Wes Anderson : l’artisanat du cinéma au cœur d’une exposition à la Cinémathèque française

Wes Anderson à l’honneur : la Cinémathèque française (Paris) et le Musée Cinéma et Miniature (Lyon) célèbrent son univers rétro et artisanal à travers une expo et un nouvel espace qui lui est consacré.

Mar 18, 2025 - 17:00
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Wes Anderson : l’artisanat du cinéma au cœur d’une exposition à la Cinémathèque française
Dans _Asteroid City_ comme dans la plupart de ses films depuis _Fantastic Mr. Fox_, Wes Anderson a utilisé des maquettes lors du tournage. Pop.87ProductionsLLC

À partir du 19 mars, la Cinémathèque française (Paris) consacre une exposition au cinéma de Wes Anderson. Cet événement, qui s’ajoute à l’ouverture d’un espace qui lui est dédié au Musée Cinéma et Miniature de Lyon, met en lumière la dimension muséale de cette œuvre artisanale et référencée, toute entière tournée vers le passé.


Si la rencontre entre le septième art et le musée ne va pas toujours de soi, l’arrivée du cinéma de Wes Anderson sur les bancs d’une exposition, elle, tient presque de l’évidence. D’abord, en raison de la manière qu’a le cinéaste de réaliser ses films. Loin des effets spéciaux d’Hollywood, il revendique une approche manuelle du cinéma et cultive un art du « fait-main ». Déjà présente sur ses premiers longs-métrages, cette dimension artisanale devient prépondérante à partir de la réalisation de Fantastic Mr. Fox en 2009, son premier film d’animation.

Pour cette adaptation du livre de Roald Dahl, Anderson décide de recourir au stop-motion, une technique d’animation conçue à partir d’objets auxquels on donne l’illusion du mouvement, qu’il avait déjà utilisée pour créer les créatures fantaisistes de La Vie aquatique (2004). À cette occasion, il découvre le rôle de la miniature comme outil de création pour le tournage de ses films. Comme il l’indique, ces petites maquettes qui présentent le décor du film sous une échelle réduite vont bouleverser sa pratique du cinéma :

« Chaque fois que je fais un film, j’apprends. Mais pour “Mister Fox”, c’était si particulier, si détaillé que cela a complètement transformé ma méthode. Je continue de puiser dans cette expérience. Si je n’avais pas réalisé “Mister Fox”, je n’aurais jamais pensé à utiliser les maquettes et les miniatures dans le film. »

Devenue depuis un instrument privilégié du cinéaste, la miniature lui sert aussi bien pour la préparation de sa mise en scène que pour le tournage de ses plans. Parmi eux, on peut notamment citer ceux sur la façade du Grand Budapest Hotel (2014) ou sur le train d’Asteroid City (2023). Cette passion pour les miniatures explique sans doute qu’à partir des années 2010, le cinéma de Wes  Anderson se soit davantage éloigné de son matériau originel, la réalité, pour se tourner vers la création de mondes entièrement originaux.

L’usage des miniatures par Wes Anderson.

Une collection de références

L’utilisation de maquettes lui a, dans tous les cas, permis de contrôler avec encore plus de minutie et de soin son esthétique si singulière, et de la rendre toujours plus reconnaissable. Celle-ci se caractérise avant tout par son extrême géométrie, avec un goût prononcé pour la symétrie, et par la frontalité comme pièce maîtresse de son dispositif. Il en résulte un univers ordonné où chaque élément est soigneusement disposé dans le cadre, comme dans une collection.

Ce dernier terme a souvent été utilisé pour qualifier l’esthétique andersonienne, que ce soit par le critique de cinéma Matt Zoller Seitz, dans son livre d’entretiens avec le cinéaste, par le professeur d’esthétique du cinéma Marc Cerisuelo, dans la lettre qu’il lui adresse, ou par la professeure d’études anglophones Donna Kornhaber dans la monographie qu’elle lui consacre. Comme le note l’autrice, la construction de ces univers diégétiques fondés sur une sélection et sur un assemblage précis d’éléments disparates s’apparente à un processus de collection.


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Mais cette dimension ne se mesure pas seulement par l’accumulation d’éléments concrets et matériels. Elle se traduit également par les nombreuses références et allusions à l’histoire de l’art qui parsèment ses longs-métrages. Comme l’indique le titre d’un livre illustré, sorti en 2023, Wes Anderson laisse transparaître, à travers l’ensemble de sa filmographie, son « musée imaginaire », sorte de panthéon personnel où se croisent, sans distinction, des œuvres issues du cinéma, de la littérature, de la peinture ou encore de la télévision.

Le septième art occupe, bien sûr, au sein de cette collection, une place prépondérante. Le cinéaste-cinéphile n’a en effet cessé de rendre hommage aux réalisateurs qui lui sont chers, allant jusqu’à implanter ses films au sein de leurs univers cinématographiques. Récit d’un voyage initiatique à travers l’Inde, À Bord du Darjeeling Limited peut ainsi se concevoir comme une immersion dans les cinémas de Satyajit Ray ou de James Ivory, ce dont témoigne la présence abondante des musiques de leurs différents longs-métrages dans ce road-movie sorti en 2007.

Musique d’À bord du Darjeeling Limited, reprise d’un film de James Ivory.

Tourné pour majeure partie au format 1 :33, utilisé au temps du muet, The Grand Budapest Hotel fait, lui, revivre l’atmosphère des comédies hollywoodiennes de l’âge classique. C’est l’esprit du cinéma de d’Ernst Lubitsch, l’un des maîtres du genre, qui est ici convoqué. Le film se situe en effet dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, l’un des cadres privilégiés du cinéaste classique. Surtout, il se caractérise par une mise en avant de l’élégance et du raffinement, autant d’attributs qui ont fait la renommée de Lubitsch, connu pour ses comédies « sophistiqués ».

L’une des plus célèbres, To or no to be (1942), mettait en scène l’invasion de la Pologne par les Nazis. Cet événement est rejoué de manière parodique dans The Grand Budapest Hotel sous la forme des « ZZ », soldats rappelant ceux du IIIe Reich. Mais, ici, ce surgissement provoque une issue funeste, mettant en lumière l’autre inspiration clef d’Anderson : celle de Stefan Zweig et de son Monde d’hier. Comme l’œuvre de l’écrivain autrichien à laquelle il est dédié, le film constitue le récit d’une époque perdue, détruite par les horreurs de l’être humain et de son Histoire.

La confrontation avec les « ZZ » dans The Grand Budapest Hotel.

On retrouve cette double inspiration – littéraire et cinématographique – dans le dernier film d’Anderson, Asteroid City (2023). L’âge d’or du théâtre new-yorkais des années 1950, où s’élabora la fameuse méthode de l’Actors Studio,qui côtoie les films sur la mort de l’Ouest, sortis à la même époque. Visuellement, cela se traduit par la coexistence de deux régimes d’images : le noir et blanc pour la partie dramaturgique et la couleur pour celle située dans les grands espaces.

Ce mélange des gammes chromatiques était déjà présent sur son précédent opus, The French Dispatch (2021). Tourné à Angoulême, ce dernier constituait une forme d’apogée de son projet cinéphilique puisqu’il s’agissait, cette fois, de ranimer une période très large du cinéma français, des années 1940 à Mai 68. Le format du film à sketchs lui permettait alors d’osciller entre l’atmosphère trouble des films noirs d’Henri-Georges Clouzot et celle, plus juvénile et enfiévrée, de la Nouvelle Vague.

Bande-annonce de The French Dispatch.

Le monde d’hier

Ces différents dispositifs mettent en lumière un même désir, celui consistant à faire revivre des époques disparues.

En effet, le contemporain est singulièrement absent de ce cinéma qui ne cesse de regarder vers le passé, quitte à y mélanger les temporalités. Car il ne s’agit pas tant de donner l’illusion rétrospective d’un retour en arrière, que de savourer le sentiment de nostalgie qui émane de ces vestiges. Cette allusion aux temps anciens est d’autant plus importante pour le projet andersonien qu’elle fait écho aux récits de ses films, toujours centrés sur la perte et l’abandon.

Qu’ils se situent dans son Texas natal, à New York, dans la mer Méditerranée ou au Japon, ses personnages doivent tous vivre avec le deuil d’un être cher ou d’une période – l’enfance et la jeunesse en premier lieu. Ce poids du chagrin se matérialise alors dans les nombreux objets qui remplissent son univers filmique : la machine à écrire offerte par la mère dans Rushmore, les lettres soigneusement conservées dans La Vie aquatique, les affaires du père dans À Bord du Darjeeling Limited ou encore l’écusson qui rappelle l’être aimé dans The Grand Budapest Hotel.

Parfois, ces fétiches sont également rassemblés en un seul et même lieu transformé en un espace mémoriel, comme le souligne le critique de cinéma Marcos Uzal :

« La maison des Tenenbaum, la chambre d’« Hôtel Chevalier » (2005) ou celle de Mrs. Cross dans « Rushmore » apparaissent comme des musées de l’enfance, des chers défunts et des amours perdues dont les objets seraient les vestiges. »

À toutes les échelles, le cinéma de Wes Anderson est donc porteur de cette ambition que l’on pourrait qualifier de muséale : réinscrire, avec ordre et précision, ce qui se perd dans le fracas des jours.The Conversation

Hugo Jordan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.