Cartographie de la laideur
En février dernier, on découvrait qu’un atelier de sculpture risquait la faillite après que le tribunal administratif de Nice lui ordonnait de retirer de la ville sa statue de Jeanne d’Arc, et d’en rembourser le paiement de 170.000 euros. Pourtant, la statue était plutôt réussie. Mais voilà : un élu local a jugé bon de pointer […]

En février dernier, on découvrait qu’un atelier de sculpture risquait la faillite après que le tribunal administratif de Nice lui ordonnait de retirer de la ville sa statue de Jeanne d’Arc, et d’en rembourser le paiement de 170.000 euros. Pourtant, la statue était plutôt réussie.
Mais voilà : un élu local a jugé bon de pointer du doigt que cet atelier n’aurait pas été mis en concurrence lors de l’appel d’offre. Peu importe que la loi permet, dans des cas spécifiques que remplit ici l’atelier Missor, de ne pas passer par un marché public, pour l’élu évidemment écologiste, le fait que des rumeurs placent le sculpteur et son atelier proches de mouvances nationalistes est un affront insupportable, d’autant plus que la statue de style classique et dorée à l’or fin représente une figure chrétienne.
Derrière la figure classique de ces bisbilles de Clochemerle se trouve cependant une énième occurrence de cette lutte contre le beau : dans les cités de France majoritairement dirigées par des progressistes de plus en plus agressifs, il semble maintenant clair qu’une guerre permanente soit faite contre l’art et l’architecture classiques. Utilisant toutes les tubulures chromées des facilités offertes par le Ministère de la Culture, des fonds publics distribués par des départements ou des régions idéologiquement acquis à la cause, et des associations lucratives sans but ou autres organisations non gouvernementales très gouvernementales, les pouvoirs en place font assaut d’inventivité pour favoriser la diffusion d’un art aussi moderne que laid, qui camoufle sa médiocrité dans des explications amphigouriques et une complexité rhétorique artificielle pour hypnotiser le bobo local ou parisien.
Ce n’est pas une exagération. Chaque rond-point majeur, chaque gare un peu coûteuse, chaque infrastructure visible se verra doté (par la loi et par la volonté d’un conseil local ou régional effervescent) d’une « œuvre » le plus souvent hideuse mais dont la facture, adressée au contribuable, ravira tout le petit milieu artistique ainsi que quelques nababs discrets des BTP.
La France qui s’émaillait de châteaux, de ponts, de statues, de calvaires, d’églises ou de cathédrales magnifiques et qui ont fait du pays la première destination touristique du monde devient petit-à-petit un hangar à ciel ouvert de bidules colorés en plastique ou en ferraille, de réalisation architecturales aussi audacieuse que pénibles à l’œil. Lentement mais sûrement, les bâtiments majestueux et les avenues d’immeubles en pierre blanche font place à de subtiles boîtes à chaussure grises en béton armé, tôle ondulée et poutres en acier apparent.
Non seulement le moche, le médiocre, le laid, le gris, le sombre, le caricatural s’étend progressivement partout, mais en plus le font-il au détriment du beau, du classique, des réalisations dont les ratios et les proportions s’inscrivent dans des temps immémoriaux. À Paris, cette tendance s’accompagne d’une destruction obsessionnelle des traces du passé – que ce soit les fontaines, les colonnes publicitaires, les grilles d’arbres ou les barrières des parcs, en plus d’une volonté compulsive de creuser des tranchées dégueulasses, peindre des pistes idiotes, foutre des plots en béton immondes et réorganiser la voirie à délicats coups de pelleteuse.
Le constat est affligeant et ce, d’autant plus que personne ne semble vouloir demander des comptes aux élus, corrompus autant financièrement – certains touchent directement des pots-de-vin pour ces réalisations « artistiques » affreuses – que culturellement lorsqu’ils prétendent aimer et comprendre leurs bouses thermolaquées en place publique.
Cette situation d’impunité ne demande qu’à changer.
Il faut que le laid change de camp, et que les adorateurs du moche soit enfin moqués pour ce qu’ils sont : des imbéciles suffisants, des tartuffes coûteux qui prétendent imposer leur absence de goûts à un peuple millénaire qui a bâti et entretenu des monuments que le monde entier célèbre encore actuellement.
Or, ça tombe bien : il existe à présent Mipmaps, une application qui permet justement d’atteindre ce but.
Mipmaps est une application cartographique web gratuite et participative, visant à cartographier l’esthétique qui nous entoure selon le contexte (les façades/rues en milieu urbain, un paysage en pleine nature, etc). À l’instar de Google Maps, où certains ont l’habitude de donner leur avis sur un lieu tel qu’un restaurant, Mipmaps met en place un moyen participatif de recueillir l’opinion des passants sur l’esthétique architecturale qui les entoure, afin de contester et dénoncer certaines verrues urbaines.
Les utilisateurs peuvent ainsi noter un lieu (de laid à beau), soit en le géolocalisant soit en le cherchant sur la carte et ajouter des photos géolocalisées dans une galerie.
Les données ainsi collectées permettent de noter la perception des territoires par ceux qui les parcourent, en révélant aussi bien les trésors cachés que les endroits à éviter. À terme, on peut imaginer que certaines réalisations pourront ainsi être mieux connues du public (qui paie parfois des fortunes pour certaines d’entre elles), et de faire connaître les ateliers et artisans qui les ont produites, les artistes responsables et, pourquoi pas, les élus qui les ont fait financer.
Il est temps que les œuvres d’art comptant pour rien, les bouses géantes audacieusement thermoformées et courageusement payées par le contribuable soient clairement identifiées et commentées sur les réseaux sociaux et au-delà, peut-être même avec le nom de l’artiste et celui du promoteur (conseil régional, départemental, mairie, j’en passe). Gageons qu’une bonne publicité pour les délires les plus marquants permettra que cessent enfin ces âneries coûteuses. A contrario, quand quelque chose est agréable ou plébiscité, qu’il soit largement diffusé est aussi un intéressant développement.
Et accessoirement, avec une telle application, peut-être seront enfin finies par la presse inféodée les présentations dithyrambiques des errements architecturaux décidées par telle ou telle personnalité publique avec l’argent gratuit des autres…