Le palais, ou les pompes du pouvoir
Depuis l'Antiquité, le pouvoir s'incarne en un lieu : le palais, qui s'impose par son architecture, ses décors et son protocole. Thierry Sarmant retrace cette histoire, des châteaux mérovingiens à l'Élysée d'Emmanuel Macron en passant par le Versailles de Louis XIV et... l'Hôtel du Parc du maréchal Pétain... L’article Le palais, ou les pompes du pouvoir est apparu en premier sur Causeur.

Depuis l’Antiquité, le pouvoir s’incarne en un lieu : le palais, qui s’impose par son architecture, ses décors et son protocole. Thierry Sarmant retrace cette histoire, des châteaux mérovingiens à l’Élysée d’Emmanuel Macron en passant par le Versailles de Louis XIV et… l’Hôtel du Parc du maréchal Pétain.
La République s’enorgueillit de ses palais bâtis par et pour nos rois et nos empereurs. L’Élysée ? Un (vaste) hôtel particulier. En visite sous la Restauration, le grand-duc Nicolas, frère du tsar, vantait « l’avantage d’avoir un charmant petit jardin » (sic). Quand Emmanuel Macron veut éblouir, c’est à Versailles qu’il reçoit, sous les ors du Roi-Soleil, « cadre d’apparat pour les grandes visites officielles ».
Conservateur aux Archives nationales et ancien directeur des collections du Mobilier national, Thierry Sarmant remet en perspective cette relation à la représentation du pouvoir, telle qu’elle s’incarne, en France, depuis la fin de l’Antiquité. De fait, les édifices palatiaux, leurs architectures, leurs décors, leurs objets sont généralement étudiés dans la limite d’une période historique donnée, non dans leur continuité. S’y croisent des logiques complexes : contraintes socioéconomiques, ambitions (voire prétentions) de leurs « locataires », contexte international, combinaisons dynastiques, enjeux diplomatiques… Au-delà de l’analyse de leurs dispositifs architecturaux et décoratifs, Sarmant éclaire d’un œil neuf ce qu’il appelle l’« écosystème des palais » : travaux, manufactures, ravitaillement, artisanat, industrie, domesticité, soldatesque – toute une administration, une économie, une intendance sont solidaires de leur fonctionnement.
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Le palais mérovingien, pourtant institution majeure du royaume des Francs, n’est « ni un monument d’architecture ni un haut lieu des arts décoratifs ». Charlemagne assoit son palais d’Aix-la-Chapelle sur un double modèle, romain et byzantin. Souverains nomades comme leurs prédécesseurs, les rois capétiens itinèrent de villégiatures de chasse en abbayes… « L’architecture du pouvoir passe de la villa héritée de l’Antiquité romaine au château féodal », « les tours deviennent un élément signifiant du château ou du palais », dans un dispositif d’enceintes partout similaire. À Paris, le palais de la Cité figure le prototype achevé.
Puis surgit le premier Louvre, dans le contexte de la guerre de Cent Ans, des rébellions intestines et des conflits seigneuriaux dans un Paris qui « n’est plus une ville sûre, moins en raison d’un possible coup de main anglais qu’à cause de la turbulence de ses habitants ». D’où « les trois grands chantiers menés sous les premiers Valois : au Louvre, à l’hôtel Saint-Pol [disparu] et à Vincennes ». Le règne de Charles V amorce la « civilisation de cour, amie du luxe, du confort et de la mode », et le Val de Loire devient, d’un château l’autre, le lieu d’un incessant « cortège de chariots où sont transportés meubles et tentures », dans le « faste occasionnel » que président tour à tour Charles VII, Louis XI, Charles VIII, tandis que croissent les effectifs d’une « maison du roi » où « le mobilier proprement dit, dans le sens actuel du mot, demeure peu présent » encore.

Sarmant ne voue nulle tendresse à François Ier, « piètre politique, chef de guerre catastrophique, d’une intelligence plus que moyenne », ouvrant « la longue liste des dirigeants “sous influence” de l’ère moderne ». Au crédit du sire qui « ne tient pas en place », promoteur d’une « politique architecturale à la fois ambitieuse et désordonnée », l’historien porte, tout de même, outre les châteaux parisiens disparus de Madrid et de La Muette, les « monuments fabuleux » que sont Chambord, Fontainebleau – et le Louvre ! Mécène boulimique, François Ier « entend éblouir l’Europe par le luxe de ses courtisans, l’extravagance de ses fêtes et l’ampleur de ses bâtiments », alliant tradition nationale et inspiration italienne : « trop de chantiers pour en mener un seul à son terme » !
Dans une synthèse érudite, Thierry Sarmant file la chronologie des demeures édilitaires, du Louvre d’Henri IV au palais des Tuileries, du « mystère Versailles », cette fabuleuse « création continue », au pitoyable… Hôtel du Parc vichyssois, en passant par Marly, Meudon, Saint-Germain, Compiègne, Rambouillet, Saint-Cloud… ou encore par ce fantomatique « Palais du Roi de Rome », colossale architecture de papier dessinée par Percier et Fontaine pour le fils de Napoléon et qui ne sera jamais bâti sur la colline de Chaillot.
Le Palais-Cardinal (Palais-Royal) a quasi disparu, la Révolution a sabordé le Garde-Meuble (Hôtel de la Marine), la Restauration, en décalquant « assez étroitement le décorum de l’Empire déchu » s’est accommodée des Tuileries, joyau que la Commune de Paris réduira en cendres, après que Napoléon III et Eugénie ont ouvert « le temps des palais-musées ».
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Les derniers chapitres font la part belle aux improbables mues de ce « palais ambigu » qu’est l’Élysée. Luxueusement remodelée par Murat en son temps, somptueusement agrandie lors de l’Exposition de 1867 pour y loger le tsar, la demeure, à l’heure où s’effondre le Second Empire, redevient « palais présidentiel en quelque sorte par défaut ». Il faut attendre 1873 pour que Mac Mahon en fasse définitivement la résidence présidentielle. En 1900, soucieux d’asseoir le prestige républicain, Felix Faure commande la « grille du Coq ». De Gaulle, en 1959, lorgne plutôt vers les Invalides ou Trianon, mais se résout à camper dans cet « Élysée mal-aimé ».

Le 55, rue du Faubourg-Saint-Honoré abritera la revanche des « modernes sous Pompidou », la revanche du « grand style » sous un Valéry d’Estaing se rêvant en monarque, la revanche du pisse-vinaigre sous Mitterrand, la revanche du « fashion » sous « les Macron » (sic), couple lancé : « adieu vases, adieu bougeoirs, adieu bibelots » ! La salle des fêtes, désormais « vaste kiosque ouvert sur le jardin », ressemble à « une immense boutique Dior ». De fait, « la révolution décorative macronienne reflète des évolutions culturelles qui vont bien au-delà des palais ». Quid de la Lanterne ? Ah, ça ira.
Thierry Sarmant, Histoire des palais : le pouvoir et sa mise en scène en France du Ve au XXIe siècle, Tallandier, 2025, 560 pages.
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