L’instruction à domicile, réponse à la phobie scolaire ?

Face aux phénomènes de phobie scolaire, qui mêlent symptômes psychologiques et difficultés sociales, certains parents font le choix de l’instruction à domicile. Remise en perspective de ce cheminement.

Mar 12, 2025 - 18:28
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L’instruction à domicile, réponse à la phobie scolaire ?

Face aux phénomènes de phobie scolaire, qui mêlent symptômes psychologiques et difficultés sociales, certains parents font le choix de l’instruction à domicile. Remise en perspective de ce cheminement à partir d’une enquête par entretiens.


L’école a toujours cherché à encadrer les élèves et leurs professeurs, avec un mode d’enseignement longtemps basé sur l’autorité et la discipline. Cependant, les savoirs pédagogiques, les connaissances psychologiques, les politiques publiques ainsi que des transformations sociales (massification scolaire, montée des droits individuels, nouvelles attentes éducatives) ont largement contribué à transformer les normes éducatives et la manière dont on interprète entre autres les manquements à l’assiduité.

Dans un contexte de compétition, où la responsabilité individuelle est de plus en plus mise en avant, les attentes de l’école peuvent engendrer stress, fatigue et épuisement, conduisant enfants et adolescents au retrait de la scène scolaire. Ce phénomène, qui mêle des symptômes psychologiques à des difficultés sociales, reflète les transformations contemporaines de l’école.

Bien que de nombreuses recherches existent sur les modes de production et les vécus des problèmes scolaires, peu d’études portent précisément sur le refus d’école. Il s’agissait ici de s’intéresser aux expériences de parents face à ce trouble aux multiples appellations : phobie scolaire, retrait scolaire, refus scolaire anxieux, syndrome d’inadaptation scolaire, anorexie scolaire, student apathy

Ce sujet soulève ainsi plusieurs questions : comment ce trouble est-il perçu, relaté et pris en charge par les familles ? Quelles sont les remédiations envisagées face aux souffrances des élèves concernés ? Notre étude repose sur une approche qualitative, fondée sur 23 entretiens approfondis avec des parents, principalement des mères issues des classes moyennes et supérieures.

Une difficulté à entrer dans le cadre scolaire

Les troubles phobiques constituent un motif de souffrance pour les parents qui se sentent à la fois poussés à se justifier et démunis pour inscrire leurs enfants dans des cadres qui ne soient pas trop dévalorisants. La phobie est généralement décrite comme une souffrance psychique et une inadéquation/inadaptation des affects et des conduites aux attendus sociaux et scolaires. Elle est définie par les mères rencontrées comme une « incapacité » et une « insuffisance » à exercer pleinement le métier d’élève.

C’est l’empêchement même de l’action et de l’engagement dans l’activité scolaire qui est évoquée. La phobie est envisagée comme une combinaison de pensées, d’émotions, de comportements et de rapports avec autrui perçus comme « déséquilibrés » et « douloureux ». Les mères évoquent un « malaise », de la « peur », de l’« anxiété », une « panne », du « désengagement » et du « ralentissement »…


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Tous les discours partagent un dénominateur commun : la variété des troubles, tant physiques qu’émotionnels, comme l’instabilité, l’inhibition, l’isolement, le manque de sociabilité, la colère, les maux de tête, les nausées… L’incapacité à nouer et à entretenir des relations positives avec ses camarades, sa famille ou les professeurs est une autre caractéristique majeure. Les craintes associées à des épreuves scolaires, les difficultés à accepter la réalité de la responsabilité et de l’autonomie personnelle, les peurs à réagir négativement aux nouvelles expériences, le manque de confiance en soi, les postures critiques et exigeantes, l’incapacité d’exprimer ses besoins et d’expliciter ses attentes… sont autant de défaillances individuelles pointées par les parents.

La mauvaise gestion du stress, les craintes devant les réactions des camarades et la peur d’échouer sont aussi des attitudes qui interpellent. Les épreuves subjectives de certaines expériences scolaires comme les moqueries des camarades, ou l’incompréhension des enseignants peuvent conduire à des retraits et à des révisions à la baisse des ambitions scolaires. De stigmatisations immédiates et durables à de petites défaillances capacitaires, les mères donnent à entendre toute la gamme des attitudes et des comportements perçus aujourd’hui négativement.

Doutes et manque de confiance de l'enfant

On peut pointer, aux dires des enquêtées, trois catégories essentielles de défaillances ou de reproches adressés par l’institution aux jeunes.

  • Tout d’abord, des mises en cause de soi qui renvoient au manque de travail scolaire et d’engagement sérieux dans les tâches pédagogiques (« paresse », « travail bâclé »…) ;

  • ensuite, celles qui traduisent un manque d’attachement aux règles scolaires de vie commune (« arriver en retard », « n’en faire qu’à sa tête », « dissipée ») ;

  • pour finir, celles qui traduisent des lacunes quant aux compétences sociales et cognitives attendues (« lenteur », « rêveur », « immaturité », « introverti », « manque d’autonomie »…).

Les évocations donnent à entendre une difficulté à être soi et à satisfaire un certain idéal scolaire. Manque de confiance, doute de soi, difficulté à décider ou à coopérer, isolement, routines protectrices, quête de confirmation de soi, tension sur la bonne proximité ou distance aux autres sont autant de signes traduisant une peur de l’insuffisance.

Réponse parentale et « choix » d’instruction en famille

Abasourdies par la survenue de ces difficultés et désireuses de répondre au mieux à la situation et de maintenir leurs enfants à flot, les personnes interrogées vont tenter d’instaurer différentes modalités de présence scolaire dans l’univers du jeune. L’émergence de la phobie va entraîner, chez toutes les familles enquêtées, un temps plus ou moins long d’éloignement de l’école et d’entrée dans l’instruction en famille. La question qui va rapidement se poser, c’est celle de la compatibilité ou non entre situation psychologique du jeune et poursuite, dans un cadre alternatif, des études.

La poursuite de la scolarité dans la famille prendra des formes variées qui dépendent largement, d’une part, de l’état de santé de l’enfant ou de l’adolescent et, d’autre part, des rapports entretenus avec l’institution au moment de l’émergence des difficultés (coopération, échange, collaboration, confiance, communication/conflit, opposition, résistances, etc.).

L’instruction à domicile de ces jeunes peut prendre différentes formes, plus ou moins institutionnalisées : enseignement à distance via le Centre national d’enseignement à distance (Cned) ; aménagement scolaire ; mixte Cned/instruction en famille/école ; instruction en famille assurée par la seule famille, avec un cadrage assez scolaire respectant les programmes et exigences ; mode informel d’instruction en famille fondé sur une « pédagogie » libre de découverte et d’initiative personnelle…


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Le choix de l’instruction à domicile dépend également du niveau d’adhésion des parents à une réintégration scolaire rapide.

Nous remarquons que les familles qui souhaitent le maintien d’un cadre scolaire dans ce temps de repos afin de viser une rescolarisation rapide ont connu des rapports relativement apaisés avec l’école et vont privilégier des modalités formelles d’instruction. À l’inverse, celles qui ont connu des tensions récurrentes avec l’école vont faire du retour en classe une priorité moins essentielle et vont privilégier une instruction en famille moins formalisée (pédagogie du projet en autonomie, découverte individuelle en fonction des besoins et intérêts de l’enfant…).

L’analyse du refus scolaire à travers l’expérience des parents met en lumière les multiples facettes de cette réalité, qui va bien au-delà d’un simple rejet psychologique de l’école.

Ce trouble est le reflet de souffrances psychologiques et sociales profondes, liées à une incapacité de l’élève à s’adapter aux attentes et aux normes scolaires contemporaines. Les réponses parentales sont plurielles. Elles témoignent toutes d’un désir de protéger le jeune tout en recherchant une forme d’équilibre entre son bien-être et ses besoins éducatifs. Équilibre qui dépend fortement des rapports antérieurs des parents à l’institution scolaire.


Cette analyse s’inscrit dans le projet « Une sociographie inédite de l’instruction en famille – SociogrIEF » ayant bénéficié du soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projet. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.The Conversation

Christine Plasse Bouteyre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.