« Que la paix soit avec vous tous » : comment le pape Léon XIV incarne à la fois tradition et modernité
Léon XIV s’efforcera de traduire l’idéal « un seul esprit et un seul cœur » dans une action qui protégera le travailleur vulnérable, le migrant déplacé et la planète blessée.


Sous les acclamations de la foule, le cardinal américain Robert Francis Prevost est apparu ce 8 mai au balcon de la basilique Saint-Pierre. Le nouveau pape a choisi de s’appeler Léon XIV - un nom qui fait référence à deux figures majeures du Vatican et annonce un pontificat guidé à la fois par la tradition, la modernité et l’idéal augustinien d’harmonie : un seul cœur et un seul esprit dans le chemin de Dieu.
Il est le premier pape originaire des États-Unis, le premier Augustinien à occuper le trône de Pierre et le premier anglophone à le faire depuis Adrien IV au XIIe siècle.
Le pape Léon XIV a salué Rome et le monde avec une simple bénédiction : « Que la paix soit avec vous tous ».
En choisissant une bénédiction qui met l’accent sur la concorde, il a indiqué ce que serait l’axe principal de son action, et en la prononçant en italien et en espagnol il a souligné sa volonté de s’adresser de façon accessible à la plus grande quantité possible de croyants.
Qui est Robert Francis Prevost ?
Né à Chicago en 1955, Prevost grandit dans la banlieue ouvrière de Dolton. Enfant de chœur, il fréquente le séminaire du lycée Saint-Augustin. Il obtient une licence en sciences à l’université Villanova (Pennsylvanie) et un doctorat en droit canonique à l’université pontificale Saint Thomas d’Aquin à Rome.
En 1977, Prevost entre dans les ordres des Augustins, prononce ses vœux solennels en 1981 et est ordonné en 1982. Pour les Augustins, la vertu ne réside pas dans la pauvreté elle-même, mais plutôt dans le partage des biens : la communauté importe plus que l’accomplissement personnel. La vision augustinienne repose sur trois piliers : l’intériorité, l’amour du prochain et la quête de vérité. Ce cadre guidera l’action de Prevost dans ses missions et dans ses appels à l’unité et à la paix.
Prevost a administré des communautés dans plus de 50 pays, mais il a commencé en tant que missionnaire dans le nord du Pérou en 1985. Au cours des dix années suivantes, il a enseigné le droit canonique, dirigé un séminaire à Trujillo et une paroisse naissante dans la périphérie urbaine de Lima et pris des décisions dans des affaires de mariages.
Cette expérience l’a sensibilisé à la condition des travailleurs et aux problématiques liées aux industries extractives ainsi qu’aux migrations. Ces préoccupations - qui font écho à la lettre ouverte Rerum novarum publiée par son homonyme Léon XIII en 1891 - sont évidentes dans les priorités sociales de Prévost aujourd’hui. En 2015, il a été nommé évêque de Chiclayo au Pérou et, en 2023, préfet du Discatère pour les évêques, un poste lui conférant la responsabilité d’entériner la désignation des évêques dans le monde entier.
Devenu cardinal en septembre 2023 et élevé au rang de cardinal-évêque d’Albano en février 2025, Prevost s’est présenté au conclave avec une réputation d’homme polyglotte (il parle couramment cinq langues) et réservé.
Au quatrième tour de scrutin, les cardinaux ont fini par le désigner. Une heure plus tard, il saluait en italien puis en espagnol la ville et le monde en tant que pape Léon XIV : un geste bilingue qui honore ses racines italo-américaines et sa citoyenneté péruvienne.
Pourquoi Léon XIV ?
Le choix du nom Léon XIV est un programme en soi. En invoquant les grandes figures de la préservation de l’unité de l’Église Léon le Grand (pape de 440 à 61) et de l’enseignement Léon XIII, le nouveau pape laisse entendre qu’il s’en inspirera.
Ses défis en 2025 ? Traduire la spiritualité communautaire augustinienne dans sa gouvernance, étendre l’enseignement social inauguré par Léon XIII et servir de médiateur entre des factions polarisées. En cela, la mémoire de ses prédécesseurs est plus une boussole qu’une carte, orientant l’horizon de son pontificat marqué par les bouleversements numériques, migratoires et climatiques du XXIe siècle.
On peut s’attendre à ce que Léon XIV fasse preuve de diplomatie autant que Léon le Grand et que, à l’instar de Léon XIII, qui a défendu les droits syndicaux et a attaqué le capitalisme exploiteur, il prenne position sur les questions relatives aux transformations du travail, mais aussi sur le dérèglement climatique et sur les déplacements forcés. Et si Léon XIII a donné au catholicisme sa première réponse complète à la modernité industrielle, Léon XIV pourrait être chargé d’articuler une vision augustinienne pour l’Anthropocène numérique : une vision de l’humanité comme une communauté de pèlerins, liée par un amour partagé plutôt que par un profilage algorithmique des préférences.
« Soyez un seul esprit et un seul cœur sur le chemin de Dieu »
La première phrase de la Règle de Saint-Augustin est la suivante : « Soyez un seul esprit et un seul cœur sur le chemin de Dieu. » L’accent mis par l’ordre sur la prière intérieure plutôt que sur les activités extérieures correspond à la préférence de Léon XIV pour l’adoration eucharistique silencieuse au détriment des grandes cérémonies, de même que l’importance que l’ordre accorde à l’apprentissage est en phase avec sa soif d’érudition.
Comme le pape François, Léon XIV a condamné l’avortement et l’euthanasie. Il maintient que seuls les hommes peuvent être diacres. Dans un discours prononcé en 2012, il a déploré la normalisation médiatique des « familles alternatives composées de partenaires de même sexe ». Dans le même temps, il est très critique à l’égard des politiques migratoires strictes appliquées par les États-Unis.
Le tout fait de lui un centriste, prêt à défendre les limites doctrinales, tout en s’affirmant sur la justice sociale, l’action climatique et la transparence de la gouvernance que le pape François a commencé mais n’a pas achevé.
Défis à venir
Léon XIV hérite d’une Église fragmentée. Les conservateurs craignent une dérive doctrinale, tandis que les progressistes souhaitent une réforme accélérée de la gouvernance, de la liturgie et du rôle des femmes.
Son engagement augustinien pourrait faire de lui un bon médiateur, ce qui sera d’autant plus indispensable que les crises géopolitiques exigent un regain de diplomatie de la part du Saint-Siège et les finances du Vatican accusent toujours des déficits insoutenables.
Finalement, Léon XIV incarne bien à la fois la tradition et la modernité. Son succès dépendra de sa capacité à traduire l’ancien idéal de l’ordre augustinien d’un seul cœur et d’un seul esprit en structures qui protègent le travailleur vulnérable, le migrant déplacé et la planète blessée. Cependant, sa formation, son savoir et ses antécédents suggèrent qu’il comprend que la crédibilité de l’Église repose aujourd’hui, de même qu’en 1891 sous Léon XIII, sur le fait que la charité sociale et la clarté théologique ne sont pas des rivales, mais des partenaires sur le chemin de Dieu.
Comme Léon XIII, Léon XIV aborde le monde non pas comme un ennemi à vaincre, mais comme un terrain moral à cultiver. Son pontificat doit faire face aux questions écologiques, technologiques et migratoires de notre époque.
Son discours inaugural en faveur de la paix laisse entrevoir une vision dans laquelle la justice sociale, la gestion écologique et la fraternité humaine s’entrecroisent. Reste à voir s’il pourra traduire cette vision en réforme institutionnelle et en leadership moral mondial.
En invoquant l’héritage de Léon XIII, la boussole du pontificat de Léon XIV pointe vers une Église intellectuellement sérieuse, socialement engagée et pastoralement proche : une Église qui parle à nouveau aux travailleurs des entrepôts d’Amazon, aux migrants des camps de détention, aux étudiants, aux réfugiés du Sahel et aux jeunes qui naviguent tant bien que mal dans le marché de l’emploi. S’il réussit, le nom qu’il a choisi se lira comme une promesse prophétique, reliant l’appel très clair de 1891 pour la justice aux demandes inexplorées de 2025 et au-delà.
Darius von Guttner Sporzynski ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.