Dissolution ou transformation ? L’avenir du PKK au Kurdistan irakien
Après plus de quarante ans de lutte armée contre l’État turc, le PKK a accepté un cessez-le-feu et envisage sa dissolution. Le mouvement est basé au Kurdistan irakien, et c’est là que se jouera son avenir.

Dès le lancement de sa lutte armée contre le gouvernement turc en 1984, la guérilla du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a installé ses bases dans les montagnes du Kurdistan irakien. Avec les années, c’est là que le conflit armé s’est principalement délocalisé, provoquant nombre de déplacements forcés et de victimes civiles. À l’heure de l’ouverture d’un nouveau processus de paix entre la Turquie et le PKK, c’est aussi, en bonne partie, dans la partie irakienne du Kurdistan que se joue l’avenir de l’organisation.
Le 27 février dernier, Abdullah Öcalan, 75 ans, fondateur et leader du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), emprisonné sur l’île turque d’Imrali depuis 1999, a appelé son organisation à mettre en place un cessez-le-feu puis à se dissoudre.
Cette déclaration historique nourrit l’espoir de voir s’achever un conflit qui a fait plus de 40 000 morts en quatre décennies.
De la Turquie au Kurdistan irakien
Au crépuscule du 15 août 1984, trente-six hommes armés sortent du hameau abandonné de Mivroz, au creux des reliefs rocheux et escarpés du nord de l’Irak, traversent la frontière turque et, en quelques heures seulement, atteignent le village d’Eruh. Dans la nuit tombante, un groupe de combattants prend d’assaut la caserne militaire de la bourgade, tandis qu’un autre entre dans la mosquée pour déclamer un message via les haut-parleurs. Que les villageois ne prennent pas peur, annoncent les soldats : ils sont là pour les libérer du « fascisme colonial turc » et pour faire advenir « une société démocratique » fondée sur « l’indépendance nationale » kurde.
Ces militants du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), près de six ans après la fondation de l’organisation en 1978, déclarent ce jour-là, officiellement, le début de la lutte armée contre le gouvernement turc.
Le PKK est un organisme politique armé né en Turquie de l’association de militants kurdes souhaitant lutter contre le gouvernement d’Ankara (au départ, le but est d’obtenir l’indépendance du Kurdistan entier, mais au cours des années 2000, cet objectif évolue pour privilégier l’autogestion localisée au sein même des États, conformément aux préceptes du « confédéralisme démocratique » développé par Ocalan). Toutefois, sa lutte s’est rapidement délocalisée dans les pays voisins, à l’image de cette première offensive orchestrée par le PKK depuis les montagnes du Kurdistan irakien. Aussi, c’est peut-être là, entre autres, que pourrait se jouer le futur de l’organisation : dissolution ou transformation ?
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Le Kurdistan irakien, plus qu’une base arrière pour le PKK
De fait, bien plus qu’une simple base arrière, le Kurdistan irakien accueille depuis les années 1980 non seulement les troupes du PKK, mais également ses quartiers généraux retranchés dans les Monts Qandil, réputés imprenables et situés dans l’est, près de la frontière avec l’Iran. Cette présence de la guérilla sur le sol irakien est d’abord le fruit de la supériorité militaire de l’armée turque qui est parvenue, à mesure que le conflit s’embrasait, à repousser les unités du PKK hors de son territoire.
Très tôt, Abdullah Ocalan scelle des accords avec les groupes armés locaux, eux-mêmes aux prises avec Bagdad : avec le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) dès 1983, puis avec l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) en 1988. Ces alliances de circonstance vacilleront l’une après l’autre, entraînant des affrontements armés sanglants entre les différentes factions au cours des années 1990.
Vers la même période, le PKK trouve un terrain d’entente avec Saddam Hussein, alors à la tête de l’Irak, qui autorise la guérilla à maintenir ses bases militaires à la frontière turque en échange d’informations sur les mouvements des rebelles du PDK.
Pourtant, en parallèle, les autorités de Bagdad laissent le champ libre à Ankara pour mener des frappes sur les positions du PKK dans un périmètre de 5 kilomètres à l’intérieur du territoire irakien.
Aujourd’hui, le conflit s’est de facto déporté au Kurdistan irakien. Si le PKK continue sporadiquement de frapper directement en Turquie – par exemple, à l’automne 2024, un commando-suicide avait attaqué le siège des industries de défense turque –, la majeure partie des combats opposant la guérilla aux forces armées turques se déroulent dans les monts Matine et les monts Gara, situés dans le nord de l’Irak.
Depuis le printemps 2022, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan est engagé dans une offensive dite « Claw-Lock » qui vise à établir un « corridor de sécurité » à la frontière turco-irakienne, ainsi qu’à sécuriser le passage d’une future « route du développement » devant relier le port irakien de Bassora, dans le golfe arabo-persique, à la Turquie puis à l’Europe à horizon 2028. Les affrontements et les bombardements turcs ont provoqué de nombreux déplacements forcés et près de 78 morts civils dans le Kurdistan irakien depuis 2022, d’après l’ONG Airwars.
Depuis peu, après une série de négociations avec Ankara, les autorités irakiennes ont officiellement interdit l’organisation du PKK sur leur sol.
Le temps des négociations
Les conséquences d’une éventuelle cessation des hostilités entre le PKK et la Turquie pourraient donc en premier lieu se faire sentir au Kurdistan irakien, où plusieurs milliers de civils espèrent pouvoir retourner dans leurs villages. À la suite de la déclaration historique d’Abdullah Ocalan, le PKK a annoncé depuis sa base de Qandil un cessez-le-feu unilatéral s’appliquant à ses « forces principales en Turquie » mais aussi « à toutes les structures, ainsi qu’aux équipes spéciales de fedai (escadrons suicides), aux YPS (unités de défense civile), aux MAK (unités du martyr Aziz Güler) et aux autres unités d’autodéfense ».
Néanmoins, la possibilité d’une véritable dissolution continue de dépendre, d’après le groupe, d’une éventuelle libération de son leader et de l’instauration en Turquie de « politiques démocratiques et de bases légales » devant assurer la mise en place du processus de paix. Des exigences pour l’heure jugées inacceptables par Ankara, qui a exigé le 6 mars dernier une dissolution « immédiate et sans condition » du PKK.
Les représentants des partis kurdes qui se partagent le pouvoir au sein du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK, l’entité autonome fédérale du nord de l’Irak) jouent un rôle certes périphérique mais néanmoins important pour le futur du PKK, de ses combattants et de ses sympathisants dans la région.
Cette mission d’intermédiaire entre la guérilla et les autorités turques avait déjà été endossée, dans les années 1990, par le leader historique de l’UPK, Jalal Talabani, ce qui avait permis d’aboutir à la première déclaration de cessez-le-feu unilatéral de la part de la guérilla en 1993. Récemment, une délégation de députés turcs (issus du parti kurde Parti démocratique des peuples, DEM) en charge en leur nom propre, mais avec l’aval d’Ankara, du dialogue avec Abdullah Ocalan a rencontré à plusieurs reprises les chefs du PDK et de l’UPK, ainsi que le président du GRK Nechirvan Barzani, pour faire avancer les discussions sur le sort d’Ocalan et l’avenir du PKK.
Si le rôle exact que jouent les autorités kurdes irakiennes dans les négociations reste difficile à discerner, un processus de paix entre le gouvernement turc et le PKK pourrait également jouer sur le traitement des sympathisants de la guérilla au Kurdistan irakien. C’est que depuis quelques années, et notamment à la suite d’une forme d’âge d’or du PKK dans la région après l’engagement de ses combattants contre l’État islamique, les militants s’inscrivant dans la mouvance pro-PKK ont été férocement criminalisés en Irak. Les partis politiques adhérant à l’idéologie d’Abdullah Ocalan ont été interdits, à l’image du Kurdistan Society Freedom Movement (Tevgera Azadî) qui s’est vu interdire d’activité en août 2024, les assassinats ciblés se sont démultipliés et de nombreux activistes et journalistes ont été arrêtés.
Outre l’espoir d’un allègement de leur traitement souhaité par les organisations civiles sympathisantes du PKK, certaines sources liées aux autorités du Kurdistan irakien ont fait valoir la possibilité que le GRK offre l’asile politique aux cadres supérieurs du PKK qui ne pourraient bénéficier d’une amnistie en Turquie dans le cadre du processus du paix. Reste à savoir quelle serait la forme que pourrait prendre cet accueil, et si les activités politiques du parti pourraient elles aussi s’adapter à ces nouvelles configurations. On l’aura compris : aujourd’hui comme hier, c’est aussi dans les montagnes du Kurdistan irakien que se joue l’avenir du PKK.
Reste à savoir ce qu’une potentielle dissolution du PKK pourrait signifier pour l’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES), à dominante kurde, qu’Ankara accuse d’être affiliée au PKK. À la suite des déclarations d’Ocalan, Mazlum Abdi, le chef des file des Forces démocratiques Syriennes (FDS), la branche armée de l’AANES, a déclaré que ses troupes en Syrie n’étaient pas concernées par l’appel au désarmement, tout en rappelant la nécessité d’un cessez-le-feu dans la région.
Iris Lambert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.