Euthanasie, suicide assisté : dix points de vigilance éthique à considérer

Le 27 mai 2025, le suffrage des députés sera sollicité pour deux propositions de lois relatives à la fin de vie. Retour sur dix points de vigilance éthique à prendre en compte durant les débats.

Avr 27, 2025 - 16:32
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Euthanasie, suicide assisté : dix points de vigilance éthique à considérer

Le 27 mai 2025, le suffrage des députés sera sollicité pour deux propositions de lois relatives à la fin de vie : l’une en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté, l’autre à propos des soins palliatifs et d’accompagnement. Retour sur dix points de vigilance éthique à prendre en compte durant les débats.


1. L’obligation du médecin de ne pas entraver une demande de mort provoquée

Au cours de son audition le 2 avril 2025 par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, le président du Conseil national de l’ordre des médecins s’est dit favorable à ce que la fonction du médecin puisse en certaines circonstances justifier qu’il pratique une euthanasie.

Pour respecter la personne dans ses droits et la prémunir de toute souffrance, le Code de déontologie médicale qui avait évolué, notamment en tenant compte des deux dernières lois relatives aux droits des malades en fin de vie (2005, 2016), préconisait déjà les conditions de recours à la sédation, y compris « profonde et continue maintenue jusqu’au décès ».

Il évoluera désormais du point de vue de ses principes. Le médecin n’aura pas l’autorité de contester la demande de la personne qui solliciterait son assistance pour abréger sa vie, au risque d’être poursuivi pour « délit d’entrave » s’il était amené à y faire obstacle.

La clause de conscience lui sera cependant accordée, alors que le Code de santé publique intégrera l’euthanasie et le suicide médicalement assisté aux devoirs et aux bonnes pratiques du professionnel de santé comme s’agissant d’un traitement indifférencié (qui fera l’objet d’enseignements universitaires). Toutefois, une question se pose : qu’en est-il d’une clause de conscience dès lors que la loi, avec sa transposition dans la déontologie, érige de nouvelles normes ?

Dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, la personne peut exprimer son refus d’un traitement ou de sa poursuite. Sa volonté doit être respectée par le médecin. Son obligation est alors de l’informer des conséquences de sa décision et de maintenir la relation médicale selon ce que la personne souhaite.

Désormais, le refus de soin pourrait être accompagné de l’obligation impartie au médecin de donner suite à une demande de mort provoquée, ne serait-ce qu’en indiquant un confrère susceptible de la satisfaire si lui-même s’y refuse (une liste des médecins pratiquant l’acte légal devrait dans ce cas être établie). L’engagement du soin est dès lors doté d’une autre signification.

L’avis n°1 du Collectif Démocratie, éthique et solidarités, publié le 3 avril 2025, présente une analyse détaillée des impacts de la proposition de loi relative à la fin de vie rédigée notamment par des universitaires, des professionnels, des personnes malades et des membres représentatifs de la société civile.

2. La délibération collégiale face au droit de la personne à décider

La collégialité s’est imposée dans le processus décisionnel notamment d’arrêt et de limitation de traitements actifs en réanimation, d’un soin estimé disproportionné ou comme relevant d’une obstination déraisonnable, ainsi que dans l’indication d’une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès.

Qu’en sera-t-il de ce dispositif d’examen contradictoire d’une demande de mort médicalisée qui a priori devra être considérée recevable dès lors que la personne invoque une souffrance insupportable, sans du reste être contrainte de la formaliser par écrit ?

Qu’en sera-t-il de la pertinence des éléments d’arbitrage de la décision intervenant sur un temps limité à 15 jours, sans recours systématique aux éclairages d’un psychiatre et sans validation par un magistrat, ne serait-ce que du respect des formes (l’avis n° 63 du Comité consultatif national d’éthique énonçait que « le juge resterait bien entendu maître de la décision [« d’exception d’euthanasie »]) ? Sur ce point, les maladies mentales justifient une attention spécifique, pas seulement du point de vue de la faculté de jugement de la personne, mais aussi de l’accessibilité au suivi et aux traitements adaptés.

Qu’en sera-t-il des modalités de l’exercice individuel d’une délibération autorisant l’acte létal approuvé en conscience par un médecin ? Quelles compétences et quelle expertise mobilisera-t-il, à la suite de quelle formation et sous quel contrôle ?

3. Une extension de la fonction des directives anticipées

Les directives anticipées pourraient porter sur l’expression d’une demande d’euthanasie ou de suicide assisté. Déjà si peu rédigées, tant anticiper s’avère délicat, ces directives de mort anticipées assigneront la personne au dilemme d’avoir à se prononcer sur un choix qui jusqu’à présent ne s’imposait pas à elle.

Qu’en sera-t-il du respect de la volonté de la personne si son autonomie décisionnelle et sa capacité d’expression sont compromises au terme de sa vie ? Comment un soignant pourra-t-il encore adopter la juste position entre devoir de protection d’une personne et obligation de s’en dégager dès lors qu’est exprimée la volonté d’une mort provoquée ? Ne conviendrait-il pas d’assurer un accompagnement approprié à la rédaction d’une demande d’euthanasie, bénéficiant d’informations personnalisées ?

La fonction de la personne de confiance susceptible d’être consultée à propos d’un acte létal sera-t-elle requalifiée ? N’aurait-on pas à reconnaître une position aux proches de la personne qui, dans la rédaction actuelle de la proposition de loi, sont exclus de toute forme de consultation dans le processus décisionnel ? Quel en sera l’impact sur leur propre souffrance et leur deuil ?

Si s’imposait le modèle d’une mort digne, parce que maîtrisée, indolore et médicalisée, comprendra-t-on encore demain la volonté de vivre sa vie y compris en des circonstances considérées par certains « indignes d’être vécues » ?

4. Devoir d’anticipation et risque de discriminations

Un neurologue, un psychiatre ou un cancérologue devra-t-il d’emblée intégrer à la planification concertée des soins, l’option de l’acte létal ? Conviendra-t-il d’anticiper cette éventualité dès l’annonce de la maladie, ou alors en situation d’aggravation posant comme inévitable une mort à échéance rapprochée ?

Pour éviter tout risque de discrimination, les règles de bioéthique interdisent d’établir la liste des affections « d’une particulière gravité ». Dès lors ne serait-il pas pernicieux d’énoncer des repères indicatifs d’un pronostic vital en phase avancée ou terminale ?

Cet échelonnage n’inciterait-il pas à justifier le renoncement de la poursuite d’un traitement, voire d’un soin, dès lors que leurs coûts induits en fin de vie pourraient être estimés disproportionnés au regard de leur intérêt pour la personne, ou du point de vue de la justice sociale ou intergénérationnelle ?

5. Pronostic vital engagé

Le pronostic vital engagé en phase avancée ou terminale est l’un des cinq critères déterminant l’éligibilité de la demande d’euthanasie ou de suicide assisté formulée par la personne.

Rappelons que cette dernière devra « être âgée d’au moins dix-huit ans, de nationalité française ou résidant de façon stable ou régulière en France », « présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable [selon elle] lorsqu’elle a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement », enfin « être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. »

Au cours de l’audition par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale le 2 avril 2025, le président du comité d’éthique de l’Académie nationale de médecine a cependant considéré que ce pronostic vital devait être posé sur « la phase avancée et terminale, non de manière alternative ».

Nombre de personnes atteintes de maladies chroniques bénéficient en effet aujourd’hui de traitements permettant une qualité de vie dans la durée, y compris en phase avancée d’évolution de leur pathologie. Certaines personnes atteintes d’une maladie au pronostic péjoratif défient les prédictions néfastes, alors que d’autres ne survivent pas alors que leur pronostic vital ne semblait pas engagé.

Une distinction explicite et incontestable doit donc circonscrire le strict cadre d’application, en derniers recours, d’une loi favorable à la mort provoquée. C’est-à-dire si les souffrances sont incontrôlables, et que l’échéance imminente du décès peut être anticipée selon des éléments de prévisibilité probants (ce qu’à ce jour aucune donnée scientifique ne permet d’affirmer avec certitude). La Haute Autorité de santé doit rendre un avis à ce propos. Si les souffrances s’avèrent « réfractaires » à la suite de l’interruption des traitements sur décision de la personne, la justification de l’acte létal n’est-elle pas relativisée ?

6. Droit optionnel aux soins palliatifs

En situation de décision complexe, la culture palliative s’est imposée pour étayer les arbitrages et proposer des lignes de conduite lorsque les circonstances ne permettent plus de poursuivre une stratégie thérapeutique à visée curative, sans abolir pour autant l’accès à d’autres modalités d’accompagnement soignant.

Il est évident que le dispositif d’accès de tous aux soins palliatifs ou même aux consultations douleur est d’une complexité organisationnelle et d’un coût sans rapport avec la décision d’accéder à l’usage d’une substance létale.

Au moment où le service public hospitalier subit une crise qui entrave les politiques de prévention (y compris du suicide), le recours aux traitements et au suivi médical routiniers, que le secteur médico-social est, pour nombre d’établissements, en situation de fragilité économique, que les professionnels sont démotivés par des annonces paradoxales qui les inquiètent au point d’envisager de renoncer à poursuivre leur carrière, est-il crédible d’affirmer que chaque citoyen bénéficiera de la possibilité d’exercer son droit optionnel de décider librement entre fin de vie accompagnée par des soins palliatifs et mort programmée ?

Quels encadrements assurent aujourd’hui l’expression d’un choix autonome, dans un contexte de pratiques dégradées imposant des arbitrages aléatoires ?

7. Justice sociale

Notre impréparation aux circonstances humaines de la maladie chronique, aux situations de handicap et de dépendance induit des maltraitances. Les conditions du « mal mourir » et du « long mourir », tout particulièrement en établissement, influent sur la revendication d’un « bien mourir » dans un cadre conforme à de justes aspirations à la dignité.

Doit-on pour autant se résigner à admettre, sans y apporter les évolutions indispensables, le constat de carences institutionnalisées à l’égard des plus vulnérables, y compris au domicile qui parfois ajoute à l’isolement des maltraitances y compris dans les négligences de l’accompagnement ?

Consacre-t-on l’attention qui s’impose aux causes des injustices socio-économiques qui s’accentuent dans le parcours de maladie, du vieillissement ou en situation de handicap ? Les personnes des plus vulnérables dans notre société bénéficient-elles d’un environnement qui les prémunisse du risque d’être, plus que d’autres, et sans affirmer un libre-choix, soumises aux procédures d’une anticipation de la mort faute d’être en mesure d’être en mesure d’assumer de manière autonome leur souveraineté sur leur vie ?

8. Poser des repères

Que certains médecins considèrent en conscience leur engagement jusque dans la responsabilité de consentir à abréger la vie d’une personne sur demande, justifie que des repères soient posés. En effet, les équivoques risquent d’être préjudiciables à l’intérêt direct de la personne malade par nature en situation de haute vulnérabilité.

De même, la représentation des valeurs attachées à la tradition et à la culture médicale pourrait être entachée de soupçons dès lors que l’évolution des pratiques serait comprise comme de nature à relativiser la rigueur des engagements. Le dernier acte de soin doit être un soin.

L’aide à mourir serait légitimée par l’État comme un acte d’ultime compassion, distinct d’une pratique soignante, en cas de circonstances exceptionnelles de souffrances réfractaires défiant les capacités d’assurer la continuité d’un soin consenti par la personne.

9. Éthique médicale

Dans sa version actuelle, l’article 38 du Code de déontologie médicale précise que

« le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. »

Comment repenser, renouveler et énoncer l’éthique médicale, dès lors que le Code de santé publique transposera une demande sociétale de mort médicalement provoquée, bouleversant un des principes essentiels de la déontologie, celui de ne pas nuire ?

Des recherches scientifiques s’imposent à propos de l’anticipation de l’impact des pratiques légalisées de l’euthanasie et du suicide assisté sur l’éthique des pratiques médicales et soignantes. Elles devront être produites dans l’évaluation des conditions d’application de la loi si elle est votée et concerneraient :

  • l’application d’une législation par nature normative à des circonstances individuelles singulières ;

  • les critères mobilisés dans le processus décisionnel, l’analyse des procédures collégiales et les critères d’arbitrage ;

  • les dilemmes décisionnels au sein d’une équipe soignante ;

  • les dispositifs de protection des personnes plus vulnérables du fait notamment de leur incapacité décisionnelle ou des conséquences de maladies mentales ;

  • la relation entre les compétences au sein d’une équipe en termes de prévention de la douleur, de soins de support, de soins palliatifs et l’incidence des demandes de mort provoquée ;

  • la relation de confiance entre la personne malade, ses proches et l’équipe soignante :

  • les risques de discriminations accentués par des facteurs socioculturels ou socio-économiques ;

  • les modalités de l’engagement thérapeutique dans le contexte des thérapeutiques innovantes coûteuses.

10. Une législation fragile pour des enjeux essentiels

La loi relative à la fin de vie conclura un processus en cinq étapes (1999, 2002, 2005, 2016) débuté par le vote de la loi visant à garantir de droit à l’accès aux soins palliatifs. À la suite d’un processus d’élaboration mené sur plus de vingt-cinq ans que le législateur pourrait envisager le dernier acte de libéralisation de l’accès à la mort médicalement provoquée.

S’il en était ainsi, et sans être certain à ce jour du contenu du texte de loi sur lequel le Parlement se prononcera, la loyauté contraint cependant à admettre que les pays qui ont légalisé l’euthanasie ne sont pas parvenus à maintenir dans la durée les règles d’encadrement qu’ils s’étaient initialement fixées. Il serait sage de reconnaître que la France ne fera pas mieux qu’eux.

Les critères restrictifs énoncés et parfois discutés ne résisteront pas mieux à l’épreuve du temps que ceux érigés comme repères affirmés intangibles depuis 1994 dans le cadre des lois relatives à la bioéthique. L’acceptabilité démocratique des pratiques médicalisées de l’euthanasie et du suicide assisté dépendra donc :

(1) de notre capacité à en contrôler la mise en œuvre dans un cadre indépendant, fixant les règles d’une évaluation publique renouvelée à échéance de trois ans et adossée à des études scientifiques pluridisciplinaires ;

(2) d’une procédure de décision collégiale rigoureusement définie, instruite et validée a priori par un magistrat ;

(3) de la proposition d’un dispositif dédié pour accompagner la personne dans sa décision en amont et en aval de la sollicitation d’un médecin, avec, selon son choix, la faculté d’y associer un proche ;

(4) d’une évaluation des conséquences péjoratives, selon de critères établis a priori, de l’application de cette loi, imposant si nécessaire un moratoire afin d’apporter les correctifs qui s’imposeraient ;

(5) d’un service public de santé fonctionnel, disposant des compétences et des moyens requis, en mesure de favoriser l’exercice d’un choix délibéré d’accès aux soins palliatifs ou de mort anticipée selon les critères établis par le législateur, et non par défaut, sans exposer la personne en situation de vulnérabilité ou de précarité à un risque de discrimination ;

(6) d’un dispositif adapté aux conditions de la pratique d’un acte létal à domicile, justifiant la disponibilité de professionnels dans un contexte de pénurie, et des règles de contrôle spécifiques de la validation de la procédure ;

(7) de leurs conséquences sur la fonction même d’un établissement de santé (notamment spécialisé en psychiatrie et dans la prévention du suicide) ou du médico-social (notamment accueillant des personnes en situation de handicaps), ainsi que sur les valeurs engagées et la cohésion d’une équipe opposée à intervenir. À ce propos le recours à une clause de conscience « collective » est évoqué.

La règle de droit, si elle intégrait dans les prochains mois la mort médicalement provoquée, devra être adossée à l’exercice inconditionnel de l’esprit de discernement, ainsi qu’à l’exigence d’une approche personnalisée et relationnelle attachée au respect des valeurs d’humanité et aux droits fondamentaux de la personne. Assigné à la réflexion et à la démarche à la fois politique, éthique et juridique, ce devoir est aussi un défi.


Pour aller plus loin :

- Emmanuel Hirsch est l’auteur des ouvrages « Fins de la vie. Les devoirs d’une démocratie », collectif, et « Anatomie de la bienveillance. Réinventer une éthique de l’hospitalité », coll. éditions du Cerf, à paraître en mai 2025.The Conversation

Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.