Santé buccodentaire : vers une feuille de route nationale en 2025

Maladies cardiovasculaires, diabète, cancers… Les maladies buccales peuvent avoir de graves conséquences. Pourtant, l’impact de la santé buccodentaire reste largement sous-estimé.

Avr 1, 2025 - 13:39
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Santé buccodentaire : vers une feuille de route nationale en 2025

Maladies cardiovasculaires, diabète, cancers… Les maladies buccales peuvent avoir de graves conséquences. Pourtant, l’impact de la santé buccodentaire reste largement sous-estimé.


Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans le monde 3,5 milliards de personnes sont touchées par les maladies et affections buccodentaires. Si elles ne sont pas traitées, leurs conséquences peuvent être sévères : elles se traduisent par, non seulement des infections, d’intenses douleurs et des limitations fonctionnelles (difficulté masticatoire, troubles de la digestion…), mais aussi des effets néfastes sur le bien-être émotionnel, mental et social.

Par ailleurs, on sait aujourd’hui qu’il existe un lien étroit entre la santé buccodentaire et certaines maladies non transmissibles comme les maladies cardiovasculaires, le diabète ou encore certains cancers. Ainsi, l’inflammation chronique des gencives peut favoriser des troubles cardiovasculaires, et le diabète mal contrôlé peut aggraver les infections buccales.

Malgré toutes ces connaissances, l’impact de la santé buccodentaire demeure largement sous-estimé. Ainsi, contrairement à d’autres pays, la France ne dispose pas d’une stratégie ministérielle spécifique à la santé buccodentaire.

Le 7 janvier 2025, la conférence nationale de santé (CNS) a adopté le rapport sur la santé buccodentaire élaboré par un groupe de travail réunissant professionnels, représentants des usagers et des offreurs de services de santé. Voici ce qu’il faut retenir des 44 propositions formulées.

Une absence de stratégie nationale

Du 26 au 29 novembre 2024, la première réunion mondiale de l’OMS sur la santé buccodentaire s’est tenue à Bangkok, sous les auspices du gouvernement du Royaume de Thaïlande. Cet événement a rassemblé des délégations de plus de 110 pays ainsi que des hauts responsables représentant des acteurs non étatiques : bailleurs de fonds, organisations de la société civile, personnes touchées par les maladies non transmissibles, universités, organisations philanthropiques et fondations.

Cette réunion a été l’occasion de débattre et réaffirmer l’engagement à soutenir la mise en œuvre du plan d’action mondial pour la santé buccodentaire 2023-2030.


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En France, les derniers rapports officiels sur la santé buccodentaire remontent à 2006 et 2010. Ils concernent principalement des populations ciblées, comme les personnes âgées, les personnes en situation de handicap ou les personnes détenues. Les recommandations de la Haute Autorité de santé (2010) relatives aux « stratégies de prévention de la carie dentaire »

Ce retard est préoccupant, alors même que l’accès aux soins devient de plus en plus difficile, notamment dans les déserts médicaux où les chirurgiens-dentistes se font rares. Dans certains départements, comme l’Indre, la densité en chirurgiens-dentistes est très inférieure à la moyenne nationale : on y recense 36 praticiens pour 100 000 habitants, contre 70 pour 100 000 au niveau national.

Vers une feuille de route nationale

Face à ce constat, en juillet 2020, la conférence nationale de santé (CNS), instance consultative de démocratie en santé placée auprès du ministre chargé de la santé, a mis en place un groupe de travail sur le thème de la santé buccodentaire.

Le 7 mai 2024, dans la continuité de la résolution mondiale de la santé de 2023 et du lancement de la stratégie et du plan d’action mondial pour la santé orale 2023–2030, la direction générale de la santé (DGS) demandait que le travail entrepris par la CNS nourrisse sa réflexion en vue de l’élaboration d’une feuille de route « santé buccodentaire ».

Grégory Emery, directeur général de la direction générale de la santé, se voit remettre le rapport sur la santé buccodentaire de la conférence nationale de santé par son président Emmanuel Rusch et les membres du groupe de travail (Frédéric Denis, Stéphanie Tubert-Jeannin et Céline Clément). Conférence nationale de la santé, Fourni par l'auteur

Le 7 janvier 2025, le rapport sur la santé buccodentaire, élaboré par un groupe de travail réunissant professionnels, représentants des usagers et offreurs de services de santé, a été adopté par la CNS.

Ce rapport est le fruit de nombreuses auditions d’usagers et de professionnels de la santé buccodentaire. Il documente les angles morts du système de santé français concernant l’accès aux soins et l’organisation du système de santé buccodentaire en général et, plus particulièrement, pour les personnes les plus éloignées du soin.

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Parmi les 44 recommandations pour une feuille de route qu’il comporte, les plus emblématiques suggèrent de :

  • renforcer la taxation des sucres libres/ajoutés et des produits du tabac et des boissons alcooliques pour protéger la santé orale et orienter ces recettes vers la prévention buccodentaire ;

  • favoriser le déploiement de programmes de prévention et/ou promotion de la santé orale au plus proche des populations ;

  • maitriser et réduire les dépassements d’honoraires afin de faciliter l’accès aux soins pour tous ;

  • inscrire le dispositif 100 % santé dans un accès aux soins sans discrimination en ajustant les paniers. En effet, si les assurés bénéficient d’un reste à charge zéro pour plus de la moitié des prothèses dentaires, il n’en reste pas moins que la réforme 100 % santé s’accompagne d’une augmentation des tarifs des complémentaires santé et des mutuelles ;

  • nommer un délégué interministériel à la santé orale avec sa déclinaison dans toutes les Agences régionales de Santé ;

  • promouvoir un exercice coordonné des acteurs du système de santé orale et encourager leur insertion au sein des structures de soins primaires ;

  • accompagner la démocratie en santé et le respect des droits des usagers pour aller vers un changement de paradigme en renforçant la mobilisation des associations dans le pilotage des politiques de santé orale.

Longtemps absente des grands débats de santé publique, la santé buccodentaire pourrait, enfin, trouver sa place au cœur des politiques de santé nationales. L’annonce d’une feuille de route en 2025 marque une avancée significative, visant à réduire les inégalités d’accès aux soins et à renforcer la prévention.

Reste à savoir si ces engagements seront suivis d’effets concrets.

En attendant, la Déclaration de Bangkok met en lumière un enjeu longtemps sous-estimé et constitue un rappel essentiel : « Pas de santé sans santé buccodentaire ».The Conversation

Emmanuel RUSCH est Président de la Conférence Nationale de santé, membre de la Société française de santé publique et Président de la Fédération régionale des acteurs en promotion de la santé (Région Centre Val de Loire).

Frédéric Denis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.