Sommes-nous des ectoplasmes ?

Concernant Trump et l’Ukraine, toute une « bonne presse » entend substituer au doute une pensée univoque, se désole notre chroniqueur. Il refuse de se laisser intimider... L’article Sommes-nous des ectoplasmes ? est apparu en premier sur Causeur.

Mar 12, 2025 - 18:24
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Sommes-nous des ectoplasmes ?

Concernant Trump et l’Ukraine, toute une « bonne presse » entend substituer au doute une pensée univoque, se désole notre chroniqueur. Il refuse de se laisser intimider.


Mon titre renvoie à un sens figuré qui décrit des personnes inconsistantes et sans personnalité.
J’éprouve parfois l’impression que dans la vie intellectuelle et politique, comme dans l’univers médiatique, il y a un désir de nous voir gouvernés par des préjugés, des réflexes, des injonctions venues d’ailleurs. Comme si nous étions incapables de mener ensemble des pensées contradictoires ou de tenir bon sur un certain nombre de convictions fondamentales. Comme s’il était impossible de présumer honnêteté, sincérité et tolérance ; et fatal de les dégrader en soumission, opportunisme et inconstance.

Le droit à la nuance remis en cause

Écoutant François Hollande au Grand Jury le 9 mars si bien animé par Olivier Bost, je l’ai trouvé passionnant, pertinent sur beaucoup de points, en tout cas pas indigne du président qu’il avait été et du remarquable commentateur qu’il sait être quand la vision socialiste ne met pas à mal sa lucidité. Après l’émission, j’ai exprimé cet avis équilibré sur X mais que n’avais-je pas dit ! Il aurait fallu que je sois une sorte de pantin voué à détester François Hollande, parce que son mandat aurait été exclusivement calamiteux…

https://twitter.com/BilgerPhilippe/status/1898706139753103707

Qu’elle soit enkystée à droite ou dans la gauche extrême, cette volonté de nous refuser le droit à la mesure et à la nuance est intolérable. On rêverait que nous fussions des ectoplasmes, des fétus de la réflexion comme il y a des fétus de paille. Heureusement la liberté résiste.
Cette propension à imaginer que l’humain, dans son registre professionnel, est prêt à toutes les compromissions et à toutes les voltes dès lors que des prescriptions lui seraient faites est à la fois fausse et offensante.

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Ainsi, parce que de nouvelles règles seraient fixées, des regards différents imposés sur l’actualité nationale et internationale, il y aurait une soumission immédiate et, du jour au lendemain, une grille de lecture radicalement autre ? Je ne le crois pas une seconde et si c’était le cas, ce serait désespérant.

Celui qui abaisse c’est qu’il est bas…

Je tire cette observation d’un article du Monde qui mettant en cause Vincent Bolloré – le miracle serait l’incrimination d’un autre que lui ! – dénonce comme une évidence le changement d’orientation que ce dernier aurait imposé à son groupe : en gros, il faudrait soutenir dorénavant à toute force Donald Trump et Vladimir Poutine !
Je n’ose imaginer que, même avec une vision conservatrice et peut-être admirative de ces personnalités hors norme, on puisse aller sans frémir vers de telles aberrations. Le simplisme ne peut pas avoir libre cours au sujet d’une réalité géopolitique qui, pour être dangereuse et difficile à maîtriser, exige finesse et équité minimale. Entre la démolition outrancière du sénateur Malhuret et les inconditionnels de ce duo américain et russe, il y a place pour une autre appréciation internationale.
Il suffit d’ailleurs de lire la chronique de Pascal Praud dans le JDD du 9 mars pour constater que ce dernier, qui serait particulièrement ciblé, est aux antipodes d’une idolâtrie de Trump et de Poutine et qu’il ne passe pas heureusement par pertes et profits la cause de l’Ukraine !

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À supposer l’existence d’une emprise enjoignant une pensée unique pro-Trump et Poutine aussi bien dans l’écrit que par oral, cette domination serait bien faible qui permettrait sur les plateaux, par exemple de la part d’Olivier Dartigolles, d’Élisabeth Lévy et, modestement, de moi-même, des contradictions et le rappel de données incontestables : Poutine, un dictateur sans scrupule, a envahi l’Ukraine, le président Zelensky n’est peut-être pas irréprochable mais son pays et lui sont victimes et se battent courageusement, le président Trump est trop instable pour constituer un modèle, la paix est souhaitable mais elle ne peut pas être conforme aux seules revendications russes et le président Macron, s’il a trop dramatisé, n’en demeure pas moins l’incarnation d’une Europe à laquelle Donald Trump a redonné de la vigueur.
Qui, dans le groupe de Vincent Bolloré, qu’on a le droit d’admirer quand on n’a jamais fait preuve dans son quotidien de la moindre flagornerie, a jamais été empêché de proférer ou d’écrire ces considérations acceptables sinon par tous, du moins par beaucoup ?
Derrière cette idée fausse que la caporalisation du groupe serait telle que chacun, au garde-à-vous, obtempérerait, il y a le mépris qui, sous-estimant la liberté des uns et des autres, ferait de ces animateurs et de ces journalistes des ectoplasmes prêts à se trahir eux-mêmes et à trahir le réel ! Celui qui abaisse c’est qu’il est bas, a écrit Henry de Montherlant. On a un parfait exemple de cette dérive quand on prête un pouvoir malfaisant et infini à quelqu’un et qu’on présume la médiocrité de tous les autres !
Je n’ai pas une conception optimiste de la nature humaine. Aussi il me semble que je peux être cru quand j’affirme que nous ne sommes pas tous des ectoplasmes !

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