L’Arcom, « autorité indépendante », mais de qui ?

L'instance censée « garantir une information pluraliste et indépendante » qui a décidé la fin de C8 (confirmée par le Conseil d'État) constitue un petit monde endogamique nourri de mantras progressistes. Ses salariés et dirigeants viennent du Conseil d'État, des médias publics et privés, des cabinets ministériels de gauche ou encore du CNC, bénéficiaire des amendes infligées aux chaînes. Enquête sur le gendarme de la liberté d'expression... L’article L’Arcom, « autorité indépendante », mais de qui ? est apparu en premier sur Causeur.

Mar 6, 2025 - 13:11
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L’Arcom, « autorité indépendante », mais de qui ?

L’instance censée « garantir une information pluraliste et indépendante » qui a décidé la fin de C8 (confirmée par le Conseil d’État) constitue un petit monde endogamique nourri de mantras progressistes. Ses salariés et dirigeants viennent du Conseil d’État, des médias publics et privés, des cabinets ministériels de gauche ou encore du CNC, bénéficiaire des amendes infligées aux chaînes. Enquête sur le gendarme de la liberté d’expression.


En dépit d’un impact médiatique important, la nouvelle de l’éviction de la chaîne C8 du paysage de la TNT n’a bizarrement pas fait l’objet d’un examen assez poussé pour approfondir la thèse – pourtant avancée par nombre de commentateurs – d’une partialité de l’Arcom, toujours présentée comme une « autorité publique indépendante ». Or, à lui seul, l’examen de son équipe dirigeante révèle déjà des éléments bien plus nombreux que ceux qu’on connaît, amenant à douter sérieusement de l’indépendance de cette autorité.

Des instances dirigeantes impartiales ?

La presse a déjà évoqué le cas du directeur général de l’Arcom, Alban de Nervaux, nommé en juillet 2024 par le président Macron, qui est par ailleurs époux de Laurence de Nervaux, directrice exécutif du « think tank » Destin commun, financé notamment par l’Open Society Foundations du financier George Soros et lié au groupe activiste écologiste Greenpeace. On connaît aussi le pedigree de Laurence Pécaut-Rivolier, nommée au collège de l’Arcom en 2021, qui fut naguère candidate PS-EELV aux élections municipales à Gentilly.

Mais il y en a bien d’autres ! Ainsi, Sara Cheyrouze, directrice adjointe de la communication de l’Arcom, responsable du pôle relations médias et influence, n’est autre que l’ancienne attachée de presse du Parti socialiste (de mai 2012 à janvier 2015), devenue par la suite conseillère presse au cabinet du Premier ministre (de décembre 2016 à mai 2017).

De même, Clara-Lou Lagarde, cheffe du département supervision et coordination nationale de la direction des plateformes en ligne de l’Arcom, se trouve être par le plus grand des hasards l’ex-collaboratrice parlementaire d’Angèle Préville, sénatrice socialiste du Lot de 2017 à 2023, mais aussi d’Alain Richard, ancien sénateur socialiste du Val-d’Oise.

On peut également citer Pascal Gueugue, de l’Arcom Caen, lié à travers la Fédération des musiques métalliques au député insoumis (et du Parti ouvrier indépendant !) Jérôme Legavre1

Membre de l’Observatoire de la haine en ligne et du groupe d’expert sur la désinformation de l’Arcom, Iris Boyer est quant à elle l’ancienne assistante parlementaire du socialiste Vincent Peillon et par ailleurs responsable de l’observatoire du Forum sur l’information et la démocratie2, lié à Reporters sans frontières… Précisément l’organisation dont la plainte a conduit à l’éviction de C8 de la TNT !

C’est bien simple : si l’on fait le bilan des 18 principaux responsables de l’Arcom (l’équipe de direction, le collège décisionnaire et son secrétariat), on constate que la moitié d’entre eux sont clairement marqués à gauche, que deux sont macronistes, et qu’une seule est peut-être encore de droite.

Outre qu’il est en soi problématique de trouver des individus politiquement marqués dans une instance supposée neutre politiquement, puisqu’elle doit « garantir une information honnête, pluraliste et indépendante » (aux termes de la loi Léotard du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication), l’écrasante domination de la gauche rend parfaitement illusoire cet exercice.

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Mais ce n’est pas tout ! Si l’on poursuit l’exercice consistant à analyser la neutralité de l’ensemble des équipes de l’Arcom (370 personnes) qui instruisent les dossiers, on tombe sur des anomalies très parlantes.

Un biais idéologique structurel ?

D’abord, si une partie des personnels vient du monde de l’audiovisuel (ce qui, après tout, peut sembler un gage de professionnalisme), on y retrouve les mêmes biais idéologiques : une très forte surreprésentation des personnels issus de l’audiovisuel public (fortement marqué à gauche, faut-il le rappeler ?) qui n’est pas sans poser question également en matière de libre concurrence, quelques autres venant de TF1, M6, BFMTV… En revanche, pas l’ombre d’un salarié venu de la galaxie Bolloré !

Si on pousse la curiosité jusqu’à regarder dans quelles directions et départements se trouvent employés ces anciens concurrents et adversaires du groupe Bolloré, on a une autre surprise. Là encore – et bien sûr par le plus grand des hasards, n’en doutons pas ! –, ils se trouvent concentrés dans les directions qui ont joué un rôle stratégique dans l’instruction des dossiers contre le groupe Bolloré : la direction des publics, du pluralisme et de la cohésion sociale (36 % des personnels, contre 8 à 15 % dans d’autres directions moins sensibles), mais aussi la direction des plateformes en ligne (28 %)… Et bien sûr la direction de la communication, dont l’intégralité de l’équipe dirigeante et la moitié du personnel viennent de concurrents du groupe Bolloré.

Encore faut-il souligner qu’à ce stade, et à de rares exceptions près, les recherches n’ont porté que sur les anciennes fonctions occupées par ces personnes. Des recherches plus complètes sur des employés de l’Arcom n’étant pas passés par des concurrents du groupe Bolloré révèlent une large proportion des affiliations et sympathies politiques marquées à gauche3.

Quand l’Arcom recycle des anciens du Conseil d’État

Plus haute juridiction administrative du pays, le Conseil d’État joue le rôle de juridiction d’appel de l’Arcom et confirme ou non les sanctions qu’elle inflige. Se pourrait-il qu’il soit à la fois juge et partie ? Nombre des cadres de l’Arcom en sont issus, comme Alban de Nervaux (son directeur général), Denis Rapone (membre de son collège), Céline Paulmier (ex-assistante de justice au Conseil d’État), Samuel Galodé (chargé de communication web au Conseil d’État), Célia Deck-Catalan Cabildo (ex-assistante de justice de la cour administrative d’appel de Paris), Alexandre Médard (ex-assistant de justice du tribunal administratif de Versailles).

La commision de la culture du Sénat auditionne Martin Adjari, candidat proposé par l’Élysée pour la présidence de l’Arcom, 17 décembre 2024. Sa nomination est validée par les parlementaires, et il prend officiellement ses fonctions le 2 février 2025 © Public Sénat (capture d’écran)

De plus, le Conseil d’État interprète de façon très extensive les missions de contrôle de l’Arcom de « la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités »… Une exigence pour le moins problématique, pour les raisons déjà évoquées de partialité de l’Arcom.

La deuxième carrière des personnels du CNC au sein de l’Arcom

D’un conflit d’intérêts l’autre ? Une deuxième relation quelque peu incestueuse unit l’Arcom au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), bénéficiaire des amendes que distribue l’Arcom, mais également très présent au sein de cette dernière à travers de nombreux profils d’anciens personnels du CNC tels Yves Damé, Fabien Mignet, Aurélie Cardin, Danielle Sartori, Mélanie Bidet-Emeriau, Ambre Argiolas, Margot Kessler, Guillaume Blanchot ou Linda A. Les deux organismes entretiennent d’étroites coopérations sur de nombreux sujets, allant de la lutte contre le piratage à des études (sur le tissu industriel de la production audiovisuelle, les services de médias audiovisuels à la demande, les enjeux environnementaux de l’écoproduction…).

Cette forte proximité qui ne peut que jeter le doute sur la légitimité d’amendes qui finissent par ressembler à un financement forcé d’une instance par ailleurs connue pour ses fortes sympathies à gauche : en douze ans, jusqu’à novembre 2024, l’Arcom a pris 52 sanctions contre les seules chaînes C8 et CNews, dont 16 pendant la seule année 2024. Pour un montant de 8,17 millions d’euros depuis 2017. Et ce, alors que la Cour des comptes a épinglé en septembre 2023 le CNC, appelant à « une réforme approfondie des aides » au cinéma, qu’elle estime trop nombreuses, et réclamant aussi « un minimum de contrôle politique » de la part des ministères de la Culture et des Finances.

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Enfin, et pour ne pas se méprendre sur les conclusions à tirer de cet inventaire des manquements aux règles les plus élémentaires de la neutralité, du pluralisme, de la libre concurrence et même de la simple loyauté, il faut être conscient que le problème n’est pas conjoncturel, mais systémique (pour reprendre un terme à la mode chez les policiers de la pensée). Les tares de l’Arcom étaient déjà celles de ses prédécesseurs, depuis la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (HACA) créée par Mitterrand, remplacée en 1986 par la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), puis en 1988 par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Dans un splendide jeu de trompe-l’œil, ces instances n’ont jamais été « indépendantes », sinon des procédures démocratiques de contrôle des administrations prévues par nos institutions. En revanche, jamais du pouvoir.

Dans cette logique, la fréquence perdue par C8 a été attribuée à Denis Olivennes, qui dirige CMI France, groupe de médias appartenant au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Un homme que Le Monde a surnommé naguère le « fils chéri de la gauche bobo », ce qui ne change rien à ses qualités personnelles. Passé par la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), devenu énarque en 1988, grand ami de Laurent Fabius, Olivennes a dirigé Canal+ au début des années 2000 (à l’époque où la chaîne, que Bolloré n’a reprise qu’en 2015, était encore dirigée par Pierre Lescure, dans l’esprit de son fondateur André Rousselet, le très proche ami de François Mitterrand). En 2008, il était nommé directeur général délégué du Nouvel Observateur, avant de rejoindre le groupe Lagardère, où il était notamment chargé du JDD et d’Europe 1 (tous deux rachetés plus tard également par Vincent Bolloré). C’est déjà Olivennes qui, en 2023, après la reprise avec Kretinsky du groupe Editis (deuxième plus grand éditeur français derrière Hachette, avec 55 maisons d’édition, dont Robert Laffont, Bordas, Nathan, Perrin, Plon, Pocket, Belfond, Julliard et La Découverte), s’était empressé d’y faire le ménage pour en écarter les proches de Bolloré4. Cette fois-ci, l’Arcom a fait le travail pour lui.

Note méthodologique

Cette enquête repose exclusivement sur des données publiques, et pour l’essentiel sur celles publiées sur le site de l’Arcom, ainsi que les fiches LinkedIn des 298 personnels de l’Arcom identifiés (soit 80 % des 370 employés que déclare l’Arcom). Ces fiches LinkedIn ont été exploitées pour en tirer des informations sur les fonctions passées de ces personnels (en particulier chez des concurrents publics et privés du groupe Bolloré, mais aussi dans des institutions publiques), leurs autres affiliations simultanées… En revanche, si quelques recherches ont également été effectuées ponctuellement sur Facebook pour identifier et préciser des affiliations, elles ont porté sur moins d’une vingtaine de personnes.

Contactée, l’Arcom a annoncé des réponses qui ne sont jamais arrivées.


  1. Voir les posts LinkedIn de Pascal Gueugue et Matthew Marion sur la question écrite soumise au ministère de la Culture à
    l’Assemblée nationale le 23 avril 2024 sur la place de la musique métal dans les musiques actuelles. ↩
  2. Voir la page LinkedIn dudit Forum. ↩
  3. On peut citer les exemple de Raphaël Bengio, Agnès Baraton, Rachida Hamchaoui, Axel Devaux, Colum Hamon. ↩
  4. « Editis : Kretinsky et Olivennes écartent les proches de Bolloré », 28 novembre 2023, linforme.com. ↩

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