Interview – Met Gala : quand le luxe rencontre la pop culture et façonne les tendances

Chaque année, le premier lundi de mai transforme les marches du Metropolitan Museum of Art de New York en théâtre d’apparitions pour le moins spectaculaires, où la haute couture rencontre la pop culture et les stratégies marketing les plus pointues. Longtemps considéré comme l’événement mondain le plus exclusif de la planète mode, le Met Gala […] L’article Interview – Met Gala : quand le luxe rencontre la pop culture et façonne les tendances est apparu en premier sur JUPDLC.

Avr 28, 2025 - 10:10
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Interview – Met Gala : quand le luxe rencontre la pop culture et façonne les tendances

Chaque année, le premier lundi de mai transforme les marches du Metropolitan Museum of Art de New York en théâtre d’apparitions pour le moins spectaculaires, où la haute couture rencontre la pop culture et les stratégies marketing les plus pointues. Longtemps considéré comme l’événement mondain le plus exclusif de la planète mode, le Met Gala a désormais conquis un territoire bien plus vaste : celui de l’influence culturelle et des tendances de consommation mondialisées.

Dans cette interview, Camille Peter, experte en stratégie de marque, ex-LVMH et aujourd’hui freelance et intervenante à SUP’DE COM, décrypte comment cette soirée hors norme orchestre la rencontre entre les maisons de luxe, les célébrités et les aspirations du grand public. De Rihanna en papesse couture à Lady Gaga en icône de la mode, elle analyse comment chaque tenue devient une déclaration, devenant virale, influençant les campagnes publicitaires, les lancements de produits ou encore les collections de prêt-à-porter genderless chez Zara, COS ou ASOS.

Entre storytelling visuel, démocratisation symbolique du luxe, tensions entre inclusion sincère et appropriation culturelle, ou encore stratégie social media savamment orchestrée sur TikTok et Instagram, l’événement révèle bien plus qu’un goût pour le spectaculaire : il façonne un imaginaire collectif et influence les codes du désir.

 

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Crédit photo : SUP’DE COM

 

JUPDLC : André Leon Talley, regretté directeur de la création de Vogue, qualifiait le Met Gala de « Super Bowl des événements sociaux de la mode ». Que révèle cette comparaison sur l’impact culturel et médiatique de l’événement à l’heure actuelle ?

Camille Peter : Je trouve la comparaison de Léon Talley entre le Met Gala et le Super Bowl assez brillante. À l’image du Super Bowl, il génère un engouement mondial, c’est un spectacle « wahou » où se mêlent prestige, storytelling visuel, influence, pop culture et stratégies marketing redoutables. C’est un événement qui transcende la mode pour devenir un phénomène de société, suivi par des millions de personnes à travers le monde. Le Met Gala est une démonstration de pouvoir des grandes maisons, une scène où l’exclusivité rencontre l’instantanéité des réseaux sociaux.

 

« Le Met Gala, aujourd’hui, est un miroir de notre époque, une fabrique de tendances et un levier d’impact culturel. »

 

Aujourd’hui, son impact dépasse largement les cercles de la mode et du luxe. Chaque tenue devient une déclaration culturelle et politique, chaque apparition est scrutée, analysée, transformée en mèmes et en tendances virales. Le Met Gala est une machine à générer du contenu. Il alimente le débat, confectionne l’esthétique, façonne des récits culturels et influence directement les comportements d’achat en transformant chaque apparition en opportunité commerciale.

À mon sens, le Met Gala est bien plus qu’un défilé de stars en tenue haute couture. C’est une cérémonie de sacralisation du style à l’ère digitale et une réelle une opportunité d’imprimer quelque chose dans la mémoire collective, voire même de lancer un vrai shift. Le Met Gala, aujourd’hui, est un miroir de notre époque, une fabrique de tendances et un levier d’impact culturel.

 

JUPDLC : Comment les thèmes annuels du Met Gala réussissent-ils à créer une passerelle entre la haute couture et la pop culture ? Peut-on parler d’une démocratisation du luxe grâce à cet événement ?

Camille Peter : Le Met Gala est un laboratoire où la haute couture rencontre la narration populaire. Les thèmes annuels, souvent inspirés de courants artistiques, historiques ou sociétaux, offrent aux créateurs l’opportunité d’interpréter la culture au travers du prisme du luxe. En 2018 le thème était « Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination ». Ce thème a généré des représentations spectaculaires, empruntant aux codes du sacré pour les réinterpréter dans un langage visuel accessible au grand public. Les pièces portées par Rihanna (en Papesse réinventée par Maison Margiela) ou Zendaya (en Jeanne d’Arc Versace) ont marqué les esprits et alimenté des milliers de créations dérivées, du prêt-à-porter aux campagnes publicitaires.

 

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Les thèmes du Met Gala sont une véritable invitation à la narration visuelle. Ils offrent un terrain de jeu où la haute couture dialogue avec l’air du temps, qu’il s’agisse de revisiter des mouvements artistiques, d’explorer des figures historiques ou d’exprimer des enjeux contemporains. Grâce à cet événement, des pièces de musée deviennent des références mainstream Et le grand public s’approprie des codes jusque-là réservés à une élite.

Cette explosion médiatique démocratise-t-elle réellement le luxe ? Pas nécessairement. Le Met Gala ne rend pas la haute couture plus accessible économiquement parlant. Mais il la rend plus désirable et compréhensible. Il offre un lexique aux nouvelles générations pour appréhender le luxe comme une expérience culturelle et non seulement comme un produit élitiste. Le luxe reste exclusif, même lorsqu’il flirte avec la pop culture.

 

JUPDLC : Dans quelle mesure les apparitions des célébrités pop (musiciens, acteurs, influenceurs) lors du Met Gala impactent-elles les tendances de consommation ? Auriez-vous un exemple où une tenue portée a influencé la création d’un produit grand public ou une collaboration ?

Camille Peter : Les célébrités sont des catalyseurs de tendances et le Met Gala leur offre une scène idéale pour amplifier leur pouvoir d’influence. Une tenue mémorable peut instantanément redéfinir l’esthétique dominante et orienter les désirs des consommateurs. La robe de chair de Lady Gaga en 2010 aux MTV Video Music Awards a ouvert la voie à une approche plus théâtrale du vêtement. Lors du Met Gala en 2019, dont le thème était « Camp: Notes on Fashion », Lady Gaga a repoussé encore plus loin cette idée avec une performance en quatre looks signés Brandon Maxwell, qui se transformaient au fil de son arrivée sur le tapis rouge. Peu après, plusieurs marques ont joué avec le concept du vêtement évolutif ou multifonctionnel dans leurs collections de prêt-à-porter.

Aussi, au fil des années, Harry Styles et Billie Eilish, ont amplement contribué à démocratiser le « gender-fluid », floutant un peu plus les frontières entre les genres, témoignant d’une tendance qui est faite pour durer. En réaction aux derniers Met Gala, Zara a relancé et modernisé sa collection « Ungendered » avec des jupes, robes longues et pantalons fluides, non genrés. La communication a pris la même direction avec des mises en scène neutres. Dans le même temps, ASOS s’est vu proposer des jupes pour hommes, juxtaposées à des pièces tailoring oversize. La marque COS a aussi développé des silhouettes neutres très inspirées de ces coupes droites et classiques.

JUPDLC : Les réseaux sociaux, tels que TikTok et Instagram, jouent désormais un rôle central dans la diffusion de l’événement. De quelle manière ces plateformes transforment-elles la réception du Met Gala auprès du grand public ? L’interdiction des selfies sur place est-elle, selon vous, une stratégie pertinente à l’ère digitale ?

Camille Peter : Les réseaux sociaux ont transformé le Met Gala en un phénomène viral en temps réel transformant chaque tenue en content piece. TikTok, en particulier, a introduit un nouveau langage visuel où les créateurs de contenu décryptent instantanément les looks, réagissent en direct et recréent des versions DIY des tenues vues sur le tapis rouge. L’interdiction (officielle) des selfies sur place est paradoxalement une stratégie brillante. Elle maintient le Met Gala dans une aura d’exclusivité tout en alimentant la frustration du public, qui cherche alors à capturer l’événement à travers d’autres formats. Ceci dit, avec autant de smartphones dissimulés, cette règle est surtout un symbole. À l’ère où le partage instantané est roi, c’est une tentative de conserver un semblant d’intimité… Qui, alimente encore plus la fascination. Résultat : chaque image officielle devient précieuse, chaque fuite devient virale. 

JUPDLC : Michael Burke, ancien directeur général de Louis Vuitton, a qualifié le Met Gala de « machine de promotion très sérieuse ». Quelles stratégies les marques adoptent-elles pour tirer parti de cette vitrine ?

Camille Peter : Les maisons de luxe investissent le Met Gala comme un défilé narratif où chaque tenue devient une campagne à part entière. C’est un réel temps fort dans leur calendrier annuel. Ces stratégies prennent plusieurs formes :

  • Collaboration avec des égéries clés : au fil des années nous avons pu voir Kristen Stewart en Chanel, Omar Apollo en Loewe, Kim Kardashian en Maison Margiela Artisanal par John Galliano, Lil Nas X en Dior, Rita Ora en Marni, Bad Bunny en Jacquemus…
  • Parmi ces stratégies on retrouve aussi l’exclusivité des tenues, les créations portées sont uniques et sur-mesure, renforçant la valeur perçue de la maison.
  • Les contenus digitaux font également partie intégrante des stratégies, les maisons comme Dior, Gucci, Prada capitalisent sur l’événement via des contenus « behind the scenes » qui dévoilent le processus créatif et leur savoir-faire.

 

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Crédit photo : Red Carpet / Artimas

JUPDLC : Sous la direction d’Anna Wintour depuis 1995, le Met Gala a récolté plus de 223 millions de dollars pour le Costume Institute. Quels enseignements les marketeurs peuvent-ils tirer de l’approche d’Anna Wintour en matière de storytelling, d’événementiel, de partenariats ou encore de sponsoring ?

Camille Peter : Anna Wintour a fait du Met Gala une masterclass en marketing expérientiel et stratégie évènementielle. Elle a su allier exclusivité et pop culture, transformer un gala caritatif en un moment incontournable de l’agenda des plus grandes maisons de luxe. Son génie repose sur sa capacité à orchestrer un storytelling puissant : chaque édition a son propre récit, ses codes, ses ambassadeurs et ses polémiques. Et tout cela sert à maintenir l’événement au sommet. En matière de sponsoring, elle a compris que l’engagement des maisons devait aller au-delà du simple soutien financier. Il s’agit d’intégrer leur identité dans l’événement, de façon organique et audacieuse.

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JUPDLC : Le thème du Met Gala 2025, « Superfine: Tailoring Black Style », illustre-t-il une prise en compte sincère des évolutions sociétales ou simplement une réponse aux attentes actuelles de diversité et d’inclusion ? Comment évaluez-vous l’impact concret de ces choix sur l’industrie de la mode ?

Camille Peter : À mon sens, les deux. Difficile de ne pas voir ce choix comme une réponse aux débats actuels sur la diversité et l’inclusion. Mais au-delà du contexte sociétal, c’est une reconnaissance tardive mais essentielle de l’impact de la culture noire sur la mode. Du tailoring impeccable des dandys de la Renaissance de Harlem aux silhouettes affirmées du hip-hop, cette influence est indéniable.

Le défi sera d’éviter l’exploitation esthétique et valoriser l’héritage au-delà du tapis rouge. L’enjeu est de ne pas en faire un simple moment de visibilité mais une transformation durable du secteur. Andrew Bolton (conservateur au Costume Institute) a déclaré lors de l’annonce de la prochaine exposition et donc du thème du Met Gala « Notre but : faire de la mode au Met une passerelle vers l’inclusion ». Reste à voir comment les créateurs et célébrités s’empareront du sujet : un réel hommage ou une récupération superficielle ?

 

JUPDLC : Le Met Gala fait régulièrement face à des critiques liées à l’écologie, à l’appropriation culturelle ou encore au caractère excessivement commercial de l’événement. Quelle est votre analyse sur ces critiques, et comment l’événement pourrait-il y répondre ?

Camille Peter : Pour moi, ces critiques sont légitimes : un événement qui célèbre le luxe dans un monde en crise écologique et sociale ne peut qu’attirer les débats.  Face à cela, l’événement pourrait intégrer une dimension plus éthique, en favorisant des créations responsables et des initiatives durables, en valorisant des designers engagés… Cela pourrait être un premier (petit) pas pour le Met Gala, tout comme le fait de repenser son impact à travers des processus de production plus responsable, afin de lui donner une nouvelle profondeur.

L’appropriation culturelle, elle, pose un autre défi. La mode adore puiser dans diverses inspirations. Mais la question du respect et de la reconnaissance des cultures empruntées reste centrale. Une meilleure représentation de l’histoire et des créateurs issus de ces cultures pourrait être une réponse à explorer...

 

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JUPDLC : En France, le dîner du Louvre s’est récemment positionné comme un « Met Gala à la française ». Quel intérêt pour un pays comme la France (ou d’autres marchés majeurs comme l’Asie) de développer de tels événements ? Quels défis les organisateurs doivent-ils relever pour assurer une adaptation réussie au contexte culturel local ?

Camille Peter : Le dîner du Louvre, en se positionnant comme un « Met Gala à la française », répond à un vrai besoin : réaffirmer le lien entre mode, culture et rayonnement international. Pour la France, c’est l’occasion de valoriser son patrimoine autrement, en créant un rendez-vous d’image et d’influence à la hauteur de son histoire. Cependant l’initiative d’un « Met Gala à la française » pose une question essentielle. La France doit-elle forcément chercher à reproduire un modèle américain pour exister sur la scène mode et culturelle internationale ?

Si l’ambition est de créer un événement célébrant la mode et l’art dans un cadre patrimonial exceptionnel, le concept est séduisant. La France, berceau de la haute couture, a une légitimité naturelle pour organiser un gala où l’élégance, le savoir-faire et l’histoire se mêlent à la créativité contemporaine. Mais pour éviter d’être perçu comme une simple copie du Met Gala, l’événement devra se forger une identité propre, ancrée dans le patrimoine culturel français, afin de capitaliser sur son histoire et ses savoir-faire pour offrir une version plus intime, artistique et intellectuelle de l’événement.

 

« Un gala n’a d’impact que s’il fait résonner une culture. »

 

Dans des marchés comme l’Asie, où l’attrait pour le luxe s’accompagne d’un fort ancrage culturel, ce type d’événement peut prendre des formes passionnantes. On l’a vu, par exemple, avec le défilé Cruise de Gucci à Séoul au Palais Gyeongbokgung, ou le défilé Dior à Mumbai, qui respectaient profondément le cadre local tout en y injectant une vision globale. Le vrai défi, c’est l’adaptation. Il ne s’agit pas de copier un format, mais de composer avec les codes du lieu : l’esthétique, le rapport à la célébration, au prestige, à la représentation. Un gala n’a d’impact que s’il fait résonner une culture. Finalement, la vraie question est peut-être : le monde a-t-il besoin d’un autre Met Gala ? Ou d’un événement totalement inédit, avec une vision différente permettant de faire rayonner la mode et la culture ?

 

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