Trump et le nouveau monde
Le président Trump nous rejoue 'The Apprentice' en virant Zelensky, pense amadouer Poutine avec un deal douteux, et laisse l’Europe en panique. Il a prononcé mardi un discours d’une heure et quarante minutes devant le Congrès américain, et a notamment annoncé avoir reçu une lettre du président ukrainien indiquant qu’il était finalement prêt à se présenter à la table des négociations. Analyse... L’article Trump et le nouveau monde est apparu en premier sur Causeur.

Le président Trump nous rejoue ‘The Apprentice’ en virant Zelensky, pense amadouer Poutine avec un deal douteux, et laisse l’Europe en panique. Il a prononcé mardi un discours d’une heure et quarante minutes devant le Congrès américain, et a notamment annoncé avoir reçu une lettre du président ukrainien indiquant qu’il était finalement prêt à se présenter à la table des négociations. Analyse.
C’était il y a longtemps, presque une semaine: un clash en direct à la Maison Blanche, que le président américain a décrit comme un grand moment de télévision. Comme il y a vingt ans, lorsque dans son émission de télé-réalité, il annonçait avec délectation au candidat éliminé «you are fired», Trump venait de congédier un président ukrainien qu’il qualifiait d’ingrat d’autant qu’il n’avait pas accepté ses propositions de paix sous prétexte qu’elles n’offraient pas de garantie de sécurité à son pays. Auparavant, il avait traité Zelensky de dictateur sous prétexte qu’il n’avait pas organisé d’élections présidentielles, alors que la constitution ukrainienne l’interdit explicitement en période de loi martiale et que la loi martiale a été imposée à cause de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Enfin il avait prétendu que la cote de popularité de Zelensky était de 4% alors qu’un sondage lui attribuait 57%.
Mauvais épisode
Le spectacle à la Maison Blanche m’a donné la nausée et j’ai pensé à un épisode où l’exécution n’avait pas été que verbale. C’était en Corée du Nord. Kim Jong Un avait obligé son oncle à une humiliante autocritique télévisée avant de le faire exécuter. Il se trouve que Trump, qui avait bénéficié des confidences du dictateur coréen, connaissait cette histoire. Zelensky est tombé dans un piège, mais il a évité le pire…
Trump fonctionne dans un système mental où c’est lui qui définit la vérité. Quelques jours plus tard, dans son discours au Congrès, il se félicite que l’inflation soit en voie d’être jugulée, alors qu’elle flambe, annonce que les Etats-Unis sont désormais admirés car ils sont «great again», que les enfants atteints de cancer vont enfin recevoir des traitements alors que des programmes de recherche médicale ferment faute de subsides, que la liberté va enfin fleurir et que la corruption de l’administration Biden va disparaitre alors que lorsqu’un sénateur de Californie s’était interrogé sur le rôle de Musk dans la purge administrative et les réorientations de subventions, il a été qualifié impunément de criminel par ce dernier.
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Le caractère inattendu, voire saugrenu de certaines de ses propositions conduit parfois à remettre en cause des idées et des comportements répétés qui se sont révélés naïfs dans le passé et risquent de l’être dans le futur. Ce changement de perspective s’appelle pour les uns « lucidité » et pour les autres « trahison des valeurs ». En ce qui concerne l’Ukraine, l’abandon d’un pays victime d’une agression et d’une guerre menée avec une violence inouïe soulève le cœur. Il faudra pourtant constater que les sanctions contre la Russie ont échoué, que Poutine n’a pas été déstabilisé, que sa puissance de feu se renforce, qu’il possède des armes nucléaires dont il n’a pas exclu l’usage et que les contours d’un arrêt des combats sont géographiquement perceptibles. Au fond, l’image que se fait Trump de la paix est probablement proche de celle que s’en font les Européens, et Zelensky, au lendemain de la suspension de l’aide militaire américaine a été obligé d’écrire qu’il se félicite de travailler sous la direction de Trump à l’obtention d’une paix durable en Ukraine. Theodore Roosevelt, le père de l’interventionnisme américain, disait qu’il faut parler doucement, mais avec un gros bâton. Nul ne dira de Trump qu’il parle doucement, mais contre Zelensky il a utilisé son gros bâton. Avec un certain succès… La question est: serait-il capable de le faire contre Poutine?
L’Occident déboussolé
J’élude ici le problème, évidemment très grave, de sa collusion possible avec les services de contre-espionnage (ex-KGB, dont Poutine est l’archétype) – qui dirigent actuellement en réalité la Russie, poursuivent des objectifs à long terme et utilisent tous les moyens possibles pour déstabiliser l’Occident.
Poutine a déclaré que le démantèlement de l’URSS avait été un des pires crimes du XXe siècle, et toute sa politique consiste à réparer ce crime, à récupérer et si possible étendre l’espace soviétique, successeur de Pierre le Grand. L’Ukraine aujourd’hui, la Moldavie demain, ainsi que les pays baltes (lesquels se demandent ce que valent pour Trump les assurances de l’article 5 de la Charte de l’OTAN) sont aux premières loges. Mais la Pologne aussi, qui se réarme effectivement et qui comptait tant sur le protecteur américain. Et également la Roumanie, qui vient d’échapper à un résultat électoral présidentiel confectionné par les services russes. Et tous les anciens pays du pacte de Varsovie, et tous les autres pays européens aussi comme la France elle-même, chassée par les Russes de ses points d’appui africains et en passe de voir s’installer une flotte russe dans les ports obligeamment mis à disposition par nos ex-amis algériens.
Le discours solennel du président Macron prend en compte le fait que la Russie est aujourd’hui un pays ennemi et que les États-Unis ne sont peut-être plus un pays allié.
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Reste pour l’Europe à rattraper à marche forcée son comportement de cigale. Le moins qu’on puisse dire est que, à tous égards, ce n’est pas gagné.
Trump a une sorte de fascination pour les hommes forts, car lui-même, contrairement à l’image qu’il essaye de véhiculer, n’en est pas un. Ses relations avec l’armée sont notoirement médiocres, il a osé qualifier de losers des soldats américains tombés dans la guerre de 14-18 et chacun sait qu’il s’est fait exempter de la guerre du Vietnam pour un motif grotesque. Sa volonté affichée de ne pas envoyer des soldats américains sur un théâtre d’opération extérieur en fait quelqu’un de prévisible et donc manipulable. Il pense probablement qu’en abandonnant à Poutine le contrôle de l’Ukraine, celui-ci sera rassasié et rejoindra le camp américain dans la lutte contre la Chine. Les Européens pensent strictement le contraire.
Liens indissolubles
Il existe cependant encore entre l’Europe et les États-Unis des liens indissolubles dont on peut espérer qu’ils vont résister aux foucades politiciennes. Mais il faut reconnaître que, outre le fait que l’Europe s’est confortablement endormie sous le parapluie protecteur américain, Américains et Européens ont eu des insouciances comparables.
En face il y a une Chine où des cohortes d’ingénieurs qualifiés travaillant 60 heures par semaine pour des salaires deux ou trois fois moins élevés qu’en Europe sous les instructions d’hommes politiques épargnés du souci court-termiste d’une élection démocratique, ont permis depuis trente ans une main mise sur des industries cruciales dans l’avenir.
Trump a ainsi réveillé à juste titre le sujet des terres rares en revendiquant avec une brutalité de mafieux le Groenland et les supposées ressources ukrainiennes. C’est qu’il s’agit-là de ressources qui peuvent structurer l’avenir technologique.
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S’il y a un pays où Donald Trump est plus populaire qu’aux États-Unis, c’est Israël. Il a en effet manifesté un soutien sans réserve aux actions israéliennes et a fait de la lutte contre l’islamisme qui fleurit dans les universités américaines un thème important de sa présidence. Reste l’Iran où certains redoutent sa propension à faire des deals et à tomber ainsi dans les filets des habiles négociateurs iraniens… Il y a indiscutablement parmi les soutiens américains de Trump de véritables antisémites, mais Israël est un pays qui lutte pour son existence et doit donc définir ses priorités. Churchill et Roosevelt se sont alliés à Staline pendant la guerre car avant tout il fallait vaincre Hitler. Malgré tous ses évidents défauts, Trump n’est pas Hitler…
Et il ne faut pas l’oublier : son élection est aussi un symptôme, celui d’une Amérique déboussolée par les absurdités du wokisme, et qui fait en boomerang la part belle aux absurdités libertariennes, lesquelles véhiculant sous couvert de liberté la même intolérance à l’égard de leurs adversaires…
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