Guerre en Ukraine : ce n’est pas l’Amérique qui trahit l’Europe, c’est l’Europe qui n’a pas tenu son rang
Donald Trump est bien commode. Grâce à lui, les Européens peuvent esquiver les débats de fond : quelle est leur responsabilité dans la guerre en Ukraine ? Qu’ont-ils fait pour y mettre un terme ? Et que sont-ils prêts à faire si les Etats-Unis cessent leur soutien ? La responsabilité de l’Europe La responsabilité de l’Europe est écrasante dans […]

Donald Trump est bien commode. Grâce à lui, les Européens peuvent esquiver les débats de fond : quelle est leur responsabilité dans la guerre en Ukraine ? Qu’ont-ils fait pour y mettre un terme ? Et que sont-ils prêts à faire si les Etats-Unis cessent leur soutien ?
La responsabilité de l’Europe
La responsabilité de l’Europe est écrasante dans le déclenchement de la guerre. La menace russe était limpide depuis 2014, et même depuis 2008 avec la guerre en Géorgie. Le facteur déclenchant est le projet d’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne. Cet accord n’est pas condamnable en soi, mais sachant qu’il constituait un casus belli pour Vladimir Poutine, les Européens avaient le choix entre deux options : soit renoncer à cet accord, soit le mener à son terme en faisant preuve d’une détermination à toute épreuve, ce qui impliquait de déployer des troupes aux frontières, voire directement sur le sol ukrainien.
Oui mais voilà : quelles troupes ? C’est tout le problème : l’Europe caresse de grands desseins mais refuse de s’en donner les moyens. Une semaine jour pour jour avant l’attaque russe du 24 février 2022, Emmanuel Macron a annoncé le retrait des troupes françaises du Mali. Gageons que l’information n’a pas échappé à Vladimir Poutine : doit-il redouter l’Europe si même les Français ne sont plus capables de tenir un engagement militaire relativement intense ?
L’Europe désarmée
Depuis la fin de la Guerre froide, les Européens ont sabré leurs budgets de défense, cessant même de respecter leurs engagements vis-à-vis de l’OTAN (2% du PIB à la défense). L’Europe a cru que l’histoire était finie, que l’heure était à la paix universelle. D’où son insistance sur la morale, la diplomatie, les valeurs, le commerce, la force du droit, bref un modèle de société qui se veut ouvert et « inclusif ».
La puissance n’est pas considérée comme un attribut indispensable de la crédibilité. L’Europe en fait la démonstration à propos du conflit israélo-palestinien : elle soutient le projet de deux Etats mais n’envisage aucunement de créer un corps expéditionnaire qui serait d’assurer la sécurité des frontières d’Israël. Les questions militaires sont regardées avec désintérêt, à l’image d’un monde universitaire qui ne se passionne plus guère que pour le climat et la théorie du genre. Pendant que le monde bruisse de bruits de bottes, on réclame des éoliennes et des toilettes non-genrées. C’est notre nouvelle querelle sur le sexe des anges.
L’ami américain
Ce modèle nous a conduits dans le mur. Ce n’est pas faute d’avoir été prévenu. Dès 2003, Robert Kagan avait lancé l’alerte : les Européens se croient sur Vénus, mais le reste du monde vit sur Mars. Le résultat est terrible : qu’a fait l’Europe depuis le début de l’invasion de l’Ukraine ? Depuis trois ans, a-t-elle réarmé massivement ? A-t-elle constitué une armée prête à mettre en œuvre ses objectifs ? Les dirigeants européens ont oublié la seule question décisive : l’Europe, combien de divisions ?
Certes, les budgets militaires ont augmenté sensiblement depuis 2022, mais dans la plupart des pays européens, le seuil des 2% est à peine atteint, et encore : pas partout. A l’heure où plane la menace d’un conflit généralisé, l’Europe joue les boutiquiers. Le message envoyé aux Etats-Unis est catastrophique : nous comptons toujours sur vous pour notre défense. Pour se donner bonne conscience, les Européens misent tout sur les sanctions économiques, tellement plus propres. Mais l’effet est encore plus désastreux : non seulement la Russie est toujours debout, mais ces sanctions n’ont eu pour seul effet que de rapprocher Poutine et Xi Jinping, associant encore plus étroitement les économies russes et chinoises.
Le monde a changé
La menace par Donald Trump d’un abandon du soutien à l’Ukraine a provoqué une onde de choc. Le chœur des offusqués crie unanimement à la trahison : l’Amérique nous laisse tomber ! Mais qui trahit qui, dès lors que les Etats européens ont renoncé à assumer leur part du fardeau ? On songe à la fable de la cigale et de la fourmi : à l’abri du parapluie américain, les Européens ont pu faire grossir leurs budgets sociaux et s’ériger en conscience morale de la planète.
La tectonique des plaques est pourtant à l’œuvre. Le monde a changé. Les Etats-Unis ont désormais les yeux rivés sur la Chine. L’attitude de Donald Trump était prévisible : les Etats-Unis ne peuvent pas financer éternellement une guerre en Europe qui affaiblit le camp occidental tandis que la menace chinoise ne cesse de se préciser.
Europe/Etats-Unis : vers une nouvelle répartition des rôles
La balle est désormais dans le camp de l’Europe. La Commission européenne parle de mettre 800 milliards dans la balance. Pourquoi les nation européennes ne l’ont-elles pas fait plus tôt par elles-mêmes ? Des révisions douloureuses attendent les Européens .
Mais le problème n’est pas qu’une question d’argent : il s’agit surtout de savoir combien d’hommes l’Europe est prête à mobiliser et à équiper car une guerre ne se gagne pas par procuration. Si les Européens considèrent que le front ukrainien représente un enjeu vital pour leur avenir, alors il leur revient de se prendre en charge. Cela implique de créer une armée digne de ce nom, de produire en masse des chars et des avions et, surtout, d’accepter d’avoir les mains sales. Car la guerre n’est pas une affaire de bons sentiments : il faut être prêt à détruire son ennemi et accepter de coûteux sacrifices.
Les Européens sont-ils capables de mettre en œuvre un tel programme ? Rien n’est moins sûr. Si ce n’est pas le cas, alors autant arrêter tout de suite les gesticulations grandiloquentes et abandonner les Ukrainiens à leur triste sort. Sinon, il faut cesser de se lamenter sur la trahison des Etats-Unis et admettre que l’Occident doit désormais se partager le travail. L’alliance entre les Etats-Unis et l’Europe n’est pas finie mais elle doit se transformer. C’est aux Européens de s’occuper du problème russe. L’Europe aux Européens.