5 ans après la pandémie de COVID-19, la capacité de réponse de plusieurs grandes agences de santé pourrait être menacée

Avant la création des grandes agences de santé publique, les épidémies avaient le champ libre. Cinq ans après la pandémie de Covid-19, les mesures de l’administration Trump font craindre un retour en arrière.

Mar 16, 2025 - 10:33
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5 ans après la pandémie de COVID-19, la capacité de réponse de plusieurs grandes agences de santé pourrait être menacée
Lorsque la pandémie s'est accélérée en 2020, les hôpitaux américains, comme celui-ci à New York, ont installé des tentes pour administrer des tests afin de dépister le COVID-19. Misha Friedman via Getty Images

Au début du XXe siècle, en l’absence de grandes agences de santé publique, les épidémies avaient le champ libre. Cinq ans après la pandémie de Covid-19, alors que les financements de plusieurs d’entre elles sont menacées par la nouvelle administration des États-Unis, un rappel historique s’avère nécessaire.


Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait que l’épidémie de Covid-19 était désormais devenue une pandémie (cinq jours plus tard, le 16 mars, le président français Emmanuel Macron annonçait la mise en place d’un confinement national, effectif dès le 17 mars, ndlr).

Tout avait commencé quelques mois plus tôt, en décembre 2019, avec le signalement à Wuhan, en Chine, d’un « foyer de cas graves dus à une pneumonie d’origine inconnue ». Le responsable, rapidement identifié, s’avéra être, un coronavirus émergent, baptisé SARS-CoV-2. Trois mois plus tard, le nouveau venu s’était répandu dans 114 pays selon l’OMS, et plus de 118 000 cas étaient signalés, tandis que 4291 décès étaient recensés.

Lors de son point presse du 11 mars, Tedros Adhanom Ghebreyesus, alors directeur général de l’OMS, déclarait que les experts de l’organisation étaient « profondément préoccupés à la fois par la propagation et la gravité des cas, dont le niveau est alarmant, et par l’insuffisance des mesures prises qui l’est tout autant ». Il exhortait dans la même allocution les dirigeants à agir rapidement pour intensifier leurs réponses, affirmant que « tous les pays [pouvaient] encore modifier le cours de cette pandémie ».

Durant cette période, et tout au long de la pandémie, les agences de santé publique telles que l’OMS et les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis ont joué un rôle de premier plan, se coordonnant avec les services de santé locaux pour tester, tracer et isoler les cas d’infection par le virus. Les sites Internet de ces institutions sont rapidement devenus des sources incontournables pour suivre l’évolution de l’épidémie, qu’il s’agisse de s’informer sur le nombre de nouveaux cas, d’hospitalisations et de décès ou de se renseigner sur les moyens de prévention de la maladie. Aux États-Unis, les National Institutes of Health ont également joué un rôle clé dans la recherche et le développement de traitements et de vaccins contre le Covid-19.

Cinq ans plus tard, l’administration Trump a déjà supprimé plus de 5 000 employés aux NIH et au CDC combinés, et œuvre pour que les États-Unis se désengagent de l’OMS.

Et ce, alors même que les États-Unis sont confrontés à plusieurs épidémies de tuberculose, à une résurgence de la rougeole (en raison d’un recul des niveaux de vaccination dans certaines population s), et à la pire saison de grippe de ces 15 dernières années…

Quelles peuvent être les conséquences de ces décisions ? Pour l’appréhender, et comprendre le rôle de l’OMS, des CDC et des autres agences de santé publiques, dont une grande partie de l’activité se déroule en coulisses, loin de l’attention du public, il n’est pas inutiles de revenir sur ce qu’était la santé publique avant la mise en place de ces grandes structures.

En février 2025, l’administration Trump a licencié près de 1 300 employés du CDC, soit 10 % de son personnel. Certains de ces licenciements ont néanmoins depuis été annulés.

Épidémie en expansion et lente circulation des informations

Autrice des ouvrages « Construire l’épidémie : les épidémies dans les médias et la mémoire collective », publié en 2020, et « Capturer la Covid : les médias et la pandémie à l’ère numérique », publié en 2025, j’ai étudié en profondeur la façon dont se déroulent les crises sanitaires. À travers mes recherches, en tant que spécialiste de la communication en santé, j’ai notamment analysé le rôle essentiel tenu par les organisations à but non lucratif et les agences publiques dans la protection de la santé publique.


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La création des CDC et de l’OMS remonte aux années 1940. Avant la mise en place de tels réseaux d’agences de santé nationaux et internationaux, il n’existait aucun protocole formalisé en matière d’enquête ou de collecte et d’enregistrement de données, ni de coordination concernant le partage d’information, quelle que soit la zone géographique considérée. Sans de tels systèmes de partage de renseignements, il était beaucoup plus difficile de répertorier les flambées et de suivre l’évolution des infections d’une région à l’autre.

La pandémie de grippe de 1918 constitue un exemple notable de ces lacunes. Apparue pour la première fois dans une base militaire du Kansas au printemps, cette maladie, combinant grippe et pneumonie, s’est ensuite s’est propagée à l’étranger. À la fin de l’été, elle touchait l’Europe, puis a poursuivi sa progression vers l’Asie. De retour aux États-Unis en août 1919, la maladie portait désormais le nom – trompeur – de « grippe espagnole ». Le manque de couverture médiatique de l’épidémie du printemps, associé à une absence de suivi, avait mené à cette confusion : la plupart des gens croyaient que la souche mortelle provenait d’Europe.

Aucun suivi officiel des flambées n’avait été mis en place avant que la maladie ne revienne avec les troupes américaines qui avaient stationné en Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale. En septembre, le chirurgien général et le service de santé publique des États-Unis ont envoyé des télégrammes aux responsables de la santé des différents États afin de mesurer l’ampleur de l’épidémie et la transmission de la grippe.

Photo d’un article de journal de 1918.
Le numéro daté du 27 septembre 1918 de la publication officielle du Bureau du chirurgien général des États-Unis est l’un des premiers rapports dont l’objet est l’épidémie de grippe alors en plein essor. Public Health Reports

Malheureusement, il était déjà trop tard pour endiguer la vague épidémique. Les rares nouvelles qui avaient pu, au printemps, relater les flambées épidémiques du printemps avaient été noyées dans le flot des actualités liées à la guerre mondiale. Conséquence : avant que leur propre ville ne soit touchée de plein fouet par la maladie, les citoyens des États-Unis ne disposaient que de très peu d’information quant aux ravages qu’elle engendrait.

À court de ressources et de soignants, les populations ont eu toutes les peines du monde à mettre en place les hôpitaux de fortune requis pour accueillir les malades, et à trouver des habitants en bonne santé pour les soigner. Preuve de la situation très dégradée durant la pandémie grippale, à l’Université du Kansas les professeures qui ont dû s’occuper non seulement les étudiants, mais aussi les personnels enseignants et administratifs, et se sont retrouvées en charge du lavage des draps et de la préparation des repas.

Cette situation a eu des conséquences plus larges : en l’absence d’agences telles que les CDC et l’OMS et le CDC, la documentation de la situation ainsi que le partage des informations – encore entravé par les difficultés de communication liée à la guerre – ont été réduits à la portion congrue. De nombreuses régions du globe n’ont eu qu’un accès limité aux données concernant la maladie, les traitements possibles, voire simplement le nombre de cas et de décès.

La pandémie de grippe a rapidement disparu de la mémoire collective, notamment en raison du manque de témoignages et parce que peu d’articles de suivi ont été publiés une fois que le nombre de cas a fini par diminuer. Du moins, jusqu’à ce que la Covid-19 ravive l’intérêt du public pour cette crise vieille de 100 ans…

Photo historique montrant des rangées de tentes blanches et du personnel médical travaillant à l’extérieur.
En 1918, dans cet hôpital du Massachusetts, nombre de patients atteints de la grippe étaient soignés à l’extérieur, sous des tentes, pour bénéficier de l’air frais. Hulton Archive via Getty Images

L’épidémie de poliomyélite a bénéficié d’une réponse plus coordonnée

Les épidémies de poliomyélites survenues à partir des années 1930 ont permis de démontrer les bénéfices que pouvait procurer la coordination des efforts à l’échelle nationale.

La Fondation nationale pour la paralysie infantile (National Foundation for Infantile Paralysis – aujourd’hui March of Dimes – une organisation non gouvernementale fondée en 1938 par le président des États-Unis Franklin Delano Roosevelt et le juriste Basil O’Connor) s’est illustrée dans la lutte contre la poliomyélite en lançant de vastes campagnes de sensibilisation du public, en collectant des fonds, en soutenant la recherche scientifique et en accompagnant les victimes, depuis leur hospitalisation durant la phase aiguë de la maladie jusqu’à leur rééducation. Cet effort a été particulièrement visible lors de l’épidémie de polio de 1952.


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Durant cet été, en effet, les infections par le virus de la poliomyélite ont explosé aux États-Unis : 57 628 cas ont été recensés, et plus du tiers des patients a gardé des séquelles se traduisant par des paralysies à des degrés divers. Pendant l’épidémie, la Fondation nationale pour la paralysie infantile a coordonné ses actions avec ses sections locales. Elle a informé la population sur l’épidémie en propagation, créé des ailes hospitalières d’urgence dédiées à la polio, recruté des infirmières et des professionnels de santé, et partagé ses ressources avec les zones touchées.

Ce mode de fonctionnement a servi de modèle aux organisations à but non lucratif et aux agences de santé publique pour améliorer leur communication et la coordination entre les niveaux nationaux et locaux. Les vastes efforts de vaccination ont conduit à une réduction massive des cas de polio aux États-Unis dans les années 1960. La Fondation nationale pour la paralysie infantile à alors changé de nom et de mission, devenant la March of Dimes, une association caritative ayant pour but d’améliorer la santé des nouveau-nés en luttant contre les naissances prématurées, les problèmes à la naissance et la mortalité infantile.

Photo historique de médecins et d’infirmières traitant des patients atteints de la polio dans des poumons d’acier.
Des patients atteints de polio dans des poumons d’acier, dans un hôpital de Boston en 1955. Bettmann via Getty Images

Le rôle crucial des agences de santé publique

Créés en 1946, les CDC n’étaient alors qu’une petite organisation basée à Atlanta, dont la mission était la lutte contre le paludisme aux États-Unis. Deux ans plus tard après sa création, la constitution de l’OMS était ratifiée par les représentants de 53 pays. Cette organisation mondiale a réuni des nations de tous les continents améliorer la surveillance des maladies, la prévention, les traitements et la recherche.

Au cours des années 1950 et 1960, ces agences ont élargi leur champ d’action à de nombreux domaines en lien avec la santé publique, adoptant diverses approches et stratégies élaborées par la Fondation nationale pour la paralysie infantile : suivi et enregistrement des données, éducation du public, surveillance et investigations concernant les menaces potentielles ou avérées, assistance en période de crise et soutien à la recherche scientifique.

Ensemble, le CDC et l’OMS ont considérablement amélioré la santé publique, participant par exemple à l’éradication mondiale de la variole, ainsi qu’à la diminution d’un grand nombre d’autres maladies grâce à la vaccination, ou au développement et à la mise en œuvre des traitements contre le VIH/sida.

Des membres du personnel médical s’occupent de patients sur des brancards en attente d’entrée dans un hôpital.
Des patients malades du Covid-19 attendent d’entrer dans un hôpital de New York, en avril 2020, peu après le début de la pandémie. John Moore via Getty Images

Durant des décennies, ces agences n’ont que rarement attiré l’attention sur elles, que ses agents traquent sur le terrain des flambées d’infections par des salmonelles ou par de dangereux virus de fièvres hémorragiques. Les choses ont changé avec la pandémie de Covid-19. Cependant, même si l’opinion publique concernant le CDC et l’OMS a pu fluctuer au cours de la pandémie due au coronavirus SARS-CoV-2, diverses enquêtes récentes indiquent que la majorité des habitants des États-Unis continuent à faire confiance aux agences de santé publique, au moins dans une certaine mesure. Un sondage mené en 2024 a ainsi révélé que près de 60 % des adultes interrogés estiment que les États-Unis ont tiré des bénéfices de leur adhésion à l’OMS.

À raison, car sans de solides efforts coordonnés entre agences de santé publique, des crises sanitaires mineures peuvent se transformer en épidémies, voire en pandémies. Que ces structures soient affaiblies, et il se pourrait que demain, le monde entier soit beaucoup moins bien préparé à y faire face.The Conversation

Katherine A. Foss ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.