Les conflits au sein d’une équipe : coup de frein ou coup de boost pour la créativité ?

Le conflit n’est pas toujours un problème quand il s’agit de stimuler la créativité, au contraire. Reste que tout va dépendre de la nature du conflit et des personnes impliquées.

Avr 6, 2025 - 17:28
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Les conflits au sein d’une équipe : coup de frein ou coup de boost pour la créativité ?

Pour de nombreuses équipes, la notion de « bon conflit » relève du mythe. La plupart du temps, les désaccords sont perçus comme une entrave, en particulier lorsqu’ils opposent des personnalités fortes ou portent sur des choix stratégiques. Et si, bien gérées, certaines confrontations au sein d’une équipe pouvaient aider à faire éclore de nouvelles idées ?


La recherche s’intéresse depuis longtemps à l’impact des conflits d’équipe sur la créativité. Selon certains chercheurs, un « bon » conflit peut la stimuler ; selon d’autres, il nuit au potentiel créatif. Jusqu’à présent, les travaux ont dit tout et son contraire. La plupart des études ont tendance à mettre tous les conflits dans le même panier, ou, au mieux, à les classer grossièrement entre conflits liés aux tâches et conflits interpersonnels, en supposant qu’ils affectent tous les membres de l’équipe de façon identique. Mais nous le voyons maintenant, cette approche est trop simpliste.

Des recherches récentes, dont les nôtres, montrent qu’on obtient un tableau plus clair de la situation en examinant un facteur clé : le rôle des individus dans l’équipe, et en particulier leur statut au sein du réseau. En particulier, des effets intéressants se produisent au cours des conflits impliquant les membres clés : ceux qui occupent une position centrale dans le flux des tâches. Grâce à ces résultats, les dirigeants auront un nouvel outil d’analyse pour comprendre l’impact des conflits sur leurs équipes et adopter des mesures concrètes afin que ces tensions stimulent la créativité au lieu de l’entraver.

Le côté (parfois) positif du conflit

Dans toute équipe, des désaccords sur les tâches – qu’il s’agisse de la répartition des ressources, de la prise de décision ou de l’organisation du travail – sont inévitables. Ces conflits, appelés « conflits de tâche », sont souvent considérés comme bénéfiques par la recherche traditionnelle, qui y voit une source de nouvelles perspectives, un moteur de discussion et, s’ils sont bien gérés, un levier pour stimuler la créativité.

Pourtant, les données disent tout autre chose, et l’histoire est souvent plus complexe. Notre étude est née de la volonté de mieux comprendre ces résultats parfois contradictoires.


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En analysant les réseaux de 70 équipes travaillant au développement de nouveaux produits, nous avons constaté que les conflits de tâche impliquant des membres clés peuvent effectivement stimuler la créativité, en incitant l’équipe à repenser son travail – mais seulement à certaines conditions. Plus précisément, ces désaccords n’ont d’effet créatif que dans les équipes dont les membres partagent largement les mêmes objectifs. Ce constat reste valable même en tenant compte de tous les autres conflits de tâche existants au sein de l’équipe.

Lorsqu’un membre-clé – celui dont les autres dépendent pour des informations essentielles – entre en conflit sur une tâche, l’équipe est contrainte de prendre du recul, de réévaluer la situation et d’explorer de nouvelles approches. Cela l’oblige à sortir du mode pilotage automatique et, si un objectif commun est clairement partagé, cela favorise une attitude plus flexible et ouverte aux idées nouvelles – le moteur même de la créativité.

En revanche, en l’absence d’objectifs partagés, ces conflits n’apportent aucun véritable bénéfice créatif. Et ce n’est pas surprenant : pourquoi se fatiguer à remettre en question le statu quo si l’on n’est pas aligné sur le résultat à atteindre ? Finalement, ce que l’on considère traditionnellement comme des conflits d’équipe généraux ne contribue pas à la créativité ; c’est au cœur même de l’équipe que les véritables dynamiques créatives émergent.

La face obscure du conflit

À l’inverse, les tensions personnelles – appelées « conflits relationnels » – ont un impact bien différent. Ces conflits ne portent pas réellement sur le travail en lui-même, mais résultent plutôt de frictions entre des personnalités ou de problèmes interpersonnels.

Les travaux de recherche ont déjà bien établi que les conflits relationnels nuisent à la créativité au sein des équipes. Mais notre étude va plus loin : lorsque ces tensions impliquent des membres clés, leurs effets sont encore plus délétères. En fragilisant la cohésion du groupe (son « ciment »), ces conflits érodent la confiance et le sentiment de sécurité indispensables à l’émergence d’idées nouvelles.


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Lorsque les membres clés possèdent une forte intelligence émotionnelle, les effets les plus néfastes de ces conflits peuvent être atténués. En d’autres termes, cette compétence leur permet de gérer les tensions personnelles sans compromettre la cohésion de l’équipe, même lorsqu’apparaissent des désaccords. Une preuve de plus que les talents les plus précieux des entreprises sont non seulement ceux qui excellent dans leur domaine, mais aussi ceux qui savent gérer l’aspect humain.

Tirer profit du conflit

Alors, comment les managers peuvent-ils exploiter le potentiel créatif des conflits tout en en limitant les effets négatifs ? Voici quelques mesures concrètes à adopter :

  • définir des objectifs communs : en instaurant des objectifs partagés, les dirigeants favorisent un cadre où les conflits de tâche deviennent constructifs. Lorsque tous les membres avancent dans la même direction, les désaccords sur la manière d’y parvenir sont plus facilement surmontés, encourageant ainsi la réflexion et l’adaptabilité de l’équipe ;

  • développer l’intelligence émotionnelle : les conflits relationnels impliquant des membres clés peuvent fragiliser la cohésion de l’équipe. Il est donc essentiel de doter ces acteurs stratégiques des compétences émotionnelles nécessaires pour gérer les tensions interpersonnelles. Recruter des profils dotés d’une intelligence émotionnelle élevée ou les former à ces compétences permet de désamorcer les conflits sans nuire à l’unité du groupe, ce qui préserve ainsi son potentiel créatif ;

  • repenser le conflit : tous les conflits ne sont pas néfastes – ni bénéfiques – de la même manière. Une bonne structuration d’équipe prend en compte à la fois le rôle des membres clés et l’impact de leurs désaccords sur la dynamique collective. Les dirigeants doivent cesser de voir le conflit uniquement comme un obstacle et l’envisager aussi comme un levier de créativité, à condition de bien identifier qui est impliqué et comment cela est géré.

De manière générale, la recherche traditionnelle sur les conflits d’équipe adopte souvent une approche uniforme, considérant les conflits de tâche et relationnels comme s’ils impactaient tous les membres de la même manière. Grâce aux avancées dans l’analyse des dynamiques d’équipe, notre étude montre au contraire que les conflits impliquant des membres centraux du réseau ont un impact disproportionné sur la cohésion et la créativité du groupe.

Les conflits impliquant ces membres clés ne peuvent pas être ignorés : leurs répercussions se propagent à l’ensemble de l’équipe, influençant sa dynamique et son efficacité.The Conversation

Brad Harris ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.