Au musée de l’Orangerie, le flou artistique explore les frontières du visible
Contours vaporeux, silhouettes spectrales, figuration bannie… Depuis le sfumato de la Renaissance jusqu’à la libération moderne de la couleur, le flou est un exercice critique du visible, permettant aux artistes de redéfinir les formes du monde et de s’approcher au plus juste de l’expérience sensible. Dans une exposition intelligemment pensée, le Jeu de Paume explore jusqu’au […]

Contours vaporeux, silhouettes spectrales, figuration bannie… Depuis le sfumato de la Renaissance jusqu’à la libération moderne de la couleur, le flou est un exercice critique du visible, permettant aux artistes de redéfinir les formes du monde et de s’approcher au plus juste de l’expérience sensible. Dans une exposition intelligemment pensée, le Jeu de Paume explore jusqu’au 18 août 2025 les subtilités de son langage pour évoquer la mémoire, la fluidité ou l’incertitude à travers 83 oeuvres allant de 1945 à nos jours.
À la frontière
À travers ce parcours thématique, l’exposition questionne en premier lieu les frontières du visible, et convoque pour cela plusieurs artistes du XIXe siècle en prologue. Ainsi, la première salle présente des oeuvres de William Turner, Odilon Redon, Julia Margaret Cameron ou Auguste Rodin : chacun y explore les possibilités du flou par l’inachèvement de la figure, le mystère de l’indiscernable, ou l’évocation du temps qui passe.
À travers une sélection d’artistes du siècle suivant – comme Gerhard Richter, Sigmar Polke, Mark Rothko, Hans Hartung – et des citations très justement empruntées à Marcel Proust, Gaston Bachelard ou Paul Eluard, on entre dans une zone trouble, entre la figuration et l’abstraction. Le regardeur est lui-même invité à questionner sa vision à travers des illusions d’optique qui confèrent un caractère imprévisible et étrange à l’oeuvre.
La mémoire et l’oubli

Les drames du XXe siècle ont progressivement apporté une dimension politique au flou. S’il permettait jusqu’ici une réflexion sur l’invisible du sensible, il interroge désormais l’invisibilité des opprimés et les zones d’ombre de la mémoire collective. À travers une série de portraits flous d’anonymes, Christian Boltanski mêle les visages de victimes des camps de concentration à ceux d’oppresseurs nazis sans les discerner. Le réel, en plus d’être insaisissable pour le regardeur, échappe désormais à la représentation face à ses tragédies.
Identités floues

Dans ce flou, l’exposition questionne l’identité humaine, qui paraît être illusoire chez un être en perpétuel mouvement. Entre L’homme qui marche d’Alberto Giacometti ou les figures défigurées de Francis Bacon, les dernières salles révèlent les incertitudes dans lesquelles la quête d’identité nous plonge. Une série de photographies d’anonymes rassemblées par Sébastien Lifshitz nous présentent différents portraits flous pris sur l’instant, comme d’innombrables spectres saisis dans le temps.
Romane Fraysse
Dans le flou
Jeu de Paume
1 place de la Concorde, 75008 Paris
Jusqu’au 18 août 2025
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Image à la une : Gerhard Richter, Blumen (815-1), 1994 – © Gerhard Richter 2025