« Habillage éthique », ou le marketing de la vertu en trompe-l’œil
Responsables, inclusives… De nombreuses marques revendiquent des valeurs fortes. Mais quand ces promesses restent en surface, on peut parler d’« habillage éthique ».

Responsables, inclusives, engagées… Nombreuses sont les marques revendiquant des valeurs fortes. Mais ces promesses restent parfois en surface. C’est ce que met en perspective le terme d’« habillage éthique », la stratégie de communication d’une entreprise ou d’une organisation qui cherche à améliorer son image de marque en se réclamant abusivement de valeurs éthiques.
Recommandée par la Commission d’enrichissement de la langue française, l’expression « habillage éthique » repose sur une tension entre deux registres de sens. D’un côté, le mot « habillage » désigne ce qui recouvre, ce qui rend présentable, ce qui maquille parfois. De l’autre, l’« éthique » renvoie à une réflexion sur les principes qui guident nos actions, qu’ils relèvent de la morale et/ou de la déontologie. Associer les deux, c’est pointer une contradiction : celle d’un discours éthique qui reste en surface, sans ancrage réel dans les pratiques.
Une éthique caméléon : entre green, pink et blue washing
Défini par le Journal officiel du 16 juillet 2024, l’« habillage éthique » constitue
« une stratégie de communication d’une entreprise ou d’une organisation qui cherche à améliorer son image de marque en se réclamant abusivement de valeurs éthiques ».
La critique est dans la définition : il s’agit ici d’une mise en scène, d’un vernis vertueux appliqué sans transformation intrinsèque. L’habillage éthique désigne le recours à certaines valeurs comme éléments de langage, voire comme accessoires de communication. On s’affiche « responsable », « engagé », « solidaire », sans que ces qualificatifs n’aient de véritable traduction dans les modes de production ou de gouvernance.
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L’habillage éthique est la traduction, dans la langue du Molière, du terme de fairwashing. Il est ainsi dans la parfaite lignée des expressions d’habillage humanitaire (empathy washing) et d’habillage onusien (blue washing) mis en perspective dans le Journal officiel du 13 décembre 2017. Alors que l’habillage humanitaire désigne « la stratégie de communication d’une entreprise ou d’une organisation qui cherche à améliorer son image de marque en se réclamant abusivement de valeurs humanitaires », l’habillage onusien, quant à lui, se réfère à une « stratégie de communication d’une entreprise ou d’une organisation qui cherche à améliorer son image de marque en se réclamant abusivement des valeurs promues par l’Organisation des Nations unies ».
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L’habillage éthique s’inscrit donc dans une série de stratégies désormais bien identifiées, comme le greenwashing (valorisation écologique fictive, dite verdissement d’image), le pinkwashing (récupération de la cause LGBTQ+ à des fins d’image), ou bien encore le femwashing (utilisation opportuniste de discours féministes). L’habillage éthique en est une sorte de synthèse : il absorbe tous les registres de vertu.
Quand l’éthique devient un argument… jusqu’à la dissonance
Face à l’exigence des consommateurs, à leur sensibilité aux enjeux sociaux et écologiques, les entreprises sont poussées à se positionner. Mais, entre contraintes de rentabilité, chaînes d’approvisionnement mondialisées et logiques de volume, changer les mots est souvent plus simple que de changer les modèles. Dans ce contexte, l’habillage éthique apparaît pour les marques comme une manière de redorer leur image, mais le vernis s’écaille… Des exemples concrets en témoignent, notamment en termes de greenwashing : lancée en 2010, la collection « Conscious » de H&M a été critiquée pour son manque de traçabilité et son faible impact réel.
Autre cas emblématique : sponsor des Jeux olympiques de Paris 2024, Coca-Cola a annoncé vouloir limiter l’usage du plastique à usage unique avec des fontaines à boissons et des gobelets réutilisables. Or, comme a pu le dénoncer l’association France nature environnement (FNE), la plupart des boissons provenaient de bouteilles en plastique. Le décalage entre promesse et réalité a ainsi déclenché une forte polémique. Quant à Mercedes-Benz, la marque a été accusée de pinkwashing après avoir affiché un logo arc-en-ciel sur ses réseaux sociaux pendant le mois des fiertés… tout en s’abstenant de le faire dans des pays où l’homosexualité est interdite.
Ce qui est en jeu dépasse le seul comportement des marques. C’est le langage de l’éthique lui-même qui se trouve profondément affaibli lorsqu’il est manipulé à des fins de réputation. La prolifération de pratiques dites d’habillage éthique fragilise la confiance : les consommateurs ne savent plus ce qu’il convient de croire.
Dans ce contexte, les initiatives sincères risquent d’être perçues comme suspectes, noyées dans un flot de promesses vagues. In fine, nommer l’« habillage éthique », c’est poser un acte de lucidité. Ce n’est pas rejeter toute communication de valeurs, mais appeler à une cohérence entre les discours et les pratiques. L’éthique ne saurait ainsi être réduite à un outil de marketing. En matière de responsabilité des organisations comme ailleurs, les mots ne suffisent pas, seuls les actes comptent.
La série « L’envers des mots » est réalisée avec le soutien de la Délégation générale à la langue française et aux langues du ministère de la Culture
Sophie Renault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.