite radicale ont réussi à coloniser une partie du débat public en suscitant de nombreuses critiques, mais pas de levée de boucliers unanime. Valérie Pécresse a ainsi pu parler durant sa campagne présidentielle de « Français de papier », expression appréciée par Jean-Marie Le Pen, sans susciter de critique dans son camp.
En ce sens, la réussite de la droite radicale est triple : avoir diffusé dans le débat public des schémas d’interprétation d’extrême droite ; avoir « droitisé » les catégories politiques, dans le sens où l’extrême droite est moins fréquemment considérée comme telle dans le débat public et le centre souvent considéré comme de gauche ; et enfin avoir affaibli la propension de la droite à rejeter les idées et propositions relevant par exemple du racisme, à l’instar de la théorie du « grand remplacement ».
De ce point de vue, il est évident que certains acteurs travaillent ardemment à détacher une partie de la droite de gouvernement des logiques de « cordon sanitaire ». Les résistances sont réelles, car la sphère politique conserve sa logique propre : les organisations ont la nécessité de répondre aux attentes de l’électorat le plus large possible, qui ne sont pas toujours celles des militants les plus radicaux.
Les conséquences de ce processus ne sont pas forcément favorables à LR. En légitimant les idées de l’extrême droite et donc en contribuant à sa réussite électorale, tout en s’interdisant un retour à un discours plus modéré après avoir suscité des attentes de radicalité chez une partie de leurs supporters, les dirigeants des Républicains ont créé les conditions de leur propre effondrement électoral.
Émilien Houard-Vial ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.