Politique britannique: une tente pour les migrants, et un trône pour Farage!

Outre-Manche, Reform UK est devenu incontournable. Le trublion eurosceptique s’impose comme le nouveau visage d’une colère anglaise qui ne veut décidément pas passer. Le parti vient de remporter 10 municipalités, et il a conquis trois conseils locaux majeurs (dont Kent, Doncaster et Staffordshire), marquant une percée historique sur le terrain local. Le parti a également arraché un siège de député aux travaillistes dans une élection partielle ultra-serrée, confirmant sa montée comme force d’opposition nationale. Nigel Farage n’est pas seulement de retour: il fait main basse sur les ruines du vieux système britannique, raconte Jeremy Stubbs... L’article Politique britannique: une tente pour les migrants, et un trône pour Farage! est apparu en premier sur Causeur.

Mai 7, 2025 - 09:02
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Politique britannique: une tente pour les migrants, et un trône pour Farage!

Outre-Manche, Reform UK est devenu incontournable. Le trublion eurosceptique et anti-immigration s’impose comme le nouveau visage d’une colère anglaise qui ne veut décidément pas passer. Le parti vient de remporter 10 municipalités, et il a conquis trois conseils locaux majeurs (dont Kent, Doncaster et Staffordshire), marquant une percée historique sur le terrain local. Le parti a également arraché un siège de député aux travaillistes dans une élection partielle ultra-serrée, confirmant sa montée comme force d’opposition nationale. Nigel Farage n’est pas seulement de retour: il fait main basse sur les ruines du vieux système britannique, raconte Jeremy Stubbs.


A la fin de la semaine dernière, une série de victoires électorales éclatantes remportées par Reform UK, le parti du toujours bouillonnant Nigel Farage, a provoqué un tremblement de terre politique outre-Manche.

Les répercussions ultimes de ce séisme restent difficiles à évaluer, mais ce qui est certain, c’est que le système traditionnel en Grande Bretagne, fondé sur l’alternance entre les deux Partis conservateur et travailliste, a encaissé un sacré choc.

Au Royaume Uni, contrairement à ce qui se passe en France, les élections locales n’ont pas nécessairement lieu toutes en même temps. C’est ainsi qu’il y a eu des scrutins dans 23 municipalités dans le nord, le centre et l’ouest de l’Angleterre, ainsi que des scrutins pour choisir six mandats de maires directement élus. Pour compléter le tableau, le hasard a voulu qu’il y ait en même temps une élection partielle pour un siège de député à la Chambre des Communes, provoquée par la démission d’un député travailliste qui avait été condamné par la justice pour avoir violemment agressé un de ses électeurs.

De Ukip à Reform UK

Le parti Reform UK avait été fondé par Farage en novembre 2018 afin de faire pression sur le gouvernement conservateur de l’époque qui semblait incapable, ou réticent, à mener à bien la sortie de l’Union européenne décidée par le referendum de 2016. Cet objectif ayant été atteint, Farage a rebaptisé son parti Reform UK en janvier 2021 afin de mener campagne contre l’immigration de masse et les dérives des politiques écologiques et en faveur d’une économie plus libérale avec moins d’impôts. En décembre 2018, M. Farage avait quitté le parti précédent dont il avait été le leader, UKIP, parce que la ligne de ce dernier était devenue trop extrémiste à ses yeux.

Reform n’a explosé sur la scène politique nationale que lors des élections générales de juillet 2024, obtenant 14,3% du vote populaire (mais seulement cinq sièges à la Chambre des Communes à cause du système électoral britannique, un scrutin uninominal majoritaire à un tour). Cette victoire a permis à Farage lui-même d’obtenir son premier siège au parlement national. Or, les résultats de la semaine dernière ont démontré que le succès de 2024 n’était pas qu’un feu de paille. Sur les 23 municipalités, Reform en a gagné 10. Les travaillistes en ont perdu une, mais les conservateurs 16 ! Les Libéraux-Démocrates ont gagné trois municipalités, tandis que quatre autres n’ont pas trouvé de majorité.

La déconfiture des travaillistes, qui ont perdu 187 sièges de conseillers municipaux, était normale, dans une certaine mesure, pour un parti au gouvernement qui, après sa victoire aux élections générales, avait vite perdu en crédibilité auprès de l’électorat. Ses mesures économiques, notamment la suppression d’une subvention pour le chauffage en hiver, se sont révélées extrêmement impopulaires. Pourtant, la conséquence la plus frappante du succès de M. Farage, c’est l’effondrement du Parti conservateur, qui a perdu 674 sièges de conseillers municipaux. C’est presque le même nombre que celui des sièges obtenus par Reform, 677, bien qu’en réalité un certain nombre des sièges jusqu’alors conservateurs sont passés entre les mains des Libéraux-Démocrates. Concurrencés sur leur droite par Reform, les Conservateurs avaient déjà été sérieusement mis à mal lors des élections parlementaires de l’année dernière. Cette nouvelle confirmation de l’importance prise par Reform sur la scène politique a permis à Farage de déclarer que son parti avait désormais remplacé les Conservateurs comme principal parti d’opposition au gouvernement travailliste.

Prises de guerre

Les nouveaux exploits de Reform ne se sont pas limités aux conseils municipaux. Sur les six mairies directement élues, il en a gagné deux. Cerise sur le gâteau, il a remporté aussi le siège de député qui jusqu’alors avait été un fief travailliste. La circonscription en question est celle de Runcorn et Helsby, située dans le Cheshire, au sud de Liverpool. La marge de victoire de Reform – six votes – est la plus petite jamais connue outre-Manche, mais cette prise de guerre apparait comme le symbole du dynamisme irrépressible du parti faragiste. La victoire a permis à Reform de reporter le nombre de ses députés parlementaires à cinq, car un des élus de juillet dernier, Rupert Lowe a été expulsé du parti en mars de cette année. Le succès de Reform est d’autant plus impressionnant que certains commentateurs avaient prédit l’implosion du parti à la suite d’une dispute acrimonieuse entre Lowe et Farage. Des différends personnels opposant deux hommes très charismatiques se sont transformés en un conflit idéologique en janvier quand Elon Musk, au milieu de cette phase assez paroxystique où il publiait sur X des jugements très tranchés sur la vie politique britannique et allemande, a dit préférer Lowe à Farage qui, à ses yeux, était devenu trop mou et trop mainstream. Aujourd’hui, non seulement Lowe a été expulsé du parti, mais il est aussi accusé d’avoir menacé de violence le président de Reform, Zia Yusuf, ainsi que d’avoir tyrannisé deux salariées.

Si Reform a obtenu un aussi grand succès en dépit de ces remous, c’est sûrement parce que la désillusion de l’électorat vis-à-vis des deux partis traditionnels est si grand. C’est aussi parce que, dans les régions où les scrutins ont eu lieu, il y a une forte opposition à l’immigration de masse et une insatisfaction profonde vis-à-vis du maintien de l’ordre qui est perçu comme étant au service uniquement du multiculturalisme. Cette même colère a éclaté au grand jour l’été dernier lors des émeutes violentes qui ont secoué surtout les régions périphériques de l’Angleterre et qui, dans certains quartiers, a pris pour cible les hôtels où étaient logés des migrants illégaux. Or, les questions de l’immigration et du logement des migrants ne relèvent pas des autorités locales mais du gouvernement central, mais elles constituaient l’arrière-plan de ces élections. Reform a juré que ses élus locaux feront le maximum sur le plan juridique pour empêcher le gouvernement de louer de nouveaux hôtels dans les municipalités sous le contrôle du parti. Une nouvelle maire, Andrea Jenkyns, une ancienne ministre conservatrice, a déjà déclaré que les clandestins devraient être logés dans des tentes. Il est vrai que la facture d’hôtel payée par le gouvernement pour l’année 2023-2024 était de 3,6 milliards d’euros !

Reform sera-t-il à même d’exaucer les vœux des électeurs ? Prenant modèle sur Trump et Musk, Farage a annoncé que dans chacune de leurs municipalités, leurs élus allaient lancer une grande opération « DOGE » pour faire des économies, tout en mettant fin aux programmes DEI ou visant la neutralité carbone. Pourtant, les budgets des municipalités sont déjà très réduits et les deux tiers de leurs revenus sont consacrés aux programmes d’assistance sociale, que les électeurs ne veulent pas voir réduits. C’est maintenant que commence le vrai test du parti de Nigel Farage, ainsi que du leader politique lui-même : se montreront-ils capables, non seulement de faire de beaux discours et de belles promesses, mais aussi de gérer des budgets et d’administrer des localités ?

C’est cela qui nous permettra de dire si le vieux système bipartite au Royaume Uni est fini ou juste en proie à une turbulence passagère.

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