Sansal: le martyre doit cesser
Emmanuel Macron a renoué avec le président Tebboune, mais ce n’est pas Tebboune qui décide du sort de Boualem Sansal. Dictature sans dictateur, l’Algérie est en proie aux luttes de clans arbitrées par l’armée. Certains veulent clore ce dossier rapidement et d’autres poursuivre le bras de fer avec la France. Ces divisions ne présagent pas d’une libération rapide de notre ami... L’article Sansal: le martyre doit cesser est apparu en premier sur Causeur.

Emmanuel Macron a renoué avec le président Tebboune, mais ce n’est pas Tebboune qui décide du sort de Boualem Sansal. Dictature sans dictateur, l’Algérie est en proie aux luttes de clans arbitrées par l’armée. Certains veulent clore ce dossier rapidement et d’autres poursuivre le bras de fer avec la France. Ces divisions ne présagent pas d’une libération rapide de notre ami.
Dernière minute ! « Kamel Daoud vient d’être informé, sans autre précision, que deux mandats d’arrêt auraient été livrés à son encontre par la justice algérienne », a indiqué hier l’avocate Jacqueline Laffont. L’écrivain franco-algérien récemment couronné du prix Goncourt 2024 pour son roman Houris est donc également victime d’une persécution politique, liée aux sujets sensibles abordés dans son œuvre, notamment les massacres de la décennie noire en Algérie. |
Depuis le 16 novembre 2024 Boualem Sansal est emprisonné en Algérie. Il paye le prix de sa liberté, de ses critiques contre un régime policier, mais il est aussi au fur et à mesure que sa détention se prolonge, une variable d’ajustement tenant à d’autres paramètres, moins visibles mais qui rendent encore plus complexe sa libération exigée sans relâche par son comité de soutien.
Otage d’une brouille
Après son procès de type soviétique, on a pu croire en mars à une issue rapide et heureuse. Au Salon du livre, le président de la République allait jusqu’à laisser entendre que la libération de l’écrivain était imminente. Après sa condamnation à cinq ans de prison ferme s’est installé un narratif postulant qu’à Alger une grâce présidentielle interviendrait rapidement. La visite du ministre des Affaires étrangères français rendait cette hypothèse plausible. Certes, sur place, il était peu disert sur le cas Sansal, mais le retour de la diplomatie était censé clore des mois de tensions franco-algériennes.
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Las ! Aujourd’hui, une autre lecture de la situation a largement douché cet espoir. Otage des hiérarques algérois, otage de la brouille entre les deux rives de la Méditerranée, Boualem Sansal est aussi otage des luttes de factions travaillant le pouvoir algérien. Les informations parvenant au comité pour sa libération nuancent les propos officiels encourageants, abondamment relayés par nombre de médias. Les bons connaisseurs de la réalité algérienne sont sceptiques quant aux chances d’une issue rapide. A minima, parmi les dignitaires du régime, deux lignes semblent s’affronter : certains veulent clore le dossier Boualem Sansal au plus vite, sans cependant perdre la face, les autres ne veulent rien céder. Il est à craindre que le conflit entre ces deux tendances réduise fortement la possibilité d’une proche libération…
L’Algérie n’est pas une démocratie
L’Algérie n’est pas une démocratie, comme feignent de le penser les autorités françaises. Elle n’est pas non plus une autocratie classique indexée sur le pouvoir d’un chef. C’est une dictature sans dictateur. Le « système », comme disent les Algériens est polyarchique : tyrannique à n’en pas douter, mais d’une tyrannie qui se nourrit des luttes de clans, et au sein de laquelle l’armée joue depuis l’indépendance un rôle cardinal, celui d’arbitre entre les différentes factions.
L’erreur d’Emmanuel Macron a été de croire qu’en se concentrant sur sa relation avec le seul président algérien, notamment le successeur de Bouteflika, Abdelmadjid Tebboune, il s’assurait la bienveillance de la totalité du régime. Ayant renoué le contact avec son homologue d’Alger, il a cru à la liberté de Boualem Sansal. C’était compter sans la complexité inhérente au tissu politico-militaire algérien, sorte de « tapis d’Orient aux motifs compliqués », pour reprendre une formule d’Henry James. Mouvante, tributaire d’équilibres précaires et de déséquilibres constants, la politique algérienne n’est pas univoque mais équivoque par nature tout autant que par construction. Ce qui est vrai le jour peut être démenti la nuit.
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Cette fluctuation constante, propre à ce système hybride, soviétoïde d’un côté, oriental de l’autre, explique pour une part les derniers rebondissements du face-à-face franco-algérien, qui grèvent encore les espoirs de libération de notre ami. L’arrestation d’un agent consulaire algérien soupçonné d’être impliqué dans la tentative d’enlèvement d’un opposant algérien sur le territoire français illustre les ambivalences permanentes des autorités d’Alger. En tout cas, les expulsions réciproques ont effacé en quelques heures le prétendu réchauffement diplomatique annoncé par Jean-Noël Barrot. Le ressentiment antifrançais reste le sempiternel alibi d’une nomenklatura qui redoute plus que tout la contestation d’une jeunesse bouillonnante, en raison tant d’une économie en berne que d’un manque de libertés. À ce bilan s’ajoute l’affaiblissement géopolitique, comme en attestent les difficultés de la diplomatie algérienne au Sahel, y compris avec l’allié russe.
Cynisme algérien et faiblesse française
C’est dans ce contexte que la ligne dure mâtinée d’islamisme semble à nouveau imposer ses vues à l’intérieur du « système ». Pour ses partisans, Sansal est une monnaie d’échange qui doit leur permettre d’obtenir le maximum de concessions des Français. En particulier en matière de politique de visas, instrument indispensable à la survie des hiérarques qui tiennent les manettes de l’État. C’est le cœur de leur politique française, par ailleurs toujours gagée sur l’autoculpabilisation de leurs interlocuteurs dont ils mesurent l’ignorance et la faible compréhension de leur culture politique.
La retenue de Paris depuis l’arrestation de l’écrivain n’est pas perçue à Alger comme un signe de bonne volonté, mais comme une preuve de faiblesse. Face à cette faiblesse, les dirigeants algériens déploient toute la palette du rapport de forces, de la ruse à la menace en passant par la provocation.
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Aux prises avec un roman tragique qu’il aurait pu écrire, Boualem est le prophète de son propre malheur, la métaphore vivante de tous les maux qu’il n’a eu de cesse de dénoncer : le cynisme des responsables algériens, la faiblesse des Français, les ressorts islamisants des premiers, les fragilités post-modernes des seconds, toute une dialectique de la malédiction qui n’en finit pas de nécroser la relation entre les deux pays.
Nous ne cesserons pas de dénoncer l’intolérable enfermement de l’écrivain, nous ne nous résignerons pas et nous nous battrons jusqu’à ce que cet homme libre le redevienne effectivement. Plus qu’un devoir, c’est une nécessité absolue.
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