Le $TRUMP, une cryptomonnaie comme une autre ?

Lancée trois jours avant l’investiture de Donald Trump, la crypto $TRUMP, sans utilité concrète, a pourtant connu une flambée spectaculaire. Comment expliquer ce phénomène ?

Avr 27, 2025 - 10:54
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Le $TRUMP, une cryptomonnaie comme une autre ?
Le $TRUMP n’est pas seulement un actif volatil, c’est aussi le révélateur d’une frontière de plus en plus poreuse entre capital politique et capital financier. Hadrian/Shutterstock

Lancée trois jours avant l’investiture de Donald Trump, la crypto $TRUMP, sans utilité concrète, a pourtant connu une flambée spectaculaire. Comment expliquer ce phénomène ?


Et si la notoriété politique devenait une monnaie sonnante et trébuchante ? C’est le pari, provocateur et potentiellement lucratif, qu’a fait Donald Trump en lançant sa cryptomonnaie, sobrement baptisée $TRUMP, le 17 janvier 2025, soit trois jours avant son retour officiel à la Maison Blanche.

Commercialisé sur la blockchain Solana, ce memecoin a connu une envolée fulgurante. Introduit à environ 8 dollars, il a atteint un sommet à 77,24 $, le 19 janvier 2025, portant brièvement sa capitalisation à plus de 27 milliards de dollars. Mais cette dynamique s’est rapidement essoufflée. Après s’être stabilisé autour de 8,46 $, début avril, le cours du jeton est retombé à environ 7,50 $, le 17 avril.

Derrière ce jeton numérique, sans utilité réelle, se cache un phénomène bien connu des économistes : celui de la spéculation, nourrie par la croyance collective, les effets de réseau et le charisme d’un homme politique. Une bulle peut émerger même dans un marché parfaitement rationnel), dès lors que les investisseurs anticipent une hausse continue du prix. Abreu et Brunnermeier prolongent cette analyse en montrant comment les comportements stratégiques – chacun espérant sortir avant les autres – peuvent entretenir artificiellement une valorisation déconnectée des fondamentaux.

Dans une perspective historique, toutes les bulles, des tulipes hollandaises au bitcoin, partagent un même noyau. Celui d’un récit séduisant, puis d’une rupture brutale.

Le $TRUMP n’est pas seulement un actif volatil, c’est aussi le révélateur d’une frontière de plus en plus poreuse entre capital politique et capital financier. Dès lors, peut-on encore parler de simple mode cryptomonnaie ? ou s’agit-il du symptôme d’une économie au sein de laquelle l’influence personnelle devient un levier monétaire ?

En tant qu’économiste, je propose ici une lecture critique de ce phénomène inédit à la croisée des marchés, des symboles et du pouvoir.

Valeur d’usage et valeur de marché

Dans l’univers des cryptomonnaies, on distingue habituellement deux grandes familles. D’un côté, les projets fondés sur une innovation technologique ou financière, tels qu’Ethereum, les stablecoins ou les protocoles DeFI. De l’autre, les memecoins, ces jetons sans utilité pratique. Dotés d’un potentiel spéculatif fort, ils sont souvent alimentés par une communauté active ou une figure emblématique. $TRUMP s’inscrit pleinement dans cette seconde catégorie. Une distinction qui oppose les crypto-actifs à visée fonctionnelle (utility tokens) à ceux sans valeur d’usage et à finalité purement spéculative, comme les memecoins.

Fourni par l'auteur

Cette dissociation entre valeur d’usage et valorisation de marché n’est pas propre au $TRUMP. Elle a été observée dès les premiers travaux académiques sur le bitcoin, qui montrent qu’il peine à remplir les fonctions économiques classiques de la monnaie. Comme le rappelle l’économiste Figuet :

« Le bitcoin ne peut pas être considéré comme une monnaie : l’absence de valeur intrinsèque et de cours légal se traduit par une forte volatilité qui ne lui permet pas de remplir les fonctions monétaires traditionnelles. »

Le $TRUMP pousse cette logique encore plus loin, en supprimant toute dimension technique ou transactionnelle au profit d’un pur récit spéculatif.


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Récits économiques

À l’instar de Dogecoin ou Shiba Inu, le $TRUMP n’offre aucun service concret, ne repose sur aucun protocole technique particulier, et ne donne pas accès à des produits ou droits. Sa seule valeur repose sur son image : celle d’un président controversé, au fort pouvoir de mobilisation, qui transforme sa popularité en actif financier. Cette absence de « fondamentaux » ne l’a pas empêché de connaître une valorisation (brièvement) fulgurante. Dans un marché où les attentes sont autoréalisatrices, la valeur d’un actif peut alors naître de la seule croyance qu’il prendra de la valeur. Si suffisamment de personnes pensent que le $TRUMP montera, elles achètent, faisant ainsi monter le prix et confortant cette croyance.

Ce phénomène n’est pas nouveau. L’économiste Shiller a montré que les bulles spéculatives ne reposent pas uniquement sur des données économiques, mais aussi sur des croyances partagées, amplifiées par les médias et par les récits collectifs. Il approfondit cette idée en introduisant le concept d’economic narratives, ces histoires simples, virales et émotionnelles qui façonnent nos décisions économiques. Le récit du $TRUMP en est un exemple presque caricatural : un président devenu monnaie, un jeton comme déclaration politique, un actif numérique soutenu par une promesse implicite de pouvoir.

Le $TRUMP n’est pas un simple produit crypto. C’est un objet politique symbolique, investi d’un récit puissant et d’une forte charge émotionnelle. Et sur les marchés, parfois, cela suffit.

Valeur de la marque Trump

À la différence d’autres memecoins, le $TRUMP n’est pas né d’un simple mème internet ou d’un engouement collectif anonyme. Il est adossé à une figure politique bien réelle. Il incarne ainsi un tournant : la monétisation directe du capital politique.

En économie, on parle depuis longtemps de capital immatériel pour désigner les ressources non tangibles telles que la réputation, la visibilité ou l’image de marque. Les économistes Akerlof et Kranton ont montré que l’identité peut influencer profondément les comportements économiques, notamment lorsque des actifs sont associés à des appartenances symboliques. Dans le cas du $TRUMP, le jeton agit autant comme un instrument spéculatif que comme un marqueur d’engagement politique.

Golf de Donald Trump
Le nom Trump est déjà décliné en produits immobiliers, alimentaires, médiatiques. John Penney/Shutterstock

On peut également rapprocher cette logique de la brand equity. La valeur d’une marque ne tient pas uniquement à ses produits, mais aussi à l’ensemble des associations mentales qu’elle évoque. Le nom Trump, déjà décliné en produits immobiliers, alimentaires ou médiatiques, s’étend désormais au domaine des cryptomonnaies, avec pour seule promesse la persistance de l’aura présidentielle. Ce projet s’inscrit dans un écosystème plus large : NFTs à l’effigie de Trump, plateforme Truth Social, promesse d’un stablecoin patriotique ou d’un crypto Monopoly…

Cette stratégie de tokenisation de l’image politique pose une question nouvelle pour les économistes : à partir de quand la notoriété devient-elle une matière monétaire ?

Trump, pump and dump

Le cas du $TRUMP illustre parfaitement le fonctionnement d’un actif purement spéculatif : sans valeur d’usage, sans rendement attendu, mais dont le prix monte parce que d’autres y croient ou espèrent que d’autres y croiront. Ce phénomène repose sur un mécanisme bien connu : l’anticipation autoréalisatrice. Dans le cas du $TRUMP, ce type de comportement a été amplifié par un phénomène typique des marchés crypto : le FOMO (Fear Of Missing Out), c’est-à-dire la peur de manquer une opportunité.


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Plus le prix monte, plus les acheteurs se ruent sur le jeton, de peur d’arriver trop tard. L’ascension fulgurante du prix en deux jours s’explique en grande partie par cette dynamique collective. Mais cette excitation est d’autant plus fragile que la structure du marché est déséquilibrée.

Seuls 20 % des jetons ont été initialement vendus au public, les 80 restants étant détenus par deux entités affiliées à Trump, libérés progressivement. Cette concentration crée un risque bien connu dans les marchés peu régulés : celui du pump and dump. Il s’agit d’une stratégie consistant à faire artificiellement monter un actif par effets d’annonce ou d’influence, puis à vendre massivement une fois le prix élevé, laissant les derniers entrants subir la chute.

Dans le cas du $TRUMP, aucun élément ne permet de dire qu’un tel schéma a été volontairement orchestré. Mais les conditions sont réunies : un récit viral, une offre concentrée, une bulle rapide suivie d’une chute brutale. On retrouve ici tous les ingrédients d’un actif hautement spéculatif, porté par une logique narrative et mimétique plus que par une analyse fondamentale.

Conflit d’intérêts

Ce qui rend le $TRUMP particulièrement sensible n’est pas seulement sa dynamique spéculative. C’est aussi le fait qu’il soit directement lié à un chef d’État en exercice, à la fois émetteur indirect du jeton (via un trust familial) et acteur central du pouvoir réglementaire. Le président des États-Unis, dont les décisions influencent les orientations fiscales et financières du pays, est en position de tirer profit (même indirectement) d’un actif volatil qu’il a contribué à lancer.

Dans un système démocratique, cette situation soulève une problématique classique de conflit d’intérêts, analysée notamment par l’OCDE. Lorsqu’un détenteur d’une fonction publique peut bénéficier d’un avantage économique privé à travers ses décisions, l’intégrité de la fonction est en jeu. Dans le cas du $TRUMP, l’imbrication entre intérêts politiques et marchés financiers n’est ni théorique ni symbolique. Elle est concrète, visible, et potentiellement influente.

Ce cas invite à poser une question plus large : jusqu’où peut-on privatiser le capital symbolique du pouvoir ? Dans un monde où les frontières entre sphère publique et marchés sont de plus en plus floues, le risque est celui d’une monétisation du charisme, où la notoriété devient un actif négociable, une valeur refuge ou spéculative, selon le cycle politique.

Cette expérience inédite soulève des questions éthiques et économiques majeures, qu’aucune régulation n’encadre encore clairement. Espérons que le $TRUMP ne soit qu’un mirage, et non le prélude à une ère où l’influence politique se négocie sur les marchés financiers.The Conversation

Jean-Marc Figuet a reçu des financements publics pour sa recherche.