Sur Internet, des adolescents confrontés de plus en plus jeunes à des images pornographiques
Confrontés de plus en plus tôt à des contenus pornographiques en ligne, les adolescentes et adolescents peinent à aborder le sujet avec les adultes qui les entourent.

Si les adolescentes et adolescents se retrouvent confrontés de plus en plus précocement à de la pornographie en ligne, il leur est très difficile d’aborder le sujet avec des adultes. Retour sur une enquête de terrain alors que les éditeurs de sites sont sommés d’instaurer un contrôle d’âge pour l’accès à ces contenus sensibles.
Dès que l’on parle des adolescents et de leurs relations au numérique, les débats se polarisent, sans qu’il y ait nécessairement le réflexe de recueillir leur témoignage. En recherche, il est pourtant extrêmement important de leur donner la parole, ce qui permet de mieux mesurer leur capacité d’analyse et de distance vis-à-vis des messages médiatiques.
Dans le cadre de l’étude Sexteens, menée en Grand Est, nous avons rencontré plus d’une soixantaine d’adolescents pour évoquer avec eux les représentations de la sexualité et de l’amour dans les séries pour ados qu’ils regardent. Ces séries ont la particularité de mettre en scène des personnages principaux du même âge qu’eux, la plupart évoluant dans un cadre qu’ils connaissent bien, celui du lycée.
Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !
Au cours de cette enquête, nous avons décidé de les interroger sur leur rapport à la pornographie seulement s’ils abordaient spontanément eux-mêmes le sujet au cours de l’entretien. La question n’était pas au cœur de notre recherche, nous ne voulions néanmoins pas l’éluder si les adolescents la soulevaient.
Nous avons ainsi recueilli les paroles d’une vingtaine de lycéennes et de lycéens sur leur confrontation à la pornographie. Ces témoignages sont précieux pour comprendre le choc ressenti et les ambivalences perçues face à ces images obscènes, alors que de plus en plus de mineurs sont exposés à ce type de contenus et que les éditeurs de sites pornographiques sont sommés de contrôler l’âge des internautes.
Un âge précoce d’exposition
Le premier enseignement de ce terrain concerne l’âge d’exposition à des images pornographiques. Celles et ceux, majoritaires, qui ont été confrontés à de la pornographie sans l’avoir désiré, l’ont été avant l’entrée au collège et l’ont particulièrement mal vécu.
Qu’il s’agisse de pop-ups qui s’ouvrent sur des sites de streaming ou d’images montrées délibérément par des élèves ou des enfants de leur entourage souvent plus âgés, les lycéens racontent leur stupéfaction, proche de l’incompréhension, puis la honte ou l’effroi qu’ils ont ressentis, comme le rappelle Marco :
« Depuis tout petit, je traîne sur Internet, parce que mon père est informaticien. J’ai eu un ordinateur très tôt à la maison. Je me rappelle qu’une fois, je cherchais soit des informations sur un jeu, soit à regarder un film en streaming. Je devais avoir au maximum 10 ans. Et il y a eu une fenêtre pop-up qui s’est ouverte. Je n’ai même pas compris. Ça m’a fait peur. Je ne sais pas comment expliquer… J’étais un petit peu dégoûté, c’était plutôt un sentiment de répulsion, mais en même temps un peu intrigué. »
Pour celles et ceux qui ont désiré consulter volontairement des sites pornographiques, ils étaient collégiens. La pression à la conformité peut jouer, les autres élèves en ayant discuté devant eux. Il faut pouvoir en parler, montrer qu’on a grandi. Ce visionnage s’apparente alors à un rite de passage, pour de jeunes adolescents autour de 13 ans :
Charlotte : « C’était volontaire. Un jour, je sais pas, c’était le matin et j’étais sur mon ordinateur. Je me suis dit, “Bah, je pense que je me sens prête, et c’est le moment de, de voir en fait”, on m’avait déjà proposé de regarder, etc. J’avais dit non. »
Qui te l’avait proposé ?
Charlotte : « Des amis garçons au collège.»
Pour des adolescents avides d’informations sur la sexualité, la pornographie paraît une possibilité plus accessible que d’aborder la question directement avec leurs parents, à une période de bouleversement pubertaire :
Claire : « Ça doit être à 13 ans. Je crois que c’est moi qui avais cherché. Y avait peut-être une scène dans un film ou quelque chose comme ça. Ou moi qui avais cherché. Je vous dis 13 ans, parce c’est l’âge où j’ai eu mes règles et c’était parti. Je pense que c’était sur Internet. On ne va pas dire que ça m’avait choqué, mais en tout cas ça m’avait dégoûtée. Vraiment j’ai vu ça… Et encore, c’était sur un truc connu pour être féministe ! Et vraiment j’ai vu ça et me suis dit : “C’est pas pour moi.” »
La sidération et le dégoût ne provoquent pas chez les enfants, même très jeunes, le réflexe d’en parler à leurs parents. Bien au contraire. L’épreuve est vécue seul, éventuellement entre pairs si le visionnage a été en duo ou en groupe.
Quels que soient les sentiments et les émotions suscitées, aucun d’entre eux n’en a parlé à des adultes. Ces derniers semblent les grands absents, tant les jeunes rapportent craindre leurs réactions. Amélie, qui a visionné de la pornographie de façon accidentelle avec sa cousine, évoque son incapacité à en discuter :
« C’est resté entre nous. Déjà, on avait peur de se faire engueuler. Et puis, on n’avait trop rien à dire dessus. On a vu et on a fait : “Bon.” Et après, il y a eu la curiosité parce qu’on ne savait pas du tout ce que c’était. Du coup, on est restées devant par curiosité. »
Des critiques argumentées
Pour autant, à l’exception d’un seul garçon qui a témoigné de son plaisir à regarder tous les jours « pour se branler », et dont les critiques portaient uniquement sur les performances mises en scène, tous les autres lycéens ont dénoncé des rapports de genre problématiques dans les films pornographiques, estimant qu’ils sont « dégradants » pour les femmes, « déshumanisants » et qu’il s’agit souvent de « représentations violentes de la sexualité ». Ils dénoncent des scripts sexuels et des corps irréalistes qui deviennent vecteurs de complexes.
Les filles jugent ainsi de manière très négative les rapports sexuels mis en scène, en ce qu’ils peuvent susciter des attentes irréalistes de la part des garçons dans la vraie vie, et critiquent des standards esthétiques très éloignés de leurs propres vécus corporels. Les garçons, quant à eux, évoquent les durées des rapports qui « mettent la pression » et déconnectés du réel.
Enfin, plusieurs adolescents ont rappelé le caractère addictif des images pornographiques, sans qu’ils ne puissent ou ne veuillent en expliquer la raison. Ils déclarent avoir des amis qui en ont besoin « de temps en temps ». Garçons et filles prêtent essentiellement aux garçons une appétence pour la pornographie, comme le résume laconiquement Coralie :
« Mes amis garçons et mon copain, ben eux ils approuvent hein, c’est des garçons hein… Mais moi, je trouve que c’est pas super. »
Ces représentations genrées des usages corroborent en partie des études récentes qui montrent une fréquentation plus assidue et un temps passé sur les sites pornographiques bien plus importants pour les adolescents que pour les adolescentes.
Un dialogue nécessaire
Le dialogue avec les adultes est-il impossible ou souhaité ? Nos enquêtés se sont tous déclarés favorables à l’introduction de cette thématique dans le cadre de l’éducation à la vie affective et relationnelle et à la sexualité.
À lire aussi : Une nouvelle éducation à la sexualité dans les établissements scolaires ?
Si discuter avec ses propres parents de la sexualité paraît difficile, voire impossible ou tabou pour beaucoup d’entre eux, cela ne signifie pas qu’ils ne désirent pas être accompagnés par les adultes. Ils aimeraient que le consentement, le plaisir et la pornographie soient systématiquement abordés à l’école. À l’instar d’Emmanuel, qui a apprécié la discussion sur la pornographie en classe et en a gardé un souvenir très vif :
« On avait comparé ça à une cigarette, parce que la première, elle est bien, parce que c’est la première et tout ça, et puis après, on se sent obligé de recommencer, de recommencer, de recommencer ! Puis en fait, c’est nocif. C’est nocif à mort ! Ça fait baisser la confiance en soi, c’est, c’est du gros cliché ! Puis surtout, les actrices, elles doivent être… elles doivent être exploitées, violées des fois. »
Déconstruire les messages médiatiques, développer son esprit critique, repérer les discours discriminatoires et sexistes, éduquer au consentement font partie d’une éducation aux médias et à l’information au sens large, fondamentale pour pouvoir prendre du pouvoir vis-à-vis d’images qui imposent par leur puissance itérative des scripts sexuels et des rapports de genre qui posent question. Les adolescents ont besoin de leurs aînés pour y parvenir. Soyons au rendez-vous.
Les entretiens ont eu lieu dans quatre lycées différents, en filières générales et technologiques et professionnelles. Julie Brusq, Mouna El Gaïed, Aurélie Pourrez, chercheuses à l’Université de Lorraine, au Crem (Centre de recherche sur les médiations. Communication – Langue – Art – Culture), ont participé à cette enquête.
Laurence Corroy a reçu des financements de la Maison des Sciences de l'Homme de Lorraine.