Le Roi, les ors, et l’oubli
Au Mobilier national, une exposition évoque de façon spectaculaire les fastes du sacre de Charles X, le dernier des souverains français à avoir été couronné selon des rites issus des premiers âges de la monarchie... L’article Le Roi, les ors, et l’oubli est apparu en premier sur Causeur.

Au Mobilier national, une exposition évoque de façon spectaculaire les fastes du sacre de Charles X, le dernier des souverains français à avoir été couronné selon des rites issus des premiers âges de la monarchie
Dans un pays, la France, où des étudiants de vingt ans ou plus ne savent plus qui était Napoléon 1er, où, plus fort encore, ils n’ont jamais entendu son nom et où, dit-on, le tout venant pense que la monarchie s’est éteinte avec la Révolution… comment ne pas s’extasier devant des érudits assez passionnés pour ressusciter l’ultime sacre des rois et des empereurs français, lequel eut lieu à Reims, il y a deux cents ans, le 29 mai 1825 ?
Frivole, aimable et dépensier au temps de sa jeunesse, vibrionnant, comploteur, mais bien peu courageux aux temps de la Révolution et de l’Armée des Princes, devenu bigot et parfaitement sourd aux exigences de la majorité des Français lors de la Restauration, Charles Philippe de France, comte d’Artois, petit-fils de Louis XV, frère de Louis XVI et de Louis XVIII, monta sur le trône des lys en septembre 1824 sous le nom de Charles X. Il devint le dernier des rois de France, alors qu’il n’avait guère plus de capacités intellectuelles qu’un danseur mondain.
Imbu de sa naissance
Charles X est l’archétype de l’imbécile élégant, urbain, chevaleresque et portant beau, un genre aujourd’hui encore si florissant chez les Français et qu’il a incarné jusqu’à la perfection. Affable certes, plutôt bienveillant, mais imbu de sa naissance comme personne et pensant qu’être un Bourbon dispensait de toute autre qualité, il fut l’emblème rêvé pour cette fraction de l’aristocratie d’Ancien Régime qui n’avait pu, ni su évoluer en dépit des tragédies et des cataclysmes. « Sur les choses comme sur les personnes, ce sont des religions qu’il a au lieu d’opinions » soulignera l’un de ses contemporains.
S’il « n’avait rien appris, ni rien oublié », selon le mot qu’on prête à l’ex-prince de Bénévent, à cette canaille de Talleyrand qui exercera au sacre de Charles X la même fonction de Grand Chambellan qu’il remplissait au sacre de Napoléon 1er, on peut tout de même imaginer à sa décharge que le roi croyait sincèrement, dans sa vision paternaliste et simpliste de la monarchie, réconcilier par cette cérémonie deux France qui s’opposaient en toutes choses : « Pour renouer la chaîne des temps que de funestes écarts avaient interrompue ».
Ce n’est donc pas Charles X qu’honore Le Dernier Sacre, cette magnifique exposition du Mobilier national, anciennement Garde Meuble de la Couronne, mais bien un événement qui eut par sa magnificence et sa signification politique un retentissement exceptionnel dans le monde civilisé et qui, survenant après la Révolution et l’Empire, renvoyait la France à des siècles en arrière comme si rien ne s’était passé.
Mille talents
L’exposition est aussi une célébration des mille talents qui participèrent à l’événement : architectes comme Hittorff, décorateurs comme Ciceri, peintres comme Vernet, Isabey ou Gérard, compositeurs comme Cherubini et Lesueur pour les musiques de la cérémonie, ou comme Rossini qui reçut commande d’un opéra bouffe donné aux Italiens au retour de la Cour à Paris, écrivains comme Châteaubriand, le plus lucide, Lamartine, Nodier et Hugo, lequel se gardera bien, plus tard, de rappeler qu’il avait été royaliste…
Elle est encore un tribut versé aux brodeurs, passementiers, dentelières, couturières, tailleurs, plumassiers, tisserands, tapissiers, sculpteurs, ébénistes, menuisiers, charpentiers, tailleurs de pierre, carrossiers, selliers, orfèvres, doreurs, joailliers… à toute une aristocratie d’artisans et d’ouvriers qui d’une certaine façon valaient mieux que certains ducs et pairs et dont on découvre ici le savoir-faire inouï, l’excellence, la conscience, toutes choses qui ont tragiquement disparu aujourd’hui avec l’industrialisation alors balbutiante, et qui ressurgissent des abîmes de l’oubli grâce à une exposition qui paraît à juste titre miraculeuse.
Des trésors oubliés
Miraculeuse certes, car ce sont de savoureuses circonstances qui sont à l’origine d’une manifestation surgissant deux cents ans exactement après l’événement qu’elle célèbre : on redécouvrait, il y a deux ans, au plus profond des réserves pharaoniques du Mobilier national, des quantités phénoménales d’étoffes et d’ornements qui avaient servi à la pompe funèbre de Louis XVIII à Saint- Denis comme au sacre de Charles X à Reims. Des trésors oubliés, enfouis depuis deux siècles et parfaitement conservés dans leurs caisses, même s’il leur arriva parfois d’être réutilisés sous les règnes suivants, ceux de Louis Philippe 1eret de Napoléon III, mais dûment modifiés, défleurdelysés, afin de pouvoir orner les grandes cérémonies des autres dynasties.
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Des trésors, il y en avait beaucoup d’autres, stupidement dispersés sur tout le territoire du fait de décisions administratives souvent aussi arbitraires que stupides. Leur recherche minutieuse, pour ne pas dire héroïque, leur rassemblement, leur restauration, ont constitué une gageure pour les commissaires de l’exposition, Hélène Cavalié et Renaud Serrette, et pour leurs collaborateurs. Ces recherches ont permis des redécouvertes fabuleuses et donnent à voir quelque chose relevant de l’univers du rêve : le décor somptueux du sacre d’un souverain qui avait besoin de quelques savants magiciens pour réapparaître au grand jour. Et comme il faut obligatoirement, pour que débute un nouveau règne, que le précédent se soit achevé par la mort de son titulaire, Le Dernier Sacre s’ouvre théâtralement sur la pompe funèbre de Louis XVIII à Saint-Denis. Avec encens et musique !
Moins glorieusement pour les Bourbons de la branche ainée, elle se ferme sur la prestation de serment devant les Chambres de Louis-Philippe 1er, un Bourbon-Orléans devenu roi des Français.
Un travail gigantesque
En leur temps, les fêtes du couronnement de Charles X relevèrent, pour quelques mois, d’une organisation hallucinante. La restauration d’une cathédrale et d’un palais archiépiscopal ravagés par le temps et par les barbaries de la Révolution ; la reconstitution des ornements royaux détruits par haine de l’absolutisme et de la religion ; les nécessités de l’intendance ; le voyage et le logement du roi, des princes et d’une multitude de dignitaires, de courtisans, de militaires, d’artistes, d’artisans, de serviteurs ; la compilation de documents anciens alors que le dernier sacre royal remontait à Louis XVI : tout cela suscita un travail gigantesque. Enfin, après les milliers d’ouvriers destinés à ces travaux, d’autres milliers de personnes, tout Paris, mais aussi les provinces du royaume, se déverseront dans la petite ville de Reims le temps de trois journées.
Quel carrosse pour le dauphin ?
Pour célébrer le sacre de Charles X, on se réfère donc en priorité à celui de Louis XVI, en évitant soigneusement toute analogie fâcheuse pouvant faire songer au sacre de l’Autre, de l’Usurpateur, quelque vingt ans plus tôt, à Notre Dame de Paris.
Au sein de cette entreprise titanesque qu’est la préparation du sacre, dans un monde où l’on préférerait perdre la vie plutôt que de manquer aux règles sacrées de l’Etiquette, mille interrogations, mille doutes vont torturer les membres de la Maison du Roi, les princes, les ducs, les cardinaux, les archevêques. Comment par exemple doit être configuré le carrosse du nouveau dauphin jusque là duc d’Angoulême ? Le problème est de taille. Il devient même insurmontable, car on ne retrouve nulle trace d’un tel véhicule dans les documents anciens. Et pour cause : pour relever la présence d’un dauphin au sacre du roi son père, il faudra remonter à celui de Jean II… en 1350. Ce dauphin est le futur Charles V. Et en ce temps là, les carrosses n’existaient pas.
Pour loger les princes avec magnificence, mais sans trop se ruiner, on empruntera, selon l’usage, bien des pièces du mobilier à diverses résidences de la Couronne, le Trianon, le château de Fontainebleau, le palais de l’Elysée-Bourbon et même celui des Tuileries. On alla jusqu’à placer dans l’appartement du roi de France une pendule dorée ayant servi à l’appartement du roi de Rome. Ainsi que l’écritoire de vermeil ayant servi lors de l’abdication de l’empereur onze ans auparavant.
Mais il fallut en revanche créer 36 lustres monumentaux en bronze doré et en cristal pour éclairer la cathédrale (il en subsiste 30 aujourd’hui), sans compter 36 luminaires fixés aux parois et 12 girandoles tout aussi somptueuses. 26 autres lustres, magnifique eux aussi, seront conçus pour la salle du festin royal. On commanda 3600 mètres de velours à fleurs de lys et 900 de taffetas pour tapisser la cathédrale et les résidences des princes, tout en puisant dans les réserves d’étoffes datant de l’Empire. La manufacture de Sèvres, à qui on demanda 52 vases décoratifs en porcelaine, avait dû produire en outre près de 5500 pièces supplémentaires pour renforcer les services de table royaux. Il fallut de même faire fabriquer 6120 verres neufs afin d’accroître le nombre de ceux nécessaires pour le service de milliers de convives régalés aux frais de la Couronne.
Les ravages de la Révolution
Parmi les assistants essentiels au bon déroulement des cérémonies, outre un quarteron de princes étrangers invités, il ne subsistait plus guère que trois princes du sang : le duc d’Angoulême devenu dauphin de Viennois, le duc d’Orléans et le duc de Bourbon. Chez les princesses, reléguées au rôle de figurantes comme toutes les femmes présentes, on ne comptait plus que la dauphine Marie-Thérèse de France, fille de Louis XVI, Marie-Caroline des Deux-Siciles, duchesse de Berry et sa tante Marie-Amélie des Deux-Siciles, duchesse d’Orléans, ainsi que Marie-Adélaïde d’Orléans, sa belle-sœur, dite alors Mademoiselle d’Orléans. Les ravages de la Révolution étaient passés par là qui avaient fait une dizaine de victimes dans la famille. Quant à la nouvelle génération, le duc de Bordeaux et Mademoiselle, petits-enfants du roi, ainsi que la jolie ribambelle des princes d’Orléans, ils n’étaient pas présents, par mesure d’économie, car il aurait fallu adjoindre pour le moins cinquante à cent personnes à leur suite.
Des décors multicolores
Sur les plans de l’architecte Hittorff (qui aménagera plus tard l’actuelle place de la Concorde, les Champs-Elysées ou la place de l’Arc de Triomphe, puis édifiera la gare du Nord), ce sont les décorateurs les plus célèbres de l’Opéra comme Ciceri qui vont métamorphoser l’immense cathédrale de Reims qu’Hittorff a voulu multicolore à l’image des temples de l’Antiquité et du Moyen Age.
« L’intérieur, tel qu’on l’a fait, est beaucoup moins beau qu’il n’était dans sa nudité séculaire, commentera Victor Hugo. Les ornements sont gothiques comme la cathédrale, excepté le trône qui est d’ordre corinthien (chose absurde), et d’assez bon goût… Telle qu’elle est, cette décoration annonce encore le progrès des idées romantiques, ajoute le futur auteurd’Hernani et de Notre Dame de Paris. Il y a six mois, on eût fait un temple grec de la vieille église des Francs ».
Aux organisateurs de l’exposition, il aura fallu explorer toute la France (cathédrales, musées, palais, ministères…) pour retrouver vêtements, joyaux, ornements sacrés, mobilier, étoffes, objets précieux, malheureusement dispersés dans de multiples collections publiques ou privées et demeurés parfois entre les mains des membres actuels de la famille royale. Et constater amèrement que bien des choses parmi les plus somptueuses avaient disparu, à l’image de l’épée aux 1576 diamants de Charles X volée en 1976, ou la plupart des lustres du palais du Tau.
Avaient été distribuées aux quatre vents les ornements du jubé en velours violet fleurdelysé d’or où était disposé l’un des trônes, tout comme les éléments de la tenue d’apparat du nouveau dauphin, dalmatique, ceinture et escarpins de drap d’or, idiotement partagés en diverses institutions qui seraient bien inspirées aujourd’hui de les réunir définitivement à Reims.
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La splendeur de pièces exposées au Mobilier national et dont la valeur est décuplée quand elles reprennent place dans leur contexte original, devrait impérativement inciter les pouvoirs publics à les faire figurer définitivement dans une exposition permanente au palais du Tau, à Reims.
Les compositions éblouissantes de Philippe Le Pareux, réalisant sur logiciel une stupéfiante reconstitution des décors et du mobilier du sacre d’après les documents anciens, les objets subsistants et une intense collaboration avec les conservateurs, ne peuvent qu’inciter à une telle démarche de pérennisation. Ses travaux restituent de façon fascinante les merveilles d’alors, le luxe inouï des cérémonies et rendent ridicules les évocations misérables des sacres de Reims telles qu’elles languissent au palais du Tau.
A cela s’ajoute un formidable catalogue édité par le Mobilier national et les Editions Monelle Hayot. Formidable assurément par son poids, mais surtout par la qualité des multiples textes publiés et par une iconographie somptueuse. Une publication pensée pour les siècles à venir. Et qui permet de se plonger corps et âme dans les fastes et les rites d’un monde plus habile à briller qu’à perdurer.

Le Dernier Sacre.
Exposition présentée jusqu’au 20 juillet, du mardi au dimanche de 11h à 18h. Entrée : 7 ou 8 euros.
Mobilier national, 42, avenue des Gobelins, Paris XIIIe.
01 44 08 53 49
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