Paris-Roubaix: le panache insensé de Pogačar
Ce dimanche 13 avril se tiendra la célèbre course cycliste du Paris-Roubaix. Notre chroniqueur revient sur cet évènement incontournable des amoureux du vélo, et dévoile les enjeux de la compétition cette année... L’article Paris-Roubaix: le panache insensé de Pogačar est apparu en premier sur Causeur.

Ce dimanche 13 avril se tiendra la célèbre course cycliste du Paris-Roubaix. Notre chroniqueur revient sur cet évènement incontournable des amoureux du vélo, et dévoile les enjeux de la compétition cette année.
Flonflons d’accordéon, demis de bière, frites, casse-croutes jambon-beurre ou saucisse… Comme tous les ans, ce dimanche, immuablement le second d’avril, une France populaire va se retrouver, dans une ambiance de kermesse, sur les points névralgiques, du parcours de la reine des classiques cyclistes, Paris-Roubaix, dite « l’enfer du nord », « la dure des dures » à cause de ses 55,7 km de pernicieux pavés disjoints, répartis en 30 secteurs, sur une distance totale de 259,7 km.
Une course mythique et populaire
Dès tôt le matin, une foule bon enfant converge vers ces lieux mythiques de la légende vélocipédique, tels que la tranchée d’Aremberg ou le Carrefour de l’Arbre, où souvent se joue la compétition. Et puis, après le passage des ultimes attardés dont certains arriveront au vélodrome de Roubaix hors délais – ils étaient 18 l’an dernier -, elle regagne ses pénates avec le sentiment d’avoir passé une belle journée. Le spectacle du défilé entre les premiers et les derniers ne dure qu’environ une heure. Les coureurs sont méconnaissables sous leurs masques de poussière s’il fait beau, ou crottés de boue de la tête aux pieds s’il pleut, certains maillots et cuissard sont déchirés victimes d’une violente chute, car on tombe beaucoup sur les pavés.
Disputée pour la première fois le 19 avril 1896, sans conteste, Paris-Roubaix est la course à nulle autre pareille. Elle fait partie de celles qu’on appelle dans le cyclisme les « cinq monuments » avec Milan-San Remo, le Tour des Flandres, Liège-Bastogne-Liège, dite « la Doyenne », et Tour de Romandie. Mais à la différence de ces quatre dernières, elle s’est érigée en mythe grâce à une politique de conservation de ces pavés qui, dans les années 50, ont bien failli disparaître sous une couche d’asphalte. C’est la course dont tout champion, s’il veut entrer dans « la légende des cycles », se doit de prendre le départ et surtout de vaincre.
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Très certainement, c’est la raison qui a dû pousser le prodige du vélo, le flamboyant Tadej Pogačar, « le nouveau cannibale »1 à participer à cette 122ᵉ édition, à la surprise générale, et contre l’avis des dirigeants de son épique, l’UAE (en français : Union des Émirats Arabes, la mieux dotée financièrement de tout le peloton), faisant en la circonstance preuve, conformément à son intrépide tempérament qui le pousse à tenter ce que d’aucuns n’osent, d’un panache insensé. En effet, s’il gagne, il sera le seul avec Louison Bobet (en 1956) à condition de remporter le prochain Tour de France, ce qui est dans l’ordre du probable, à s’être imposé dans ces deux épreuves depuis 1945. Mais, en même temps, il prend un grand risque, celui d’une très mauvaise chute qui compromettait la suite de sa saison et le priverait d’une quatrième victoire sur le Tour alors qu’il en a fait son objectif principal (avec la conservation de son maillot arc-en-ciel de champion du monde). Et le risque est sérieux… la météo prévoit pour ce dimanche des averses qui rendront les pavés très glissants et boueux, et un vent arrière de 40 km/h qui fera que ça roulera très vite. L’approche des secteurs pavés donne lieu à de véritables sprints où ça frotte dur pour y entrer le mieux placé possible afin de pouvoir choisir sa trajectoire, d’éviter d’être pris dans une éventuelle chute ou de se faire piéger par tout autre incident. À l’approche de ces secteurs, les coureurs font des pointes souvent aux alentours des 60km/h, voire plus, et freinent le plus tard possible… Et quand on se ramasse à cette allure, ça fait très mal.
Une course à enjeux
Cette année, ce Paris-Roubaix prend en outre une tournure de « belle » entre les deux grands rivaux sur les classiques, bien que très amis dans la vie hors courses, Tadej Pogačar et Mathieu Van der Poel, le petit-fils de Raymond Poulidor. Le premier compte huit « Monuments » à son palmarès (deux Tours des Flandres, deux Liège-Bastogne-Liège, quatre Tours de Romandie), le second sept (trois Tours des Flandres, deux Paris-Roubaix, deux Milan-San Remo). Si ce dernier s’impose à Roubaix, ils seront à égalité, comme ils le sont en ce début de saison, une victoire chacun. Van der Poel s’est imposé à San Remo où Pogačar s’est classé troisième. Sur les Flandres, dimanche dernier, résultat inversement symétrique : Pogačar a pris sa revanche après un magistral cavalier seul de près de 20 km, et Van der Poel, lui, relégué dans le groupe de chasse, a terminé à son tour troisième.
Sur le papier, l’avantage est indubitablement au petit-fils de Poulidor. Sept fois champion du monde de cyclo-cross, il est très à l’aise sur les pavés, connait le parcours au centimètre près. Il s’y est imposé avec une grande maestria ces deux dernières années. Qui plus est, avec son 1,84m et 75km, il a la morphologie, dirait-on, qui convient pour endurer les pavés. En revanche, pour Pogačar, son physique, 1,76 m et 66 kg, est un handicap, car plus on est léger plus on tressaute et plus on est instable sur sa monture. Conséquence, le rendement en pâtit. En outre, c’est sa première participation. Or gagner à Roubaix implique de l’expérience. S’ajoute aussi le profil plat du parcours qui ne lui convient pas, à la différence du Tour des Flandres et sa succession de monts où la fulgurance de ses démarrages a fini par faire la décision.
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Dès lors, la question qui se pose : vont-ils se livrer à une bataille effrénée dès le premier secteur pavé situé à 95,8 km du départ de Compiègne et à 163,9 km de la ligne d’arrivée, ou, si aucun fâcheux incident ne met l’un ou l’autre hors course, se marquer à la culotte faisant à leur insu le jeu d’un troisième larron à l’affût ? Dans l’un ou l’autre des cas, ce troisième larron susceptible de tirer les marrons du feu de cette rivalité qui renoue les grands épiques duels d’antan ayant écrit les plus pages de l’épopée cycliste, a pour nom Vout Van Aert, le revenant, Mads Petersen, l’opportuniste, ou Filippo Ganna, l’obstiné, parmi quelques autres. Dans le cyclisme, il arrive souvent que c’est le plus malin qui gagne, pas le meilleur. Là est la grandeur de ce sport qui est plus qu’un sport… N’est-ce pas, feu Antoine Blondin2?
- Le cannibale était le sobriquet d’Eddy Merckx tellement il était vorace de victoires, ne laissant aux autres que les secondes places.
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- Écrivain français, auteur notamment d’Un singe en hiver, 27 Tours de France à son actif en tant que chroniqueur pour l’Équipe, et à son palmarès 584 chroniques sur la Grande Boucle, et franc buveur. Quand il entrait dans la salle de rédaction du Tour, il saluait ses confrères par un retentissant : « Allez, les gars, au goulot, vite fait. »
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