Ce que pourraient gagner des patrons en étant proches d’un président : enquête sur le cas Sarkozy
Qu’ont pu gagner les grands patrons proches de Nicolas Sarkozy lors de son élection en 2007 ? Une étude estime les gains potentiels dont auraient pu bénéficier les membres du premier cercle ou leurs entreprises.

L’actualité française est marquée par le procès de Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, accusé de financement illégal de campagne et de corruption. Deux recherches académiques analysent les bénéfices potentiels dont auraient pu profiter certains grands patrons proches de l'ancien président au moment de son élection en 2007.
Dans une étude, co-écrite avec Renaud Coulomb et publiée en 2014 dans le Journal of Public Economics, nous avons analysé l’impact de l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, en 2007, sur la valeur des entreprises détenues ou dirigées par ses proches.
Pour ce faire, nous avons estimé la corrélation entre l’évolution de la probabilité de victoire de Nicolas Sarkozy et les rendements anormaux des entreprises cotées à la Bourse de Paris au cours des mois qui ont précédé l’élection. Ces rendements anormaux sont calculés en comparant les fluctuations des cours boursiers des entreprises cotées à celles prédites pour chaque entreprise par l’évolution globale du marché.
Nous avons identifié un ensemble de 23 entreprises du SBF 120 (l’indice boursier rassemblant les 120 plus grandes entreprises françaises cotées) qui étaient dirigées ou détenues majoritairement par des proches de Nicolas Sarkozy. Ces derniers sont issus d’une liste de 21 personnes que nous avons construite à partir d’articles de presse et d’ouvrages de journalistes politiques qui ont documenté les liens de Nicolas Sarkozy avec des personnalités du monde des affaires. La majorité d’entre eux étaient présents au Fouquet’s, le 6 mai 2007, lorsque Nicolas Sarkozy y a célébré sa victoire en compagnie de ses proches.
Les résultats montrent que les entreprises des amis de Nicolas Sarkozy ont vu leur valeur augmenter de 3 % en moyenne en raison de sa victoire électorale. En comparaison, la valeur des entreprises simplement considérées comme susceptibles de bénéficier des mesures annoncées dans son programme ne s’est accrue que de 2 % en moyenne. Ces résultats impliquent que, du point de vue d’une entreprise, la valeur d’un lien personnel avec le président de la République est supérieure à, ou au moins aussi importante que, celle des réformes économiques envisagées qui lui serait favorables.
L’analyse permet également de chiffrer la valeur totale des liens d’amitié avec Nicolas Sarkozy. Celle-ci s’élève à au moins 10 milliards d’euros de 2007. En comparaison, la valeur totale induite pour les entreprises par les réformes annoncées dans son programme ne s’élève qu’à 6 milliards d’euros.
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Bien que les données analysées ne permettent pas de déterminer pourquoi ou comment les entreprises peuvent tirer avantage des liens d’amitié de leurs dirigeants avec Nicolas Sarkozy, la littérature académique suggère que de telles connexions offrent un accès préférentiel aux marchés publics, la possibilité d’influencer les politiques économiques et des opportunités d’affaires uniques.
La simple existence d’une valeur positive de ces liens fondés sur l’amitié et les relations personnelles plutôt que sur le bénéfice escompté des réformes planifiées soulève des questions concernant l’équité des politiques publiques et la manière de garantir que le pouvoir économique ne soit pas concentré dans les mains de cercles restreints.
Quand les réseaux protègent de la justice : le sentiment d’impunité
Dans une autre étude, publiée en 2021 dans le Journal of the European Economic Association et co-écrite avec Thomas Bourveau et Renaud Coulomb, nous avons examiné les comportements de trading de dirigeants d’entreprises cotées liés à Sarkozy au cours de l’année 2007 et cherché à déterminer si un sentiment d’impunité, né de la proximité avec le nouveau président de la République, a pu conduire ces dirigeants à commettre des délits d’initiés.
Commettre un tel délit peut être considéré comme un choix rationnel pour certains dirigeants si les gains financiers attendus sont plus importants que les risques qu’ils encourent. Si les connexions politiques peuvent éviter des poursuites judiciaires, ou alléger d’éventuelles sanctions, les dirigeants disposant d’appuis dans le monde politique pourraient se livrer davantage aux délits d’initiés.
Notre analyse couvre l’ensemble des dirigeants et membres des conseils d’administration des entreprises cotées en France qui ont acquis ou cédé des actions de leur entreprise sur la période 2006-2008. Au total, notre échantillon contient 10 914 opérations financières enregistrées par l’Autorité des marchés financiers (AMF) et réalisées par 1 827 dirigeants d’entreprises cotées.
Nous avons identifié les dirigeants et membres des conseils d’administration d’entreprises cotées liés à Nicolas Sarkozy à partir de la liste des grands donateurs de l’UMP révélée par Mediapart, en 2012, et de la liste des amis de Nicolas Sarkozy précédemment évoquée. Au total, 49 dirigeants d’entreprises qui ont acheté ou vendu des actions de leur société, contributeurs de campagne ou amis, sont retenus comme étant liés à Nicolas Sarkozy.
Notre analyse repose sur la comparaison de l’activité financière des dirigeants connectés à Nicolas Sarkozy à celle d’autres dirigeants sans lien avec ce dernier, et de leurs évolutions avant et après l’élection présidentielle de 2007.
Les trois principaux résultats obtenus offrent un faisceau d’indices concernant le rôle joué par les connexions politiques sur les délits d’initiés des dirigeants d’entreprises.
Nous avons tout d’abord calculé les réactions des marchés boursiers à l’annonce des transactions effectuées par les dirigeants d’entreprises cotées, et nous avons comparé celles ayant suivi les transactions des dirigeants liés à Nicolas Sarkozy à celles qui ont suivi les transactions d’autres dirigeants. Les marchés réagissent plus fortement aux opérations des dirigeants liés à Nicolas Sarkozy après son élection. Cela suggère que ces opérations contiennent davantage d’informations privées.
Ensuite, nous avons calculé la fréquence avec laquelle les dirigeants enfreignent les règles de l’AMF qui imposent que les opérations soient déclarées dans un délai de 5 jours ouvrés. Les dirigeants proches de Nicolas Sarkozy se sont révélés plus enclins à enfreindre ces règles après l’élection présidentielle.
Enfin, nous avons calculé, pour chaque transaction effectuée, le temps qui la sépare de la prochaine annonce de résultats de l’entreprise concernée. Notre analyse montre que les dirigeants liés à Nicolas Sarkozy ont eu, après l’élection, davantage tendance à acheter et vendre les actions de leur entreprise plus près des annonces de résultats.
L’interprétation de ces résultats appelle certaines précautions, car ils ne permettent pas d’identifier des délits d’initiés avérés. Ils constituent en revanche des indices concordants qui suggèrent que le comportement financier des dirigeants liés à Nicolas Sarkozy a été modifié par l’élection de ce dernier. Et la nature du changement de comportement observé est susceptible de refléter un sentiment d’impunité renforcé par leur proximité avec le pouvoir.
Les données que nous avons analysées ne permettent pas de calculer précisément le gain total que les dirigeants liés à Nicolas Sarkozy ont pu réaliser dans le cadre des opérations étudiées suite à l’élection de 2007. Une approche indirecte nous a cependant permis d’estimer imparfaitement que ce gain s’élève à environ 43,4 millions d’euros de 2007. Cela représente en moyenne 886 000 euros par dirigeant, soit au moins 20 % de la rémunération annuelle de ceux d’entre eux qui ont les revenus les plus élevés.
Nicolas Sarkozy : un catalyseur d’opportunités systémiques
Le cas de Nicolas Sarkozy illustre de manière saisissante comment une proximité au pouvoir politique peut structurer des réseaux d’opportunités économiques systémiques. Les résultats présentés ici suggèrent que les relations entre personnalités politiques et des affaires sont bien à double-sens : la politique et l’économie s’entrelacent pour façonner des dynamiques de pouvoir.
Les liens de Nicolas Sarkozy avec le monde des affaires sont avérés et ont été largement documentés. Il peut, à cet égard, apparaître comme un cas particulier, voire extrême, parmi l’ensemble des relations possibles entre affaires et politique. La valeur des relations personnelles pour les uns et les autres semble néanmoins si importante qu’il paraît important de réaffirmer l’importance de la transparence pour limiter de potentielles alliances stratégiques.
Pour garantir la confiance dans les institutions, la transparence des relations entre politique et économie doit être renforcée et être accompagnée d’une surveillance réglementaire indépendante. Ces mesures, combinées à une justice impartiale et efficace, sont essentielles pour protéger les institutions.
Le projet de recherche menant à l'étude présentée a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR-17-EURE-0020)