Marine, candidate !

L’expression enrage les progressistes mais le traitement infligé par la Justice à Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen prouve que le gouvernement des juges est une réalité. S’appuyant sur une interprétation extensive de la loi, des magistrats prétendent mieux savoir que nous pour qui il ne faut pas voter. Sans susciter de grande protestation de l’opinion. Quand la punition de quelques-uns permet de rééduquer tout un peuple... L’article Marine, candidate ! est apparu en premier sur Causeur.

Mai 9, 2025 - 12:06
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Marine, candidate !

L’expression enrage les progressistes mais le traitement infligé par la Justice à Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen prouve que le gouvernement des juges est une réalité. S’appuyant sur une interprétation extensive de la loi, des magistrats prétendent mieux savoir que nous pour qui il ne faut pas voter. Sans susciter de grande protestation de l’opinion. Quand la punition de quelques-uns permet de rééduquer tout un peuple.


Ils n’oseront pas. Beaucoup d’observateurs, dont votre servante, s’étaient persuadés que les juges refuseraient de mettre les pieds dans le plat présidentiel et s’abstiendraient sagement d’assortir une éventuelle peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire. C’était trop gros, le peuple n’accepterait pas. Erreur sur toute la ligne. Les juges ont osé et le peuple n’a pas moufté.

L’erreur Système des dévots de l’État de droit

Un tribunal de première instance a décidé, au nom du peuple français, que la patronne du premier parti de France (dont l’avocat répond à nos questions, page 54 de notre magazine) serait interdite de compétition présidentielle. Un autre pourrait, dans quelques mois, envoyer en prison un ancien président de la République, déjà placé sous bracelet électronique par le jugement ignominieux de l’affaire dite Bismuth. Rappelons ce qui est alors reproché à Nicolas Sarkozy : dans le cours de ses conversations avec son avocat et ami (espionnées par la justice avec la bénédiction de la Cour de cassation !), il aurait envisagé de pistonner un magistrat en échange d’informations. Le piston n’a jamais été activé, le poste jamais sollicité, les informations jamais données mais peu importe, trois niveaux de juridiction ont validé la fable d’un pacte de corruption. Orwell, reviens ! En France, on peut être condamné pour des propos privés n’ayant jamais été suivis de la moindre exécution. Je crois bien avoir dit hier à quelqu’un que j’avais envie d’étrangler je ne sais plus quelle bécasse féministe, ça vaut combien ?

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« La loi est la même pour tous », psalmodient les dévots de l’État de droit à chaque fois qu’un juge requiert ou prononce une peine particulièrement sévère à l’encontre d’un politique. Comme si le droit n’était pas une production humaine imparfaite et contestable mais une vérité révélée que des évangélistes en robe sont chargés de répandre. En réalité, la Justice respecte scrupuleusement les droits des délinquants sous OQTF, droits comprenant un nombre délirant de recours sans oublier le droit à une vie familiale normale (dont il ne fallait pas, par exemple, priver Hassan Iquioussen, imam homophobe, antisémite et apologue du terrorisme islamiste, dont l’expulsion a été suspendue en 2022 par le tribunal administratif) ; mais dans l’affaire du financement libyen présumé, elle stigmatise le cynisme de Nicolas Sarkozy, dénonce son « ambition dévorante » et et demande, qu’en plus de l’incarcération, il soit déchu de ses droits parentaux. Au point que notre cher Alain Finkielkraut parle de « réquisitoires haineux proférés la bave aux lèvres » (pages 42 du magazine). Au risque de me répéter, j’ai peur de la justice de mon pays. Et j’ai raison d’avoir peur.

La preuve du gouvernement des juges, c’est qu’il gouverne et qu’il juge. Les magistrats devraient se faire petits face au suffrage universel et ne l’affronter que dans les grandes occasions, par exemple quand une assemblée élue accorde les pleins pouvoirs à un vieux croûton autoritaire – mais là pas de chance, ils avaient tous piscine. (En revanche, un an plus tard, le 19 août 1941, à Royat, la totalité du Conseil d’État jure comme un seul homme « fidélité à la personne du chef de l’État »).

Manipulation de la jurisprudence

Or, depuis plusieurs années, comme le montre Pierre-Henri Tavoillot (pages 50 du magazine), les juges ne se contentent pas d’appliquer la loi, ils se sont octroyé une telle marge d’interprétation qu’ils peuvent l’adapter à leur sauce idéologique ou à leur inquiétant désir de pureté. Dans Le Monde du 12 avril, l’inaltérable Pierre Rosanvallon, par ailleurs grand chantre de la démocratie horizontale, prétend que « les juges incarnent autant que les élus le principe démocratique de la souveraineté du peuple ». Ce n’était pas l’avis du Général et de Michel Debré, qui leur ont concédé une autorité face aux pouvoirs issus des urnes. L’avocat Hervé Lehman réplique dans Le Figaro : cette théorie, écrit-il, « a pour objet de permettre aux juges de limiter les initiatives du Parlement considérées comme populistes, comme celles qui voudraient limiter les flux migratoires. On comprend aussi que, puisque les juges sont plus progressistes en moyenne que les électeurs, la légitimité nouvelle donnée aux juges permet de contrebalancer le suffrage universel lorsque le peuple vote mal. 1» On ne dira pas que les gens de robe n’aiment pas le peuple. Au contraire, ils l’aiment tellement qu’ils veulent ce qui est bon pour lui. Une partie de la magistrature considère en conséquence qu’elle a reçu mandat pour faire barrage à l’extrême droite.

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Cette hubris justicière a profité du stupéfiant autodessaisissement consenti et même désiré par les élus, toutes couleurs confondues, qui a abouti, comme l’observe Henri Guaino, à « l’extension indéfinie du domaine du droit, du droit pénal en particulier2 ». Les juges disposent d’une flopée de lois pour améliorer la moralité, la transparence, la confiance qui leur permettent de placer les élus sous étroite surveillance. « Le gouvernement des juges, résume l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy, c’est quand la responsabilité pénale dévore la responsabilité politique, abolit la séparation des pouvoirs et que l’interprétation de la loi va si loin que c’est le juge qui fait la loi. » De sorte qu’un juge peut désormais sommer le gouvernement de tenir ses engagements en matière climatique, sous peine de sanction financière. Un autre peut condamner Éric Zemmour pour des propos sur Pétain lors d’un débat sur CNews alors qu’il n’a jamais nié ou minimisé les déportations ordonnées par le régime de Vichy. On ne résumera pas ici le raisonnement alambiqué de la Cour de cassation (voir l’article de Jean-Baptiste Roques, page suivante), mais rappelons qu’il a fallu pas moins de quatre audiences pour parvenir à ce résultat qui pourrait encore être cassé. Alors qu’on pleure rituellement la grande misère de la Justice, des magistrats ont planché des centaines d’heures sur une question qui relève du débat historiographique. Historiens, arbitres des élégances morales, garants des engagements politiques : espérons qu’en plus, nos juges font le café.

Sidérante inversion

Si les innombrables manifestations pratiques du gouvernement des juges ne suffisent pas aux sceptiques, il existe une preuve quasi théologique de son existence : c’est la fureur que sa seule évocation déclenche chez les progressistes. Comme l’islamo-gauchisme, le wokisme et le grand remplacement, le gouvernement des juges est un « fantasme d’extrême droite », puisque son existence contrevient au récit canonique du camp du Bien. Dans la foulée du jugement Le Pen, on assiste à une sidérante inversion. Le scandale, ou à tout le moins le trouble démocratique, ne naît pas de la déflagration politique créée par la décision, mais du fait que les prévenus (et pas seulement eux) osent la contester en organisant le 6 avril un meeting à Paris, place Vauban, dûment déclaré aux autorités et sans qu’un mot factieux ni haineux y soit prononcé. La presse de gauche, fort indisposée par les critiques de la Justice quand elles viennent de la droite, sonne le tocsin. Elle entend des bruits de bottes, sent un parfum de Capitole, voire de 6 février 1934. Dans un éditorial intitulé « La tentation trumpiste de Marine Le Pen », Le Monde dénonce une « démarche de nature populiste qui vise à alimenter le ressentiment, à décrédibiliser l’institution judiciaire, à ébranler l’État de droit. » Quelques milliers de mécontents bien élevés font trembler la République. « Insinuer que les juges prendraient leurs décisions en fonction de leurs préférences ou de leurs convictions personnelles revient à remettre en cause la légitimité démocratique de l’application de la loi elle-même », ose la présidente du Syndicat de la magistrature. Il faut croire que, comme les papes, les juges bénéficient de l’infaillibilité.

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En dépit des innombrables garde-fous procéduraux et autres colifichets juridiques censés garantir une justice impartiale, primo des juges peuvent prendre des décisions parfaitement arbitraires relevant d’une interprétation abusive de la loi, interprétation qui a de grandes chances d’être validée par les collègues de l’étage du dessus, et que deuxio, certains confondent droit et morale. Quand un tribunal de première instance décide que la partie la plus symbolique et la plus politique de sa décision (l’inéligibilité) ne doit pas être susceptible de recours, il y a sans doute une part d’égo – moi aussi je peux peser sur les événements –, mais aussi l’outrecuidante volonté de rééduquer le populo. Rappelons aux magistrats que leur boulot, c’est la légalité, pas la légitimité.

On voit mal pourquoi les juges s’autolimiteraient dès lors que leurs sorties de route ne suscitent que de vagues protestations. Pas de convergences des luttes en vue. C’est pourtant la même France des périphéries mentales et économiques qui subit de toutes parts remontrances et leçons de maintien. On a fermé sa télévision préférée (C8), on empêche sa candidate, on la prie de tenir sa guimbarde puante loin des centres-villes. Nul n’incarne mieux la sécession des élites annoncée il y a quarante ans par Christopher Lasch que cette ministre Marie-Chantal déclarant sans rire « les pauvres n’ont pas de voiture » (qu’ils mangent des brioches). Pire que du mépris, c’est de l’ignorance. On ne les voit plus et on s’en porte très bien. Il est peu probable que les multi-dépossédés se lancent encore dans une jacquerie sans espoir. Le risque est plutôt une contre-sécession silencieuse, le sentiment ravageur que tout ça ne nous concerne plus.

Il paraît que quand le juge décide, c’est la loi qui parle. La loi a parlé et Marine Le Pen sera probablement exclue de la présidentielle. Si on voulait dire à la France qui fume des clopes et roule au diésel qu’il y a un Système et que ce Système ne veut pas d’elle, c’est réussi.


  1. « L’État de droit n’est pas la cogestion de la démocratie par le Parlement et les juges », Hervé Lehman, Le Figaro, 15 avril 2025. ↩
  2. Henri Guaino, « En cédant à la tentation du gouvernement des juges, les magistrats préparent leur propre destitution », Le Figaro, 5 avril 2025. ↩

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