Pourquoi l’idée selon laquelle les start-ups n’ont pas la même culture d’entreprise que les grandes entreprises est fausse
Entre grands groupes et start-ups les cultures d’entreprise n’auraient rien à voir. D’un côté, process rigides et contrôle. De l’autre, agilité et autonomie. Et pourtant…

Entre grands groupes et start-ups les cultures d’entreprise n’auraient rien à voir. D’un côté, process rigides et contrôle ; de l’autre, agilité et autonomie. Et pourtant…
Même s’il gagnait un salaire à six chiffres, en travaillant comme vice-président de l’ingénierie sur le logiciel de vidéoconférence Cisco WebEx, Eric Yuan n’était vraiment pas heureux chez Cisco Systems. « Aller au bureau pour travailler ne me faisait pas envie », a-t-il déclaré à CNBC Make It en 2019.
Yuan n’était pas satisfait de la culture d’entreprise de Cisco, où les nouvelles idées étaient souvent rejetées et où tout changement prenait du temps à se mettre en place. Ainsi, lorsqu’il a suggéré de construire à partir de zéro une nouvelle plateforme vidéo adaptée aux mobiles, l’idée a été rejetée par la direction de l’entreprise. Frustré par tant de résistance au changement, Yuan a finalement quitté l’entreprise en 2011 pour fonder Zoom, dont la valeur a augmenté de façon astronomique pendant les années de pandémie de Covid. Zoom est alors devenue une des applications de référence pour le travail à distance.
Des fondateurs marqués par leur passé
On pourrait penser que les fondateurs qui, comme Yuan, ont exprimé leur mécontentement à l’égard de la culture de leurs anciens employeurs créeraient de nouvelles entreprises avec des valeurs très différentes. Cependant, nous avons constaté qu’en moyenne, les fondateurs sont enclins à reproduire la culture de leur ancien employeur dans leur nouvelle entreprise, qu’ils en soient conscients ou non.
L’histoire de Yuan semble emblématique car elle combine les préjugés que beaucoup de gens se font aussi bien du géant de la technologie que de la start-up agile. Pourtant, nos recherches ont montré que cette distinction n’est en fait pas si claire.
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Nous avons aussi montré que plus de la moitié des fondateurs de start-ups technologiques états-uniennes ont une expérience antérieure dans une entreprise, souvent dans des géants comme Google ou Meta. La culture du travail dans ces grandes organisations n’est pas toujours aussi facile à oublier, lorsque les entrepreneurs se lancent à leur tour.
Pour notre recherche, nous avons identifié 30 items pour définir les différents types de cultures d’entreprise.
Il s’agit, par exemple, de l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, du travail d’équipe, de l’autorité, de l’innovation ou encore de la place occupée par la rémunération ou le rapport au client dans la culture… Des recherches antérieures avaient montré que les fondateurs de start-ups transfèrent des connaissances et des technologies acquises précédemment dans leur vie professionnelle. Nos recherches montrent empiriquement qu’ils en transfèrent également la culture du travail.
Difficile d’échapper à une culture familière
Trois conditions favorisant un tel transfert ont été identifiées :
- la durée de l’emploi : plus les fondateurs sont restés longtemps dans une organisation avant de créer la leur, plus ils sont susceptibles d’avoir transféré sa culture à leur nouvelle start-up. La raison en est simple : cette culture leur est très familière ;
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la congruence de la culture : ce terme désigne le degré de cohérence des différents éléments qui constituent la culture de départ. Par exemple, dans notre échantillon se trouve une plateforme de services de localisation basée sur le cloud dont la culture est très cohérente. L’entreprise a trois éléments culturels très importants : elle est adaptative, orientée vers le client et exigeante. Ces éléments pointent constamment vers une culture de réactivité client. Nos données comprennent également une plateforme de vêtements de commerce électronique avec deux éléments culturels – l’orientation vers la croissance et l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée – qui, étant mal alignés dans leurs significations, réduisent la congruence de sa culture. Nous avons constaté que plus la culture d’une organisation mère est congruente en interne – et donc, plus elle est facile à comprendre et à apprendre –, plus il est probable que les fondateurs transfèrent ses éléments à leurs nouvelles entreprises ;
la typicité de la culture : plus une organisation est atypique – c’est-à-dire plus elle se démarque des autres dans son domaine –, plus il est probable que sa culture soit transférée à la start-up. Quand la culture est atypique, les employés identifient plus facilement les éléments de cette culture et, par conséquent, s’en souviennent mieux et les intègrent davantage une fois qu’ils ont fondé leur start-up. Parce qu’une culture atypique singularise davantage une entreprise, les employés prennent davantage conscience que l’organisation les a choisis et qu’ils ont choisi d’y travailler. Cela crée un attachement cognitif chez l’employé envers l’organisation, qui va aussi augmenter la façon dont il intègre sa culture.
Dans notre étude, « l’atypicité » culturelle de chaque start-up a été mesurée en calculant les distances culturelles entre toutes les organisations d’une même catégorie de produits pour une année donnée. Si les fondateurs de start-ups sont souvent persuadés que leur culture d’entreprise est unique en son genre, nous avons constaté que ce n’était pas toujours le cas. Les fondateurs ont tendance à reproduire la culture de leurs anciens employeurs parce qu’ils sont habitués à cette façon de travailler.
De fausses perceptions ?
De nombreux étudiants me disent qu’ils sont attirés par des environnements de travail plus créatifs et innovants, ce qu’ils associent souvent aux start-ups plutôt qu’aux entreprises traditionnelles et établies. Mais nos recherches suggèrent que cette perception pourrait ne pas être tout à fait exacte.
De même, les demandeurs d’emploi à la recherche de cultures uniques ou avant-gardistes pourront être surpris d’apprendre que les environnements des start-ups ressemblent plus souvent qu’on ne le dit à ceux des grandes entreprises technologiques.
Et, pour les fondateurs, notamment ceux qui ont quitté leurs postes précédents en raison de cultures d’entreprise frustrantes, les résultats de cette recherche peuvent être un signal d’alarme, pour qu’ils prennent conscience d’à quel point il est facile de recréer involontairement les environnements qu’ils avaient voulu quitter et ne pas reproduire.
Yeonsin Ahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.