Vintimille: vivre au Camp des Saints

À la frontière franco-italienne, Vintimille vit depuis les années 2010 au rythme des flux migratoires. Malgré les efforts de la nouvelle municipalité, les violences et dégradations inhérentes à la présence continue d’immigrés clandestins bouleversent la vie locale. À l’approche de l’été, ses habitants redoutent de nouvelles vagues d’arrivants. Reportage... L’article Vintimille: vivre au Camp des Saints est apparu en premier sur Causeur.

Avr 17, 2025 - 05:03
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Vintimille: vivre au Camp des Saints

À la frontière franco-italienne, Vintimille vit depuis les années 2010 au rythme des flux migratoires. Malgré les efforts de la nouvelle municipalité, les violences et dégradations inhérentes à la présence continue d’immigrés clandestins bouleversent la vie locale. À l’approche de l’été, ses habitants redoutent de nouvelles vagues d’arrivants. Reportage


« Dans ce cimetière où reposent nos proches, des migrants allaient uriner et déféquer sur les tombes. » Accoudé à son bureau, Flavio Di Muro ne fait pas dans la dentelle. Élu maire de Vintimille en 2023, il a été porté au pouvoir par une majorité d’habitants excédés par le flux ininterrompu de migrants qui déferle sur la frontière franco-italienne depuis le début de la décennie 2010.

Depuis plusieurs années, Carmela n’était pas revenue sur la tombe de son époux. « Je n’ai jamais pu faire mon deuil », explique la vieille Italienne aux cheveux blancs et aux mains noueuses. La psychose, née des agressions et guets-apens répétés contre les visiteurs, a longtemps empêché les familles de se recueillir sur les sépultures. « Les migrants dormaient sur nos tombes ! Et les ont dépouillées ! Quand j’ai entendu les histoires de vols, de violences… J’ai eu peur et mes enfants me disaient de ne pas prendre de risques. De toute façon ils étaient toujours là, alors, au fur et à mesure, j’ai arrêté de faire le chemin pour y aller… » Aujourd’hui, deux gardes sont postés en permanence devant les grilles du cimetière. Les tombes ont refleuri, les visiteurs ont pu reprendre leurs habitudes, mais pour combien de temps et au prix de quels sacrifices ? Pour Vintimille, plus de dix ans après le début d’une crise migratoire qui a bouleversé l’Europe, le bilan est calamiteux.

Portrait d’une ville assiégée de l’intérieur

Dernière escale de la côte ligure avant la frontière française : la ville de Vintimille. Depuis plus d’une décennie, cette ville-frontière traverse l’une des plus grandes crises migratoires qu’ait jamais connues une municipalité du littoral européen. Située à huit kilomètres de Menton et à 23 de Monaco, la station balnéaire est connue pour ses cigarettes moins chères qu’en France, son alcool vendu à bas prix aux touristes et ses magasins de décoration et de prêt-à-porter destinés à une clientèle plus fortunée, française et monégasque. Seulement, à partir des années 2010, la commune est devenue le lieu de transit incontournable pour les migrants souhaitant gagner la France et l’Angleterre.

Si, depuis quelques mois, les flux de migrants ont diminué, passant de plusieurs centaines à quelques dizaines, la présence continue des immigrés clandestins a profondément changé la vie locale et ce malgré les efforts et le volontarisme de la nouvelle municipalité. À Vintimille, les incidents dramatiques ne cessent de peser sur la vie locale, et ses habitants redoutent les prochaines vagues migratoires avec l’arrivée de l’été, période de l’année la plus propice aux traversées de la Méditerranée. Depuis l’assaut des migrants, on vit à Vintimille comme dans une ville en état de siège.

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Peur sur la ville

Assise sur un banc, tenant la main à son mari, Marina surveille ses enfants qui jouent au ballon sur le front de mer. Lorsqu’on évoque la diminution du nombre de migrants présents dans la ville, elle tempère immédiatement : « On a toujours énormément de problèmes. On a peur de sortir le soir, on a peur de sortir le matin. C’est dangereux parce qu’ils ne font que de se frapper… Ils se frappent avec des bouteilles, ils cassent les voitures… » Gouvernante dans un hôtel mentonnais, elle emprunte sa voiture tous les soirs pour traverser la frontière et rentrer à Vintimille. Chaque fois qu’elle ouvre son garage pour y ranger sa voiture, elle ressent une boule au ventre.

La peur a changé les habitudes, et l’accumulation de drames récents n’aide pas à la conjurer. « Depuis qu’une fillette a été violée en plein centre-ville par un Algérien, poursuit Marina, je ne laisse plus mes enfants rentrer seuls de l’école, même la plus grande, qui a 16 ans. » Un homme âgé, assis sur le banc d’en face, s’invite dans la conversation : « Le soir, c’est la confusion. » Plus loin sur la promenade une mère de famille raconte comment sa porte d’entrée, située à quelques dizaines de mètres, a été plusieurs fois forcée. La cour de son immeuble est souillée de déjections humaines, de détritus et de vêtements déchirés.

Des dizaines de témoignages d’habitants permettent de deviner un quotidien régi par la violence des migrants. Quand ce n’est pas le cimetière qui est assiégé, c’est le théâtre municipal qui ferme ses portes. Sur les marches de cet édifice Art nouveau, migrants et bouteilles de bière bloquent l’entrée du bâtiment.

Au cœur de la ville, le jardin Tommaso Reggio, grand parc familial menant jusqu’à la mer, n’échappe pas au désastre. Comme tant d’autres jardins publics où sont apparus bivouacs, tentes et points de deal, celui-ci a dû être fermé durant plusieurs mois. Derrière la gare, le long du fleuve de la Roya s’est établi un camp à ciel ouvert où les migrants dorment dans des tentes ou sur des canapés. Puis, à la tombée du soir, les rues se vident. Seuls demeurent les groupes de migrants qui errent sans but et la police qui patrouille.

Les clandestins ouest-africains et maghrébins privilégiant de plus en plus la route des Canaries pour rejoindre l’Europe, tandis que le passage vers la France était facilité par une décision du Conseil d’État de février 2024 sur la réadmission des migrants, le nombre de migrants arrivant à Vintimille a diminué. Toutefois, la situation est loin d’être satisfaisante. Quelques dizaines d’individus suffisent pour générer de nouveaux drames et effrayer le public. Dans ce contexte, les petits commerçants sont particulièrement touchés.

Au marché couvert de Vintimille, il est trois heures de l’après-midi lorsque Simonetta range ses caisses de fruits et légumes avec son mari. Tout en chargeant sa fourgonnette, elle se confie : « Ça a été très dur, très dur. Ici, l’activité a repris parce que les Français et les Monégasques reviennent. Il y a moins de migrants en ce moment alors les affaires vont un peu mieux. » Sergio, son mari, opine du chef et poursuit d’une voix forte : « Ça ne durera pas. On leur vient en aide comme on peut en leur donnant nos invendus quand ils les acceptent, mais on n’en peut plus. »

Pour rassurer les habitants, la municipalité a pris un tournant sécuritaire inédit dans une commune d’Europe de l’Ouest. Une réponse efficace, mais insuffisante face à des individus hostiles et hors de contrôle et qui en cas de nouvelle vague migratoire serait vite dépassée.

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Graffiti antipolice dans les rues de Vintimille, mars 2025. Une campagne permanente d’une myriade d’associations diabolise toute critique de l’immigration et invisibilise le sort d’une population en déroute © Loup Viallet

Sous surveillance

Au centre de la ville, la mairie, un bloc de béton rectangulaire coiffé d’une tour en béton, a de faux airs de caserne. En réalité, Vintimille tout entière ressemble à une ville de garnison. Aucun régiment de l’armée régulière italienne n’est établi dans la ville, mais on croise des forces de maintien de l’ordre presque à chaque coin de rue. À l’extérieur de la gare, devant le marché couvert, aux abords des jardins publics, le territoire municipal est quadrillé par des patrouilles assurées par tous les corps de sécurité, police municipale, police financière, gendarmes ainsi que par un peloton de militaires placé sous la direction du commissaire de police.

Depuis l’élection de Flavio Di Muro en mai 2023, la lutte contre l’insécurité est devenue la priorité du premier magistrat de la ville. Cette compétence extraordinaire ne figure pourtant pas dans ses attributions électives. En tout cas, cette politique porte ses fruits.

Le théâtre municipal, le jardin Tommaso Reggio et le cimetière de Roverino ont aussitôt rouvert, mais au prix d’une démultiplication des interventions et d’une surveillance sans relâche. L’achat d’alcool et de boissons gazeuses dans des bouteilles en verre a été interdit après 22 heures, punissant du même coup la population sans parvenir à freiner la vente illégale.

Très vite, le budget municipal dédié à la sécurité a pris le pas sur les autres dépenses municipales : recrutement de forces de police et de personnels dédiés au ramassage des bouteilles d’alcool jetées par les migrants, achat d’équipements spéciaux (tasers à dix décharges électriques au lieu de deux, comme partout ailleurs en Italie) et installation d’une centaine de caméras de vidéosurveillance.

Assis à la terrasse d’un café, en face d’un commerce Eurodrink et d’un magasin de vêtements à bas prix, Guiseppe, la soixantaine bien tassée, pointe un groupe de policiers avec sa cigarette : « Ça rassure un peu, mais c’est loin d’être suffisant. Ils ne peuvent pas être partout. Et puis, ils ne peuvent pas faire grand’chose. Regardez ! » À quelques mètres de nous un migrant, pieds nus, yeux révulsés, passe en marmonnant des insultes avant de disparaître derrière l’église Sant’Agostino. « Lui, il a l’air complètement drogué. Mais qu’est-ce qu’ils attendent pour l’arrêter ? Qu’il sorte un couteau et agresse quelqu’un ? »

Aux portes de la France

L’actualité migratoire n’en finit pas de rattraper Vintimille. Alors que le maire tente de repositionner sa ville en attirant des investissements étrangers pour en faire un lieu de villégiature attractif, pas un jour ne passe sans qu’il soit interpellé sur ses réseaux sociaux par des concitoyens inquiets. Les campements rasés la veille repoussent le lendemain. Régulièrement, de nouveaux points de deal sont découverts par les habitants.

Vintimille est prisonnière d’un cycle sans fin et ce, malgré l’assouplissement des contrôles aux frontières françaises. À ces tensions s’ajoute la campagne permanente d’une myriade d’associations françaises, italiennes et internationales (association Roya citoyenne, la Croix-Rouge, Caritas, l’ONG WeWorld, No Border, Save The Children, les associations étudiantes de Science-Po Menton, Ligue des droits de l’Homme) qui diabolisent toute critique de l’immigration, invisibilisent le sort d’une population en déroute au nom d’une idéologie qui divinise la figure du migrant et abhorre les frontières. Vintimille est le symbole de leur combat politique.

« Je resterai ici le temps qu’il faudra. D’une manière ou d’une autre, je rejoindrai la France. Je sais déjà comment faire. » Le seul migrant qui a accepté de répondre à cette enquête est un Malien d’une trentaine d’années, passé par Lampedusa. Si les gendarmes français le refoulent encore une fois sur le pont Saint-Louis ou à la station Garavan, il passera par les montagnes. Les chemins sont moins gardés et l’association de Cédric Herrou est à quelques kilomètres.

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