Bordeaux: une digue a cédé

Lors de la première journée du procès pour le meurtre de Lionel, 16 ans, une violente bagarre a éclaté lundi 12 mai au soir dans le palais de justice de Bordeaux, impliquant une vingtaine d’individus. L’affrontement a provoqué un véritable chaos dans la salle d’audience et les couloirs, blessant plusieurs personnes, dont des policiers et un accusé. Le procès se poursuit « sous surveillance renforcée »... L’article Bordeaux: une digue a cédé est apparu en premier sur Causeur.

Mai 15, 2025 - 17:28
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Bordeaux: une digue a cédé

Lors de la première journée du procès pour le meurtre de Lionel, 16 ans, une violente bagarre a éclaté lundi 12 mai au soir dans le palais de justice de Bordeaux, impliquant une vingtaine d’individus. L’affrontement a provoqué un véritable chaos dans la salle d’audience et les couloirs, blessant plusieurs personnes, dont des policiers et un accusé. Le procès se poursuit « sous surveillance renforcée ».


La première journée du procès d’assises des huit hommes accusés dans la fusillade mortelle de 2021 à Bordeaux s’est ouverte lundi 12 mai. En fin de journée une violente bagarre a éclaté dans l’enceinte même de la cour d’assises de la Gironde lors de ce procès de jeunes hommes jugés pour la mort de Lionel, 16 ans, mortellement blessé lors d’une fusillade, sur fond de rivalités entre quartiers bordelais (où les narcotrafiquants sévissent de plus en plus).

Incidents graves

Il y avait eu des attaques de commissariats, de casernes de pompiers, plus récemment de prisons. On sait qu’il y a une centaine de magistrats protégés. Mais, à part quelques algarades (verbales) dans des tribunaux, jamais notre pays n’avait connu un tel fait. L’envahissement d’un tribunal. Pas n’importe lequel : une Cour d’Assises. C’est-à-dire l’enceinte où l’on juge les crimes !

« À l’issue de la première journée d’audience, des incidents graves ont eu lieu dans la salle d’audience et la salle des pas perdus de la cour d’appel, entraînant en particulier des blessures sur les fonctionnaires de police intervenus pour ramener l’ordre», écrit la cour d’appel dans un communiqué (Le Figaro, 13 mai). Ce qu’il y a aussi de choquant c’est qu’aucune interpellation n’ait eu lieu lors des faits. Lorsque l’on a l’habitude d’assister à des procès d’assises, on se rend compte qu’il y a assez peu de policiers présents. Celle de Bordeaux ne fait pas exception. Là encore le manque criant de moyens explique cela. Suite à ces faits, le parquet a ouvert une enquête pour «violences en réunion» et pour déterminer les circonstances précises de la rixe.

Ce qui s’est passé démontre qu’un certain nombre d’individus n’ont aucun complexe et surtout aucune crainte de venir régler leurs comptes dans un tribunal. «L’atmosphère était étonnamment calme toute la journée. Puis en fin d’audience, on a vu arriver au compte-goutte une vingtaine de jeunes habillés de noir, avec des gabarits de Malabar, qui se sont assis sur un banc au fond de la salle», décrit Me Yann Herrera, qui défend les proches de Lionel Sess. Même si l’entrée est publique dans une cour d’assises (sauf certaines affaires sensibles, par ex pour les mineurs), comment se fait-il que les quelques agents qui étaient là n’aient pas vu le genre d’individus qui rentraient et ne les aient pas dissuadés ? Ils ont bien vu à qui ils avaient à faire. On nous dira que c’eut été un délit de faciès. Eh bien, et au risque de choquer les âmes sensibles, peu importe. Il y a faciès et faciès. On n’a évidemment pas le droit d’interdire l’entrée sur la couleur de peau. Mais on peut, on doit même, interdire l’accès d’un tribunal à des racailles (celles de Bordeaux en avaient le déguisement traditionnel).

Une horde de voyous

Continuons la description de la scène barbare qui s’est déroulée lundi. Alors que la salle se vide, «des dizaines de personnes ont commencé à se battre, dont certaines portaient des gants coqués, dans un sas entre la salle d’audience et la salle des pas perdus, puis dans la salle d’audience elle-même», détaille l’avocat. «Une horde d’une vingtaine de personnes se sont notamment ruées sur mon client, qui a été blessé à l’épaule», décrit à son tour un des avocats des accusés qui comparaissaient libres, Me Grégoire Mouly (Le Figaro ibid). Une scène totalement inédite dans les tribunaux de France et de Navarre ! Les images de la scène, que l’on trouve sur le net, sont proprement hallucinantes. Et totalement inadmissibles.

La cour d’appel de Bordeaux a indiqué que l’audience prévue jusqu’au 23 mai «se poursuivra jusqu’à son terme sous surveillance renforcée». Il faut donc un tel évènement pour que la sécurité d’une cour d’assises soit « renforcée » ? Cela ne devrait-il pas être la règle et le service allégé l’exception ? Notamment sur ce genre de procès.

Lors de la rixe mortelle dans le quartier de Bordeaux, en 2021, un des assaillants avait lancé au gang ennemi : « Vous voulez la guerre ? Vous l’aurez ». Tout est dans cette phrase ô combien révélatrice. Entre ces gangs, il s’agit d’une guerre commerciale totale notamment à cause des territoires. Et sur fond, bien sûr, de narcotrafic. Et c’est au nom de cette activité mortifère, qui fait vivre et prospérer des centaines de milliers de personnes en France (essentiellement, car il y a des consommateurs….) qu’une « guerre » est menée. Et s’il le faut dans un tribunal.

Vers un narco-Etat ?

En novembre 2023, le Sénat a mis en place une commission d’enquête chargée d’évaluer l’impact du narcotrafic en France et de proposer des mesures pour y remédier. Elle a rendu son rapport en mai 2024. Celui-ci a dressé le portrait d’une France submergée par les drogues et identifie les failles qui nuisent aux réponses de l’État. Il s’avère que sur la base de ce rapport (près de 150 personnes ont été auditionnées),  on constate que les chiffres demeurent malheureusement incertains. Ce que l’on sait, c’est que le narcotrafic représente au moins trois milliards d’euros de revenus – les estimations vont jusqu’à six milliards, ce qui atteste une grande marge d’incertitude. Lors de son audition par la commission d’enquête, le ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Bruno Le Maire, avait de son côté chiffré à 3,5 milliards d’euros le bénéfice annuel du narcotrafic en France. Environ 200 000 personnes vivent de ce trafic en France. Et ce chiffre augmente tous les jours. C’est en tout cas le principal marché criminel et le plus rentable. Chaque jour en France se produisent des actes violents voire mortels liés au narcotrafic. Il parait de plus en plus évident que « les trafiquants sont des barbares dont les méthodes sont celles de la traite des êtres humains. Pour garder le contrôle du réseau, ils torturent, ils assassinent »[1].

Il est essentiel de rappeler ici que suite à la demande d’Eurostat, l’institut statistique de la Commission européenne, l’Insee a intégré l’argent de la drogue dans le calcul du PIB. Alors que ce choix peut interpeler car il « valide » en quelque sorte cet argent, deux collègues ont expliqué que « cela permet de mettre des chiffres, fondés sur un modèle de calcul, derrière une réalité qui se dérobe à l’observation et donc difficile à évaluer. C’est aussi un moyen pour les autorités qui luttent contre le trafic de drogues et le blanchiment de mieux appréhender la question du trafic et de son financement[2] ».

Alors oui, une digue a cédé. Quand on s’en est pris à des enseignants, à des commissariats, à des pompiers, à des prisons, à des hôpitaux, et maintenant à des tribunaux, on est face à un État en voie de déliquescence. Ses principaux piliers vacillent. Nulle part en France on est « safe », pour reprendre le mot de Gérald Darmanin. C’est grave. Et lorsque son collègue Bruno Retailleau parle, lui, de « mexicanisation » dans certains quartiers, il décrit une réalité incontestable que les habitants endurent tous les jours. Cette insécurité a gagné un tribunal. Espérons qu’elle ne se rééditera pas de sitôt. Nous aimerions en être sûrs…

Demandez-vous quel serait l’état d’une maison où les jeunes gens mépriseraient les vieillards ; l’état des écoles, si les disciples ne respectaient pas les maîtres ; comment des malades pourraient recouvrer la santé, s’ils n’obéissaient pas aux médecins ; quelle sécurité pourraient avoir ceux qui naviguent, si les matelots n’écoutaient pas les pilotes. La nature a établi deux lois nécessaires au salut des hommes : les uns doivent commander, les autres obéir. Sans ces lois, il n’est rien qui puisse durer même un instant (Jules César).


[1] https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert, 13/10/2024

[2] https://www.ihemi.fr/actualites/largent-de-la-drogue-integre-au-calcul-du-pib-3-questions-nacer-lalam-et-david-weinberger

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