Ce que cachent les dix-sept mille nouveaux baptisés
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On a trop peu parlé du nombre exceptionnellement élevé de baptêmes d’adolescents et d’adultes célébrés lors des fêtes pascales, en France, vite éclipsé par le décès d’un pape hélas plus porté à soutenir l’islamisation d’une Europe qu’il qualifiait de « vieille femme stérile », qu’à encourager les nouveaux baptisés. Ces derniers sont pourtant plus de dix-sept mille. Plus que la totalité des adhérents des Écologistes (ex-EELV), et on connaît l’influence de ce parti et de son idéologie !
Jeunesse radicale
D’après les quelques analyses publiées, ces baptêmes – comme la fréquentation inhabituellement élevée des messes des Cendres – répondent à une vraie soif métaphysique, mais aussi à un besoin identitaire. C’est heureux : tout christianisme européen sérieux est nécessairement identitaire.
« On reconnaît un arbre à ses fruits » enseignent les évangiles (Mathieu 7:16-17, Luc 6:44). Alors disons-le tout net : si un millénaire et demi d’empreinte profonde du christianisme sur l’Europe n’a pas produit de fruits qui vaillent d’être préservés, et non balayés par la déconstruction « progressiste » ou « l’enrichissement culturel par la diversité qui est une chance », c’est que le christianisme n’a rien à apporter au monde. Mais si on affirme que le christianisme est capable de rendre l’Homme meilleur, alors il est impossible de prétendre qu’en quinze siècles il n’aurait pas inspiré à la chrétienté des réalisations – métaphysiques, philosophiques, culturelles, artistiques, sociales – dignes d’être admirées, défendues, transmises, et de servir à leur tour de sources d’inspiration. Et on se devra même, alors, de préserver tout ce qui a contribué à faire la noblesse du christianisme, même ce qui n’est pas en soi d’origine chrétienne. Longtemps, nous avons célébré ainsi les Neuf Preux : trois héros païens (Hector, Alexandre, César), trois héros juifs (Josué, David, Judas Maccabée), trois héros chrétiens (Arthur, Charlemagne, Godefroi de Bouillon). C’est ensemble (et avec les Neuf Preuses) qu’ils incarnaient l’élan chevaleresque, l’une des plus nobles réalisations humaines.
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Jean-Paul II disait en 1997 : « l’identité humaine de Jésus se définit à partir de son lien avec le peuple d’Israël, avec la dynastie de David et la descendance d’Abraham. (….) Autrement, le Christ aurait été comme un météore tombé accidentellement sur la terre et privé de tout lien avec l’histoire des hommes. » Cette mention papale de « l’identité humaine de Jésus » n’est pas seulement une reconnaissance du fait que, pour se faire homme, le Dieu chrétien a choisi de se faire Juif. C’est aussi une déclaration profondément identitaire. C’est le constat que l’inscription de la personne dans une filiation, un peuple, une culture, en somme une identité, est bien ce qui distingue tout homme, fut-il le Fils de l’Homme, d’un « météore tombé accidentellement sur la terre. »
De même qu’il ne faut pas oublier que Yeshua Bar-Yosef était Juif, de même avoir conscience du génie de Saint Thomas d’Aquin et de la pertinence de son enseignement, suppose de reconnaître le génie et la pertinence d’Aristote. Donc le génie de ce qui a nourri et forgé Aristote, cette Grèce Antique dont Benoît XVI affirmait (en 2006, dans son remarquable discours de Ratisbonne) que « la rencontre du message biblique et de la pensée grecque n’était pas le fruit du hasard. »
Dans ce discours, Benoît XVI exposait aussi plusieurs différences de fond entre le christianisme et l’islam, ce que l’Église gagnerait à enseigner explicitement aux nouveaux baptisés. Le Monde parle en effet d’une « jeunesse catholique en quête de radicalité » : « par effet de mimétisme avec l’islam autant que par volonté d’affirmation identitaire, les jeunes qui demandent le baptême sont souvent à la recherche de cadres stricts dans leur pratique religieuse et quotidienne », ce que semblent confirmer plusieurs témoignages. Que des jeunes prennent au sérieux les pratiques et les rites de la religion qu’ils ont choisie n’a évidemment en soi rien de négatif, bien au contraire. Pour ma part, j’y vois un refus bienvenu du laisser-aller vulgaire de la post-modernité, le besoin de s’ancrer dans la tradition et de donner du poids, de la gravité, à son rapport au sacré. Ceci étant, le catholicisme perdrait son âme s’il oubliait qu’il s’est construit contre le pharisaïsme, et que « le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2:27). Entre christianisme et islam, il n’y a pas seulement des règles différentes, il y a un rapport radicalement différent aux règles, et même : des règles de natures différentes y compris lorsqu’elles sont d’apparences semblables.
La grande différence avec l’islam
Rémi Brague rappelle ceci (Sur l’islam) : « On connaît la question controversée depuis Platon : savoir si Dieu veut le bien parce qu’il est bien, ou si le bien est bien parce que Dieu le veut. Les penseurs de tradition chrétienne choisissent le plus souvent le premier terme de l’alternative. (….) L’islam, au contraire, se prononce en la majorité de ses penseurs pour le second : les valeurs dépendent entièrement de l’arbitraire divin. »
Dans l’islam, la règle est arbitrairement fixée par Allah, et n’a donc pas de valeur intrinsèque objective, pas d’autre but que de démontrer la soumission du croyant à celui qu’il vénère, et d’obtenir ses faveurs.
Dans le christianisme, la règle a pour but de rendre l’Homme objectivement meilleur en le guidant vers l’accomplissement de sa dignité ontologique. Laquelle, ainsi que l’explique Pierre Lory (cité par Rémi Brague), n’existe pas aux yeux de l’islam : « Pour l’islam, ce qui fait en effet qu’un homme est un homme, ce n’est pas une constitution naturelle, perdurant en toute circonstance ; mais c’est un statut précis que l’intention divine lui a attribué pour un moment déterminé. Que cette intention divine se modifie, et le statut de la créature changera du même coup. »
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À un athée affirmant que tout croyant se cherche un maître, j’ai fait remarquer que c’est probablement vrai à condition de se souvenir que le mot « maître » peut désigner deux réalités opposées : celui qui a des esclaves, et celui qui a des disciples. « Que Ta volonté soit faite » n’est pas une renonciation à la liberté ni une démission face au devoir de discernement, c’est le choix de la confiance. Allah veut l’Homme soumis, le Christ veut l’Homme saint. Si l’Église oublie d’affirmer cette distinction cruciale, ou s’interdit de le faire (par exemple au nom du « dialogue »), elle ne pourra que décevoir ceux qui se tournent aujourd’hui vers elle.
Le pape François et « les autres »
François – il faut tout de même parler aussi de lui – se disait le pape des périphéries, le défenseur des faibles et des oubliés. Le fut-il vraiment ? Eut-il jamais une seule prière pour Thomas, Lola, Enzo, Philippine, ou Claire ? Eut-il jamais un geste pour ces chrétiens presque systématiquement oubliés, peut-être les plus oubliés et parmi les plus persécutés de tous les chrétiens aujourd’hui, que sont les ex-musulmans convertis au christianisme ?
Dans son encyclique « Fratelli tutti », l’anti-discours de Ratisbonne, François citait comme source d’inspiration le Grand Imam d’Al-Azhar, Ahmed Al-Tayyeb. Un homme que feu le Souverain Pontife appelait « frère » et « ami ». Un homme qui a validé la caution morale apportée par Al-Azhar au pogrom du 7-Octobre. Un homme qui confirmait en 2016 que les quatre courants orthodoxes de l’islam sunnite appellent à mettre à mort les apostats de l’islam, c’est-à-dire les musulmans qui quittent l’islam, qu’ils deviennent athées, agnostiques, libres-penseurs, ou qu’ils se convertissent à une autre religion, christianisme compris. L’islam est aujourd’hui la seule religion au monde au nom de laquelle des États punissent de mort l’apostasie (de nombreux autres pays musulmans la sanctionnent par la perte de tout ou partie des droits civiques, parfois par la prison). En France, nombre d’apostats de l’islam témoignent des pressions, du harcèlement, voire des violences qu’ils subissent. François s’est-il une seule fois soucié d’eux, ne serait-ce que des chrétiens parmi eux, ne serait-ce que des catholiques parmi eux ?
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Beaucoup de ces apostats en revanche (y compris des athées qui démasquent avec autant de verve que de courage ce qu’ils ont eu la force d’âme de quitter, mais qui mettent parfois un peu trop vite tous les cultes sur le même plan) œuvrent pour nous tous : incarner la liberté de conscience et dénoncer un obscurantisme qui tente de l’étouffer, c’est servir la dignité de tous les hommes.
Avant que se ferment les portes du conclave, je souhaite à tous les catholiques, et en particulier aux dix-sept mille nouveaux baptisés de France, que le futur pape soit un homme capable de reconnaître, d’aimer et de respecter les meilleurs fruits du christianisme, y compris la chrétienté, y compris la civilisation européenne. Un homme gardien de la liberté de conscience, nécessaire à la foi car la foi est confiance, et la confiance ne peut être que librement donnée. Un homme, dès lors, qui saura honorer cette liberté, défendre les civilisations qui la promeuvent, et s’opposer aux idéologies qui la piétinent.
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