La race des seigneurs
Dans une biographie romancée dont elle a le secret, l’écrivain Stéphanie des Horts dessine le portrait de Gianni Agnelli (1921-2003), le patron de la FIAT et l’homme le plus charismatique d’Italie. Un monde rapide, désinvolte, décadent et flamboyant qui continue de nourrir l’imaginaire des esthètes renaît sous la plume de cette styliste des « Beautiful People »… L’article La race des seigneurs est apparu en premier sur Causeur.

Dans une biographie romancée dont elle a le secret, l’écrivain Stéphanie des Horts dessine le portrait de Gianni Agnelli (1921-2003), le patron de la FIAT et l’homme le plus charismatique d’Italie. Un monde rapide, désinvolte, décadent et flamboyant qui continue de nourrir l’imaginaire des esthètes renaît sous la plume de cette styliste des « Beautiful People »…

Il faut du culot et du talent pour oser écrire sur ce capitaine d’industrie au profil d’empereur romain qui a fasciné le monde occidental par son charme carnassier. Un peu d’inconscience aussi. Le personnage est trop puissant, trop éclatant, trop démiurge, trop inflammable pour s’approcher d’une vérité quelconque. Dans une société de la fausse transparence et du déni de pouvoir, totalement étriquée et revancharde, Gianni cumule tous les dons et toutes les exubérances. Il ne répond pas aux codes frelatés de notre époque procédurière et pétocharde. Il ne s’excuse pas d’être né riche et beau, brillant et fissuré, couvé et adulé par un peuple en recherche d’un modèle. Il est exclusif, souverain, populaire, bambocheur, assoiffé de conquêtes et hors des lignes. Il n’écoute que son plaisir. Il a tout d’un contre-modèle, on le surnomme l’Avvocato alors qu’il n’a même pas le certificat, juste une licence de droit. Mais Gianni n’a pas besoin de diplômes et d’autorisations, il peut tout se permettre car l’Italie s’est offerte à lui comme la Juventus de Turin par une nuit d’été. « Je m’amuserai tout le temps, je ne travaillerai jamais » dit-il à dix ans à sa gouvernante américaine Miss Parker. C’est injuste et cruel pour les autres, les aristocrates « pur-sang » et les politiciens affairistes, les bons élèves et les besogneux, l’attraction ne se commande pas. Ce petit-fils de « garagiste », devenu premier employeur d’Italie, ne connaît qu’une règle : l’assouvissement de son ou plutôt de ses plaisirs. Il est un expert pour dépenser son temps et son énergie en activités rieuses et charnelles. Il aime les tables de jeu, les cylindrées démoniaques, les drogues et les filles faciles au regard d’acier. Il préfère sortir avec sa bande d’amis que de diriger le groupe FIAT. Et pourtant, c’est lui l’héritier. « Pourquoi lui ? Parce qu’il décèle chez Gianni une force irrésistible et un charme fou. Le charisme dont il aura besoin pour construire la légende de la FIAT » fait dire Stéphanie des Hors au Senatore, son grand-père. Il ne pourra échapper à son destin. Gianni était un mélange de JFK, d’Ayrton Senna, de Jean-Luc Lagardère et d’Alain Delon. Une personnalité qui ne pourrait plus exister aujourd’hui, elle étoufferait par tant d’injonctions et d’intimidations sociales. Chez ses admirateurs français, on continue de perpétuer son image, de s’échanger des anecdotes, des articles de presse, de porter sa montre-bracelet sur le poignet de sa chemise par exemple ou de plonger nu dans la Méditerranée, mais que la marche est haute pour atteindre cette idole des playboys. Il savait tout faire, skier, baiser, commander des milliers d’ouvriers et s’imposer avec un naturel fracassant aussi bien dans une âpre négociation commerciale que dans le clair-obscur d’un palais italien. Pour percer le mystère de cette icône antimoderne, il n’y avait qu’un écrivain capable de relever un tel défi. Stéphanie des Horts est la spécialiste française de cette jet-set internationale qui durant la seconde moitié du XXème siècle, des plages des Hamptons au Manoir de Chartwell, de la Riviera à la Côte Amalfitaine, a inventé un mode de vie où le désir, l’argent et la puissance ont dansé un tango souvent macabre. Elle pousse sa plume toujours plus loin, bien au-delà du simple clapotis des ragots et des commérages de salon. Stéphanie est un véritable écrivain qui d’une plume compressée, à la sensualité abrasive, ne se laisse pas prendre aux pièges du vernis. Ses livres sont toujours très informés, on ne dira jamais assez combien ses recherches historiques sont exemplaires, une somme de travail pour accéder à la vérité des Hommes ; elle ne se contente pas de rapporter des faits, elle recrée l’atmosphère, le décor des villas, l’odeur de l’huile de ricin, la suavité des peaux abandonnées, la rage et le désespoir des ruptures. « Gianni le magnifique » aux éditions Albin Michel est la radiographie précise et intimiste d’un Âge d’or où les élites étaient assurément plus libres. Elles ne cachaient pas leurs turpitudes, elles les exposaient en plein jour. Nous sommes quelques-uns à avoir vu de nos yeux Gianni Agnelli en mouvement, dans un salon automobile ou sur les bords d’une piste de Formule 1, à chaque fois, nous avons été soufflés par son énergie, son aplomb, comme si tout lui était dû, comme s’il avait la clé de la réussite. Il était le roi d’Italie. Stéphanie des Horts nous plonge au cœur des tourbillonnantes années 50/60, ils sont tous là, Ali Khan, Fon de Portago, Pamela Churchill, Marella son épouse hiératique et insondable, la papesse des jardins, le père Edoardo, le grand-père, sénateur, on voit le reflet des corniches à la belle étoile et le Lingotto, la preuve tangible du pouvoir économique dans la fournaise turinoise, les rivalités avec Henri Ford, le souvenir poisseux de Mussolini et les longues jambes d’inconnues qui se nouent pour une nuit d’ivresse autour de son cou, Stéphanie orchestre tous ses lieux et ses personnages en harmonie, dans une arabesque et une langue fureteuse. Gianni est le livre du printemps et de l’été à venir.
Gianni le magnifique de Stéphanie des Horts – Albin Michel 304 pages
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