Une avancée pour purifier l’air intérieur : des matériaux prometteurs contre le formaldéhyde

Le formaldéhyde est très dangereux pour la santé, mais présent dans nos foyers. Des matériaux poreux pourraient permettre de le capturer et de s’en débarrasser plus facilement.

Mai 4, 2025 - 11:39
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Une avancée pour purifier l’air intérieur : des matériaux prometteurs contre le formaldéhyde
Des matériaux poreux capturant avec efficacité le formaldéhyde sont intégrés dans un filtre pour limiter la pollution de l’air intérieur. O. Gherrak/Ensi Caen, Fourni par l'auteur

Le formaldéhyde pollue l’air intérieur, car il est utilisé pour conserver le mobilier et les vêtements lors des longs voyages en bateau depuis leurs lieux de production. Il est très nocif pour la santé, mais les filtres à air le retiennent mal. De nouveaux matériaux, poreux à toute petite échelle, agissent comme des éponges et montrent une bonne efficacité de capture de ce polluant.


La qualité de l’air intérieur, invisible mais crucial, est un enjeu majeur de santé publique. Parmi les polluants les plus préoccupants figure le formaldéhyde, un composé organique volatil présent dans de nombreux produits du quotidien tels que les peintures, meubles, colles ou les produits ménagers. Bien qu’il soit souvent présent dans l’air en très faibles concentrations, à hauteur de quelques dizaines de « parties par milliards » (une molécule de formaldéhyde pour un milliard d’autres molécules), ses effets pour la santé peuvent être graves, notamment des risques accrus de cancers et d’irritations des voies respiratoires.

À l’heure actuelle, les solutions pour réduire son impact sur notre santé restent insuffisantes. En effet, les filtres traditionnels à base de charbons actifs ont des limites notables : leur efficacité décroît avec le temps et les conditions environnementales, notamment lorsque la température ambiante et l’humidité varient. Ces filtres peuvent même devenir des sources de formaldéhyde en fin de vie. Ils sont donc très limités en termes d’innocuité.

D’autres solutions pourraient être envisagées, comme l’utilisation de filtres à base de zéolithes. Cependant, ces matériaux poreux sont sensibles à la présence d’eau et sont pénalisés par des demandes en énergie considérables lors de leur régénération. La minéralisation du formaldéhyde (et d’autres polluants) à température ambiante nécessite, quant à elle, des catalyseurs à base de métaux nobles, donc très coûteux.

Bien évidemment, il serait plus judicieux de diminuer à la source ce type de polluants, mais ils sont présents de façon diffuse dans la plupart des matériaux de construction, ainsi que dans l’ameublement et les vêtements, car le formaldéhyde est un conservateur très utilisé pour éviter la formation de mousses et champignons, notamment lorsque les biens de consommation sont acheminés par bateau depuis leurs centres de production. Dans l’attente de changer notre modèle économique, il faudrait donc trouver une solution à cette pollution.

Pour chercher des solutions plus efficaces que celles qui existent, nous nous sommes penchés sur des matériaux poreux à très petite échelle (taille des « pores » de l’ordre de la molécule ou la centaine de molécules) appelés « MOF » (pour Metal-Organic Frameworks), et avons ajouté au sein des pores des fonctions chimiques particulières, les pyrazoles.

Ces matériaux hybrides, de vraies éponges moléculaires, ont montré un potentiel exceptionnel pour la capture de formaldéhyde. Ils permettent de capturer sélectivement des traces infimes de formaldéhyde en présence d’humidité, offrant une nouvelle voie pour améliorer la qualité de l’air intérieur.


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Pourquoi le formaldéhyde pose-t-il problème ?

Dans des espaces fermés, l’air intérieur peut être jusqu’à cinq fois plus pollué que l’air extérieur. Le formaldéhyde, présent dans presque tous les environnements intérieurs, dépasse fréquemment les seuils recommandés par l’OMS. Par exemple, dans les maisons neuves, ses concentrations peuvent atteindre entre 20 et 60 microgrammes par mètre cube d’air, voire plus de 100 microgrammes par mètres cubes d’air dans des pièces mal ventilées (pour un seuil à 100 microgrammes par mètre cube d’air pendant trente minutes).

Beaucoup de gens ne réalisent même pas que l’air qu’ils respirent chez eux peut être aussi, voire plus, pollué que celui dans une grande ville. Dans ces conditions, il n’est pas facile de réduire ce risque invisible et méconnu.

Les MOF : une solution innovante

Les Metal-Organic Frameworks ou MOF sont des matériaux poreux extrêmement modulables. La découverte de ces solides poreux hybrides cristallisés a débuté il y plus de vingt-cinq ans. À l’image des Lego, ils sont constitués de briques de constructions qui peuvent être assemblées à façon en fonction des propriétés physico-chimiques recherchées. Leur production à l’échelle industrielle, ainsi que les premières applications industrielles, ont été reportées il y a quelques années et concernent essentiellement la capture du CO2, la dégradation des polluants ou le stockage de gaz.

Ces briques sont de deux types : d’une part des entités inorganiques, constituées de métaux sous leur forme cationique, et d’autre part des molécules organiques majoritairement constituées de carbone et d’oxygène ou d’azote, appelés ligands.

L’assemblage de ces deux types de briques conduit à la formation d’un réseau de pores ou cavités de taille nanométrique (un milliardième de mètre). À l’image des éponges qui peuvent stocker de l’eau dans leurs pores, les MOF sont capables de capturer une large diversité de polluants, par exemple le toluène avec une efficacité bien supérieure aux filtres classiques.

Nous avons fabriqué et testé une famille de MOF avec une brique organique très spécifique, contenant des groupements pyrazoles, qui forment des liens très forts avec les molécules de formaldéhyde et permettent ainsi de les capturer de manière très efficace.

Ainsi, l’un de nos MOF possède une capacité d’adsorption autour de 20 % en masse soit près de 2 à 3 fois plus que les filtres commerciaux, et conserve son efficacité même dans des conditions de forte humidité, typiques de nos maisons ou lorsque la température de la pièce augmente.

Nous pouvons de plus le synthétiser dans de l’eau, à pression ambiante et une température en deçà de celle de l’ébullition de l’eau, ce qui facilite sa production à grande échelle. Les premiers essais de production montrent la possibilité de fabriquer aisément des dizaines de kilogrammes de ce matériau et tout laisse à penser qu’une production à très grande échelle (1-100 tonnes) est faisable.

Une performance durable et régénérable

L’un des défis des filtres à air est leur saturation, c’est-à-dire le moment où le filtre n’est plus efficace car tous les pores sont pleins.

Les filtres actuels doivent ainsi la plupart du temps être changés et le filtre incinéré. Au contraire, le MOF que nous avons développé peut-être régénéré, c’est-à-dire que ses pores vont être vidés, en plongeant le filtre dans de l’eau à température ambiante pendant quelques heures, le formaldéhyde étant ensuite évacué dans l’évier.

De plus, notre MOF ne relâche pas de formaldéhyde en deçà d’une température de 75 °C – alors que d’autres relarguent toutes les molécules polluantes accumulées à des températures plus basses, ce qui peut résulter en un « pic de pollution » plus important que dans les conditions initiales où le polluant est diffus. Pour donner une idée, dans une voiture en plein été, les températures peuvent varier drastiquement entre son utilisation avec la climatisation (20 °C) et à l’arrêt en plein soleil, où la température peut se rapprocher des 50 °C.

Enfin, ce nouveau MOF est très « sélectif », c’est-à-dire que son efficacité de capture du formaldéhyde est très peu impactée par la présence des autres polluants de l’air intérieur.

En termes de perspectives, des essais sont en cours avec des industriels ou spécialistes reconnus dans le domaine de la qualité de l’air intérieur afin d’intégrer ces nouveaux adsorbants dans des systèmes, actifs ou passifs, de purification d’air. La production à grande échelle de ces MOF devrait permettre également de réduire le coût de fabrication du MOF.

À plus long terme, il sera intéressant de coupler la capture du formaldéhyde à un processus de régénération catalytique permettant d’allonger la durée d’utilisation de ces MOF pour purifier l’air intérieur. D’autres applications potentielles sont envisagées par la suite pour la capture d’autres polluants nocifs de l’air intérieur tels que les acides pour la protection des œuvres d’art ou pour la détection de composés organovolatils.


Cet article a été écrit avec le concours de Nicolas Sadovnik et Mathilde Renouard, tous deux employés par SquairTech, une start-up, issue de laboratoires de recherche, qui développe un catalogue de matériaux poreux pour la capture de polluants de l’air.The Conversation

Marco Daturi a reçu des financements de l'ADEME sur ce sujet. Il détient des parts dans la société SquairTech.

Christian SERRE détient des parts dans la société SquairTech. Et son laboratoire un contrat de collaboration avec cette société.