Euthanasie: même un libéral ne pourrait voter la loi Falorni

Un libéral ne peut pas soutenir la loi Falorni car elle viole les principes de liberté, en imposant l’aide à mourir aux établissements médico-sociaux, et de responsabilité, en faisant porter à la collectivité les conséquences matérielles et financières de choix individuels... L’article Euthanasie: même un libéral ne pourrait voter la loi Falorni est apparu en premier sur Causeur.

Avr 28, 2025 - 05:28
 0
Euthanasie: même un libéral ne pourrait voter la loi Falorni

Un libéral ne peut pas soutenir la loi Falorni car elle viole les principes de liberté, en imposant l’aide à mourir aux établissements médico-sociaux, et de responsabilité, en faisant porter à la collectivité les conséquences matérielles et financières de choix individuels.


Je suis libéral. J’ai tenté de me soigner ou d’essayer autre chose, avant de me rendre à l’évidence : c’est un mal incurable.

Or, plongé dans le débat du moment, c’est-à-dire la reconnaissance d’un droit à l’euthanasie (ou « aide à mourir », comme on dit maintenant), un libéral pourrait hésiter, godiller, patauger, puis couler. Et ce, même s’il a un léger tropisme conservateur. Alors il lui faut des flotteurs.

Comme les diamants, les libéraux ont de multiples facettes, et s’identifient de bien des manières. Personnellement, je m’en remets à un couple assez simple, basique : liberté/responsabilité. Ce sont donc mes flotteurs pour ne pas me noyer dans le débat sur l’euthanasie. Liberté ? Oui, celle qui « consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Responsabilité ? Oui, la vertu de s’assumer, d’assumer ses actes, sans peser sur autrui par la contrainte, sans être un parasite.

Liberté, responsabilité : une grille qui vaut ce qu’elle vaut mais assez pratique, au final, pour analyser la proposition de loi d’Olivier Falorni sur « la fin de vie » (autre périphrase étrange), que l’Assemblée nationale examinera à partir du 12 mai. Deux mots qui permettent de répondre à la question suivante : un libéral pourrait-il voter ce texte ?

Non.

Même un libéral ne pourrait voter ce texte.

La possibilité légale de recevoir et/ou donner une « aide à mourir » repose sur une position philosophique qui, en tant quel telle, ne contrevient pas aux principes de liberté et de responsabilité. Elle est discutable, bien sûr, et susceptible d’entrer en contradiction avec de nombreux fondements et piliers de l’ordre social. Mais ce n’est pas à proprement parler une pierre d’achoppement pour un libéral.

En revanche, si un individu choisit de se donner la mort, et si un autre accepte de l’y aider, il faut, d’une part que ce soit librement, et d’autre part que l’un et l’autre assument de bout en bout leurs décisions respectives. Bref, liberté et responsabilité.

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Mort sur ordonnance

Concernant la première, le texte de M. Falorni comprend des zones d’ombre, à en croire une majorité de malades, d’aidants et de soignants. Si la loi est adoptée, seuls les individus « aptes à manifester [leur] volonté de façon libre et éclairée » pourront accéder à l’aide à mourir. Comment évaluer la réalité de cette liberté et de cette clairvoyance ? La manipulation mentale, l’abus de confiance, la contrainte insidieuse sont-ils suffisamment pris en compte dans la loi ? Visiblement, les spécialistes de la question n’en sont pas convaincus. La liberté, difficile, risque donc de ne pas être totale et infinie, pour le dire avec les mots d’Emmanuel Levinas. Dès lors, autant s’abstenir, peut-être ?

Quoi qu’il en soit, au moins une disposition de cette proposition de loi va explicitement à l’encontre de la liberté : son article 14. Il contraint en effet les responsables des établissements « mentionnés à l’article L. 312-1 du code de l’action sociale », c’est-à-dire en réalité toutes les structures à caractère social et médico-social, y compris les centres de l’aide à l’enfance et, bien sûr, les EHPAD et autres maisons de retraite, à ouvrir « l’aide à mourir » à ceux qu’ils hébergent. Quid des établissements qui, dans leur charte de fonctionnement, se rattachent à des religions ou courants de pensée hostiles à l’euthanasie ? Priverait-on leurs responsables de leur liberté de conscience et d’opinion ?

Je citais Levinas ; il est aussi le philosophe de la responsabilité. Et, à vrai dire, c’est principalement sur ce terrain-là que la proposition de loi Falorni me parait sidérante. Ce qu’elle soulève, ce ne sont plus des doutes, mais une indignation. Dans une première version, le texte proposait par exemple que la personne volontaire pour administrer la substance létale puisse « bénéficier de séances d’accompagnement psychologique », payées par le contribuable bien sûr, pour atténuer le trauma lié à son acte. On se pince ! Comme dirait Gabriel Attal : tu tues, tu assumes.

A lire aussi, Alexandra Lemasson: La mort en face

Cette disposition ne figure plus dans le texte final mais, hélas, la tendance à infliger à la collectivité, par le truchement de son portefeuille, les conséquences d’un choix individuel y subsiste à plusieurs endroits. C’est le cas de l’article 18, qui oblige la collectivité à assurer la « couverture des frais afférents » à l’aide à mourir. Au nom de quoi les contribuables dans leur ensemble devraient-ils payer une décision individuelle de cette nature ? Si « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », le prélèvement non choisi du moindre centime destiné à permettre à quelqu’un de se donner la mort constitue une nuisance. J’ajoute, entre parenthèses, que le même raisonnement devrait s’appliquer à tous les soins non vitaux qu’impliquent certains modes de vie choisis en toute connaissance de cause, y compris les avortements de confort ou la PrEP délivrée gratuitement aux adeptes du nomadisme sexuel pour éviter de contracter le SIDA. Certes, un être humain n’est pas toujours capable de « s’empêcher », comme disait Camus. Dont acte. Mais il doit assumer, et pas avec mon argent.

Dans le même ordre d’idée, l’article 18 interdit aux professionnels de santé qui acceptent de pratiquer l’euthanasie de procéder à des dépassements d’honoraires. En quel honneur ? Pourquoi la liberté des uns de recourir à l’aide à mourir limiterait la liberté des autres de fixer comme ils l’entendent le salaire de leur besogne – surtout une telle besogne ?

Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, son rédacteur prétend que cette dernière « a vocation à devenir une grande et belle loi de liberté, d’égalité et de fraternité. » Pour la liberté, on l’a vu, c’est discutable. Quant à l’égalité et la fraternité, comme souvent en France, elles ne sont servies qu’aux dépens de la responsabilité. En réalité, cette loi ne reconnaîtrait pas la véritable autonomie, mais fabriquerait un droit-créance supplémentaire, que d’autres devraient honorer – moralement, matériellement, financièrement. Et cela, un libéral conséquent ne peut s’y résoudre.

Bullshit Bienveillance: Enquête sur la psychologie positive à l'école

Price: 21,00 €

1 used & new available from 21,00 €

L’article Euthanasie: même un libéral ne pourrait voter la loi Falorni est apparu en premier sur Causeur.