Au musée de l’Orangerie, le flou artistique explore les frontières du visible

Contours vaporeux, silhouettes spectrales, figuration bannie… Depuis le sfumato de la Renaissance jusqu’à la libération moderne de la couleur, le flou est un exercice critique du visible, permettant aux artistes de redéfinir les formes du monde et de s’approcher au plus juste de l’expérience sensible. Dans une exposition intelligemment pensée, le Jeu de Paume explore jusqu’au […]

Mai 13, 2025 - 20:34
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Au musée de l’Orangerie, le flou artistique explore les frontières du visible

Contours vaporeux, silhouettes spectrales, figuration bannie… Depuis le sfumato de la Renaissance jusqu’à la libération moderne de la couleur, le flou est un exercice critique du visible, permettant aux artistes de redéfinir les formes du monde et de s’approcher au plus juste de l’expérience sensible. Dans une exposition intelligemment pensée, le Jeu de Paume explore jusqu’au 18 août 2025 les subtilités de son langage pour évoquer la mémoire, la fluidité ou l’incertitude à travers 83 oeuvres allant de 1945 à nos jours.

À la frontière

À travers ce parcours thématique, l’exposition questionne en premier lieu les frontières du visible, et convoque pour cela plusieurs artistes du XIXe siècle en prologue. Ainsi, la première salle présente des oeuvres de William Turner, Odilon Redon, Julia Margaret Cameron ou Auguste Rodin : chacun y explore les possibilités du flou par l’inachèvement de la figure, le mystère de l’indiscernable, ou l’évocation du temps qui passe.

Joseph Mallord William Turner (1775-1851) Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain ou Confluent de la Severn et de la Wye, vers 1845 Huile sur toile 94 x 1163 cm Musée du Louvre, Paris Photo © 2014 GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau
Joseph Mallord William Turner, Paysage avec une rivière et une baie dans le lointain ou Confluent de la Severn et de la Wye, vers 1845 – © 2014 GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

À travers une sélection d’artistes du siècle suivant – comme Gerhard Richter, Sigmar Polke, Mark Rothko, Hans Hartung – et des citations très justement empruntées à Marcel Proust, Gaston Bachelard ou Paul Eluard, on entre dans une zone trouble, entre la figuration et l’abstraction. Le regardeur est lui-même invité à questionner sa vision à travers des illusions d’optique qui confèrent un caractère imprévisible et étrange à l’oeuvre.

La mémoire et l’oubli

Gerhard Richter (né en 1932)September, 2005 Huile sur toile, 52,1 × 71,8 cm New York, The Museum of Modern Art, Gift of the artist and Joe Hage, 2008 © Gerhard Richter 2025 (indiquer la date de l’usage)
Gerhard Richter, September, 2005 – © Gerhard Richter 2025

Les drames du XXe siècle ont progressivement apporté une dimension politique au flou. S’il permettait jusqu’ici une réflexion sur l’invisible du sensible, il interroge désormais l’invisibilité des opprimés et les zones d’ombre de la mémoire collective. À travers une série de portraits flous d’anonymes, Christian Boltanski mêle les visages de victimes des camps de concentration à ceux d’oppresseurs nazis sans les discerner. Le réel, en plus d’être insaisissable pour le regardeur, échappe désormais à la représentation face à ses tragédies.

Identités floues

Miriam Cahn (née en 1949)das schöne blau, 2008 + 28.05.2017 Huile sur toile, 250,4 × 180,3 cm Londres, Tate, T15643 Purchased with funds provided by The Joe and Marie Donnelly Acquisition Fund 2020
Miriam Cahn, das schöne blau, 2008 + 28.05.2017. Purchased with funds provided by The Joe and Marie Donnelly Acquisition Fund 2020

Dans ce flou, l’exposition questionne l’identité humaine, qui paraît être illusoire chez un être en perpétuel mouvement. Entre L’homme qui marche d’Alberto Giacometti ou les figures défigurées de Francis Bacon, les dernières salles révèlent les incertitudes dans lesquelles la quête d’identité nous plonge. Une série de photographies d’anonymes rassemblées par Sébastien Lifshitz nous présentent différents portraits flous pris sur l’instant, comme d’innombrables spectres saisis dans le temps.

Romane Fraysse

Dans le flou
Jeu de Paume
1 place de la Concorde, 75008 Paris
Jusqu’au 18 août 2025

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Image à la une : Gerhard Richter, Blumen (815-1), 1994 – © Gerhard Richter 2025