Jean Raspail, la pythie de Patagonie
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Une biographie consacrée à l’auteur honni de toute la gauche immigrationniste est publiée.

Pour célébrer le centenaire de la naissance de Jean Raspail, autoproclamé consul général de Patagonie, les éditions Albin Michel publient sa première biographie signée Philippe Hemsen, préfacée par Erik Orsenna. Avec Jean Raspail, Aventurier de l’ailleurs, Philippe Hemsen, professeur de lettres et auteur de Stephen King, Hantise de l’écrivain, nous propose de dépasser l’image de l’écrivain catholique et monarchiste, qui publia un roman controversé, Le Camp des saints, en 1973, lequel fit de Raspail un écrivain d’extrême-droite, infréquentable pour le camp du Bien. Au-delà de l’étiquette, Philippe Hemsen nous permet de découvrir un homme plus complexe, né le 5 juillet 1925, à Chemillé-sur-Dême en Indre-et-Loire, dans une famille bourgeoise où les traditions sont respectées à la lettre. Le début de la biographie peut paraître balzacien dans les descriptions de l’enfance villageoise de son sujet, mais très vite on est happé par l’adolescent, mauvais élève, qui fuit la réalité grise de la vie en poursuivant des rêves de voyages et d’aventures intrépides. Le garçon est secret et son caractère affirmé. Sa différence d’âge avec son frère et sa sœur en fait un enfant unique dont le signe astrologique, le Cancer, l’attire vers l’eau. La guerre le retient au port, mais dès 1949, il prend le large. Dans L’île bleue, roman publié en 1990, il écrit : « À considérer les cheminements intérieurs de la vie, c’est là que je suis né, à l’âge de vingt-trois ans et neuf mois, par un matin glacial de printemps de l’année 1949. » La fuite, le refuge sur une île, la création d’un monde imaginaire grâce à l’écriture, voilà résumé les clés pour comprendre la psychologie et les choix de Jean Raspail. Cela me rappelle un échange avec Michel Déon, ami de Raspail, qui m’avait dit en substance que l’île symbolise l’aristocratie de l’esprit, de plus en plus menacée sur les continents. La soif de l’ailleurs permet à Raspail de devenir, avant l’heure, un écrivain-voyageur enchaînant les exploits, en Terre de feu, aux Antilles, en Argentine, en Patagonie, au Pérou, au bord du lac Titicaca, au Japon, en Alaska… À l’instar de Paul Morand, ses échappées spectaculaires, et parfois dangereuses, nourrissent ses romans, reportages, articles. Au fur et à mesure, le gaillard aux yeux bleus, aux sourcils broussailleux et à la moustache d’un hussard, épure son style et, malgré l’obsession du détail, rend plus fluides ses écrits.
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Raspail finit par se lancer dans l’autobiographie, tout en restant au seuil de la porte, en publiant, ce que je considère être son meilleur livre, Moi, Antoine de Tournens, roi de Patagonie – grand prix du roman de l’Académie française en 1981. C’est avec ce livre qu’il s’autoproclame consul de Patagonie. La légende est en marche. L’homme devient une sorte de père tutélaire. Mais il écrit Le Camp des saints, une dystopie comme on dit aujourd’hui, et les ennuis commencent. Il s’agit d’un roman apocalyptique dans la France de 2050, confrontée à l’arrivée massive de migrants sur ses côtes méditerranéennes. Le livre connait un franc succès. La polémique enfle. On va jusqu’à accuser Raspail de racisme. Philippe Hemsen raconte avec précision l’engrenage dans lequel l’écrivain est pris. L’homme écrit également des articles dans le Figaro, très à droite. Il prend la défense des scouts et guides de France dont les effectifs ne cessent de chuter. Il se rapproche de penseurs comme Alain de Benoist. Bref, il incarne la figure du traditionaliste dans une France qui se livre à Giscard et au nihilisme financier. Le Camp des saints est réédité en 2011. C’est l’occasion pour son auteur d’en rajouter une couche en écrivant une préface incendiaire, intitulée « Big Other » – allusion à Orwell. Les dévots s’enflamment. Vite, comme pour Jeanne d’Arc, brûlons l’infâme. Daniel Schneidermann signe une violente tribune contre l’écrivain avec en titre : « Appeler racistes les racistes. » Le livre devient culte. Raspail ne tremble pas. Avec sa cravate décorée de fleurs de lys, il continue à écrire, loupant de peu son entrée à l’Académie française, en 2000.
À propos du texte « Big Other », Philippe Hemsen rappelle que deux conceptions de la civilisation s’affrontent : celle « fondée sur la mémoire, les racines culturelles et religieuses, la conscience de moi et de l’autre, la conscience d’appartenir à un héritage, d’en être un maillon, et d’avoir à transmettre cet héritage aux générations à venir (…) ; l’autre fondée sur une idée de la vie, du monde, dépourvue de tout réel sentiment d’appartenance culturelle, sinon sous forme de ‘’loisirs’’, dans le cadre d’un environnement dit ‘’multiculturel’’, ‘’multiethnique’’, où les différences s’estompent pour aboutir à un melting-pot uniforme, universel (…) » L’auteur cite alors le concept de la « société liquide » développé par Zygmunt Bauman.
Déboussolé par le très sérieux problème cardiaque d’Aliette, son épouse depuis presque soixante-dix ans, survenu en 2019, Jean Raspail meurt le samedi 13 juin 2020. Ses funérailles se déroulent quatre jours plus tard, en l’église Saint-Roch, avec messe en latin, accompagnée de chants grégoriens, selon le rite tridentin.
Philippe Hemsen, Jean Raspail, Aventurier de l’ailleurs, Albin Michel. 400 pages
À noter la réédition du roman de Jean Raspail, Les royaumes de Borée, Albin Michel. 336 pages
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