«Les juges des enfants sont laxistes»
L’éducatif prime systématiquement sur le répressif, au risque de sacrifier l’impartialité et la sécurité publique. Etat des lieux... L’article «Les juges des enfants sont laxistes» est apparu en premier sur Causeur.

L’éducatif prime systématiquement sur le répressif, au risque de sacrifier l’impartialité et la sécurité publique. Etat des lieux.
Au cœur de l’actualité politique, médiatique et législative, la justice des mineurs demeure mal connue et mal comprise du grand public. Au-delà du fait qu’il est surprenant de voir des députés de la majorité présidentielle remettre en question le code de justice pénale des mineurs (CJPM), que leur camp a pourtant conçu et porté, notre collectif affirme que la réforme qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale ne résoudra rien tant elle pèche par manque d’analyse des causes profondes des dysfonctionnements actuels.
De fait divers en fait de société, la justice pénale des mineurs est régulièrement au centre des débats, que ce soit pour critiquer son ambition affichée de donner la primauté à l’éducatif sur le répressif ou pour dénoncer le code de justice pénale des mineurs comme un ouvrage crypto-fasciste ayant pour but d’incarcérer tous les mineurs de France. Les commentateurs de tous bords semblent parfois oublier qu’on ne s’improvise pas juriste et que, tout comme ils ne s’aviseraient pas de procéder à la révision d’une centrale nucléaire sur la base de quelques vagues notions de physique, ils devraient s’abstenir de livrer des pseudo-analyses fondées sur des poncifs et des contre-vérités à propos d’un droit qu’ils maîtrisent mal et qui relève davantage de l’usine à gaz que du bel ouvrage législatif. Une mise au point s’impose, précisément dans l’intérêt du débat public, afin que chacun puisse se faire une opinion éclairée, fondée sur des informations précises et fiables.
Nous analyserons donc cinq réflexions fréquentes à propos de la justice des mineurs et tenterons de démêler le vrai du faux. Cet exercice sera également l’occasion de tenter de répondre à la question centrale pour qui voudrait réformer la Justice française : si laxisme il y a, la faute aux juges ou la faute à la loi ? Enfin, nous tâcherons d’apporter des propositions de réforme réelle, voire de véritable révolution.
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Les juges des enfants sont laxistes. Comme la plupart des magistrats… Mais encore un peu plus.
Dans l’imaginaire collectif et judiciaire, le juge des enfants est une figure symbolique, voire un archétype : c’est le Bon Juge par excellence, celui qui n’est pas là pour punir mais pour aider, celui qui « met des mots sur les maux » – selon la formule consacrée dans les rapports des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse – , celui qui est compréhensif, à l’écoute, empathique. Bref, naturellement Bon. On retrouve ainsi cette figure non seulement dans la littérature et le cinéma, où le juge des enfants est systématiquement présenté comme le seul à percevoir la pépite cachée en chaque mineur délinquant1, mais également dans l’espace politico-médiatique. De nombreux juges des enfants se succèdent ainsi de reportages en plateaux télé, notamment à l’occasion de propositions de réformes de la Justice pénale des mineurs, pour clamer ô combien la répression est une impasse, et la pédagogie la solution à tous les travers de notre turbulente jeunesse.
La connaissance de l’accusé entraîne l’impartialité
Disons-le d’emblée : la plupart des juges des enfants sont des professionnels dotés de grandes qualités humaines, qui exercent leurs fonctions avec dévouement et implication. Ils ont un véritable intérêt pour les enfants qu’ils protègent et s’épuisent souvent dans des cabinets surchargés les conduisant à un travail d’abattage peu satisfaisant sur les plans juridique et humain. Néanmoins, ces qualités qui leur permettent de remplir leur mission de protection de l’enfance dans le cadre de l’assistance éducative les rendent trop souvent inaptes aux décisions rigoureuses et pénibles qu’appelle l’enfance délinquante.
Au nom de la spécialisation des acteurs et de la primauté de l’éducatif, le juge des enfants au pénal est aussi le juge qui suit le mineur en assistance éducative, au civil, lorsque son rôle est de protéger le mineur et donc d’agir exclusivement dans son intérêt. Il est donc souvent influencé par la connaissance du mineur qu’il a connu minot et considère avant tout comme un enfant en danger (« Oh, Bryan, ça faisait longtemps que je ne t’avais pas vu, tu as bien grandi ! Tu sais je me souviens encore de nos entretiens dans mon cabinet quand tu avais 8 ans… C’est terrible ce que tu as vécu à cette époque. Alors tu es là pour quoi aujourd’hui ? Un viol ? Ne t’inquiète pas l’audience va bien se passer, on se connaît bien n’est-ce pas ? »). La loi française privilégie ce lien entre le mineur et « son » juge, estimant que le mineur doit être jugé par un magistrat qui le connaît et qui connaît sa situation. Néanmoins, cela crée nécessairement un biais et un défaut dans l’impartialité du juge des enfants qui doit parfois juger le mineur pour des faits graves. C’est humain, mais regrettable, notamment pour les victimes qui ne bénéficient pas de la même connivence.
Un manque de magistrats au sein des tribunaux pour enfants
Par ailleurs, un tribunal pour enfants (seule juridiction hors cour d’assises habilitée à prononcer des peines d’emprisonnement à l’encontre d’un mineur2) est composé d’un juge des enfants qui préside et de deux assesseurs civils, sélectionnés comme ayant un intérêt particulier pour les mineurs. Ce sont souvent d’anciens enseignants, éducateurs, majoritairement à la retraite. Le juge des enfants est donc le seul magistrat professionnel, y compris en tribunal pour enfants criminel (qui peut prononcer jusqu’à 20 ans de réclusion), et a la main sur les débats et sur la décision rendue. Il y est relativement tout-puissant et a tendance, compte tenu des éléments évoqués plus haut, à ne pas être d’une sévérité délirante. Quant aux assesseurs, ils sont choisis précisément parce qu’ils sont sensibles à la cause des mineurs, souvent au détriment des notions d’intérêt de la société, de protection des victimes et de prise en compte de l’ordre public.
N’oublions pas, cerise sur le gâteau, la présence systématique des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse à chaque étape de la procédure et notamment à chaque audience, qui produisent des rapports parfois de bonne qualité et fournissent un travail pénible mais dont le commandement principal semble être : tu ne demanderas point d’incarcération (même si le mineur suivi est un psychopathe avéré multirécidiviste et que son éducateur n’accepte de se rendre aux rendez-vous avec lui que dans un lieu public, de jour et armé d’une bombe lacrymo).
Ajoutons à cela une forme de pression sociale s’exerçant sur les juges des enfants qui sont davantage au contact de professionnels de l’action sociale que des forces de l’ordre ; ainsi qu’une forme de surveillance entre juges au sein des tribunaux pour enfants («Ah tu as d’accord avec le parquet toi… Tu ne serais pas un peu répressif ?»). Et l’on comprend que prononcer une peine relève pour ces juridictions de la sévérité, une peine d’emprisonnement de l’exceptionnel et une peine d’emprisonnement ferme avec incarcération du quasi-blasphème.
RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI et LE JUGE DES ENFANTS
NOS PROPOSITIONS POUR EN SORTIR :
Propositions de réforme
- Au nom de l’impartialité, interdire au juge des enfants qui suit le mineur en assistance éducative de le juger au pénal
- Supprimer les assesseurs civils : le tribunal pour enfants sera composé de trois juges des enfants
- Faire juger tous les crimes commis par des mineurs par une cour d’assises des mineurs (suppression du tribunal pour enfants criminel)
Propositions de révolution
- Supprimer le juge des enfants : créer un juge de l’autorité parentale et de la protection de l’enfance qui assumerait les fonctions aujourd’hui occupées par les juges aux affaires familiales et les fonctions d’assistance éducative
- Faire juger les mineurs délinquants par le tribunal correctionnel avec une composition présidée par un juge pénal des mineurs
- Le film La tête haute, avec l’excellente Catherine Deneuve, est à cet égard très touchant mais hautement surréaliste.
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- Voir épisode 3
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