Industrie automobile en danger : ainsi va l’Europe !
Dans un entretien croisé accordé au Figaro (édition du 6 mai 2025), John Elkann (Stellantis) et Luca de Meo (Renault) lancent un cri d’alarme : “le sort de l’industrie automobile européenne se joue cette année“. On ne peut que leur donner raison. Le marché européen est le seul à ne pas avoir retrouvé son niveau […]

Dans un entretien croisé accordé au Figaro (édition du 6 mai 2025), John Elkann (Stellantis) et Luca de Meo (Renault) lancent un cri d’alarme : “le sort de l’industrie automobile européenne se joue cette année“.
On ne peut que leur donner raison. Le marché européen est le seul à ne pas avoir retrouvé son niveau pré-covid (15 millions de véhicules vendus l’an dernier contre 18 millions en 2019) et les acteurs chinois tirent profit des nouvelles conditions de marché en Europe qui les ont structurellement avantagés (leur part de marché pourrait rapidement dépasser les 10 voire les 15% alors qu’ils ne représentaient que 3% en 2021).
Il ne s’agit pas d’un coup du sort. Cette situation est le fruit des errements de l’Union Européenne depuis une dizaine d’années, incapable d’aborder les sujets économiques, industriels et environnementaux de façon stratégique (faire des choix), systémique (analyser les conséquences des choix) et non idéologique (s’extraire de l’influence des lobbies). Je dénonce d’ailleurs largement cette situation dans “Climat : 20 questions pour comprendre et agir” (Ellipses, juillet 2024).
Des objectifs, des règles et des normes mal calibrées et mal cadencées
“Les règles européennes font que nos voitures sont toujours plus complexes, toujours plus lourdes, toujours plus chères, et que les gens, pour la plupart, ne peuvent tout simplement plus se les payer” affirme Luca de Meo.
Quelques faits et chiffres pour illustrer ces propos.
- Une Fiat Panda de 2004 pesait 785 kg contre 1 290 kg pour la Fiat 500 actuelle ; une Renault Twingo pesait 790 kg dans les années 1990 contre 1400 kg aujourd’hui pour le modèle électrique (au passage, ce n’est pas idéal sur un plan environnemental).
- La course à la taille, tirée par les obligations en matière de sécurité, a conduit à une chute massive de la part de marché des véhicules de moins de 4 mètre (5% aujourd’hui contre 50% en 1980 !).
- De manière prévisionnelle, le coût d’une Clio aura augmenté de 40% entre 2015 et 2030… dont 92,5% attribuable à la réglementation !
- “Il y a cent nouvelles réglementations qui vont s’appliquer d’ici 2030. Elles renchériront encore le prix de nos voitures de 40%“, rappelle John Elkann.
- Conséquence : c’est la mort de la voiture populaire. Le parc vieillit (12 ans de moyenne d’âge en Europe), faute de renouvellement, ce qui n’aide pas à l’atteinte des objectifs environnementaux ambitieux de l’UE, tout en pénalisant son économie et les finances publiques (400 milliards de recettes fiscales liées à l’industrie automobile en Europe)
Pour aggraver le problème, ces normes :
- émanent de directions différentes et sont parfois contradictoires : “quand l’une exige la suppression des Pfas, les polluants éternels, ce qui est légitime, l’autre nous demande des voitures à batterie… or il n’y a pas de batterie sans Pfas”;
- s’enchainent sans cohérence temporelle : “faites-nous des règles par paquet plutôt qu’une tous les mois !“;
- s’appliquent de manière indifférenciée aux différentes catégories de véhicules : “Faut-il absolument une assistance au non-franchissement de ligne dans des voitures qui passent 95% de temps en ville ? Ma R5 doit réagir comme une berline haut de gamme dont le capot est trois fois plus long lors d’un choc frontal. C’est de la physique. Je suis censé faire un capot en Tungstène ?“, s’interroge Luca de Meo.
Dit autrement, l’Union Européenne a dérivé vers une forme de dirigisme économique très éloigné des valeurs libérales qui prévalaient à sa création.
Ces constats dépassent le cadre de la seule industrie automobile
Malheureusement, ces constats dépassent largement le seul cadre du secteur automobile. Comme le rappelait le rapport Draghi en septembre dernier, l’UE a adopté en 2019 environ 13 000 textes législatifs, contre 3 000 pour les Etats-Unis. 100 lois et 270 régulateurs interviennent directement dans le seul secteur de la tech. Ainsi va l’Europe !
En matière de politique industrielle, l’Europe fait comme le canard : elle dit oui avec la tête, non avec la queue. Officiellement, l’ambition est là avec le “Green Deal Industrial Plan” et la cohorte d’initiatives diverses supposées renforcer notre compétitivité : REPowerEU, InvestEU, Fonds pour l’innovation, European Skills Agenda, Critical Raw Materials Club, etc.
Mais elle ne s’est jusque-là que marginalement intéressée à notre compétitivité. L’accumulation des crises et déconvenues tend à sortir les dirigeants européens de leur torpeur voire de leur aveuglement. Des initiatives émergent telles la “boussole de la compétitivité” ou encore le plan Omnibus. Mais il ne s’agit que d’un patch sur un logiciel dépassé. La réindustrialisation dont on parle tant ne restera qu’un vœu pieux sans réforme structurelle de notre stratégie et de notre gouvernance.
L’industrie automobile doit servir de pilote pour précisément repenser en profondeur cette stratégie européenne, et mieux articuler nos ambitions scientifiques, économiques, sociales et environnementales. Comme l’explique John Elkann, “à ce rythme, si la trajectoire ne change pas, nous devrons prendre dans les trois ans qui viennent des décisions douloureuses pour l’appareil de production”. Il est grand temps de faire confiance aux entrepreneurs et de libérer leurs talents.