En 1945, le premier vote des Françaises : un long combat pour l’égalité politique

Le 29 avril 1945, les Françaises se rendent pour la première fois aux urnes. Ce vote féminin de 1945 est une grande date de l’histoire de France et de la République. Il est pourtant mal connu.

Avr 23, 2025 - 10:50
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En 1945, le premier vote des Françaises : un long combat pour l’égalité politique

Le 29 avril 1945, les Françaises se rendent pour la première fois aux urnes. S’il marque une grande date de l’histoire de France et de la République, ce vote féminin de 1945 est mal connu. Retour sur cette étape d’un long combat pour l’égalité.


Le 29 avril 2025 marque le 80e anniversaire du premier vote des femmes en France, lors des premières élections organisées après la Libération. Pourtant, 1945 n’est pas l’année 0 de l’histoire politique des femmes en France.

Ce 29 avril 1945, certaines des Françaises qui se rendent aux bureaux de vote ont déjà glissé un bulletin dans une urne électorale. Cela a été le cas notamment à Villeurbanne, en 1935, à Louviers la même année ou à Dax en 1936, où elles avaient été invitées à voter lors de municipales afin de pourvoir des postes de conseillères créés par des maires contournant l’absence de droit de vote pour les femmes.

Beaucoup (plus de 500 000) ont aussi répondu « oui » au référendum organisé par le quotidien le Journal, en marge des élections législatives de 1914, autour de la question : « Mesdames, Mesdemoiselles, désirez-vous voter un jour ? » Et quelques-unes ont été élues officiellement ou nommées officieusement dans plusieurs communes, durant l’entre-deux-guerres.


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L’ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération marque la fin d’un débat de près d’un siècle et, avec lui, celle de l’inégalité politique des femmes et des hommes. Ce texte annonce que : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. » Cette courte phrase ne traduit pas un féminisme acharné de la part du général de Gaulle ni de l’Assemblée consultative provisoire qui a voté pour la réforme. Elle marque la longue évolution des mentalités et de la « visibilisation » des femmes dans la société française, conjuguées à un basculement politique.

Ce premier vote féminin de 1945 est une grande date de l’histoire de France et de la République. Il est pourtant mal connu, ce qui tient peut-être à la longueur de son instauration et au fait qu’il n’a pas provoqué de révolution.

Une égalité politique longtemps revendiquée

L’histoire du vote des Françaises est assez récente. Souvent considérée comme une branche de l’histoire des femmes ou des féminismes, elle est plus rarement envisagée comme faisant pleinement partie de l’histoire politique de la France.

La revendication en faveur de l’égalité politique entre les femmes et les hommes est pourtant intimement liée au concept et aux évolutions du suffrage universel. Elle naît durant la IIe République (1848-1852), au moment où la France révolutionne son système électoral par la mise en place du suffrage universel. Des femmes et des hommes se mobilisent pour intégrer les femmes à la nouvelle loi, par la voie législative (Pierre Leroux ou Victor Considerant) ou par la voie militante : la femme de lettres Eugénie Niboyet ou la socialiste Jeanne Deroin manifestent, publient des journaux. Cette dernière se présente même aux élections législatives de 1849 pour faire entendre « la voix des femmes ».


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L’élection au suffrage universel direct de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République conduit au coup d’État de 1851, puis à une mise sous cloche de tout débat politique.

La revendication suffragiste renaît, vers 1870, avec des militantes comme Hubertine Auclert et d’autres groupes de suffragistes. Leurs revendications en faveur du vote, fondées sur une conception républicaine et universaliste, rejoignent, à la fin du XIXe siècle, celles d’un groupe de femmes aisées et philanthropes, convaincues que les femmes des classes populaires seraient le meilleur rempart contre les fléaux sociaux (insalubrité, alcoolisme, jeux…) si elles avaient plus de pouvoir.

C’est par cet élan que la première proposition de loi en faveur d’un vote féminin, en 1906, est officiellement envoyée en commission à la Chambre des députés pour y être étudiée.

Il faut néanmoins attendre l’immédiat après-guerre, en mai 1919, pour que la Chambre des députés entérine l’égalité politique (droit de vote et éligibilité) des femmes et des hommes. Alors que cette réforme génère un grand espoir parmi les suffragistes, le Sénat bloque la réforme pendant vingt ans, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, soutenu par de nombreux élus du Parti radical, faisant fi des progrès majeurs de l’éducation des filles, du travail féminin et de l’opinion publique, de plus en plus unanime sur la question.

Pour ses opposants, les femmes ont un rôle différent de celui des hommes dans la société. Les ouvrir à la politique provoquerait de la discorde dans les foyers et donc un risque social. Elles seraient d’ailleurs incapables, physiquement, de voter – trop impressionnables, trop émotives. Et trop influençables ! Leurs maris, leurs confesseurs, agiraient dans l’ombre. Cette réforme porterait en son sein un grave danger politique pour la République. On dit enfin qu’elles ne sont pas intéressées par le vote.

On retrouve ces arguments lors du débat de l’Assemblée consultative provisoire d’Alger et, malgré cela, la réforme est enfin votée. C’est que la « pierre tombale de la République » a bel et bien été scellée, mais pas par les femmes. Le suffrage universel a été à nouveau étouffé par le régime pétainiste et lorsqu’il renaît de ses cendres, en 1945, c’est comme rajeuni et renforcé par l’apport du vote féminin.

La France rejoint les rangs des autres nations qui avaient accordé le vote à leurs citoyennes parfois depuis le début du siècle, comme la Pologne ou l’Allemagne en 1918. Elle se conforme ainsi à un modèle récurrent : le vote des femmes apparaît en général dans les pays où s’opèrent des changements politiques majeurs, comme la mise en place de nouvelles constitutions à la suite de l’éclatement des empires, après la Première Guerre mondiale.

Municipales de 1945 : un vote féminin très courtisé

Le droit de vote des femmes entre en vigueur en France en 1945. Son annonce, sa mise en œuvre et ses conséquences ont été très discrètes, bien loin de la dramatisation de ses détracteurs.

Alors qu’avant-guerre, des centaines de milliers de personnes soutenaient le suffrage féminin, l’annonce de son instauration ne provoque guère de réaction. Comment aurait-il pu être autrement dans une France en guerre, occupée, où les communications du gouvernement provisoire et de l’Assemblée provisoire d’Alger, assurant la continuité républicaine, ne pouvaient atteindre la métropole que clandestinement ?

Les préparatifs des élections de 1945 permettent de mieux analyser les réactions à la réforme. En effet, la vie politique reprend son cours, avec les élections municipales des 27 avril et 13 mai 1945, puis avec l’élection législative du 21 octobre. C’est à ce moment que chacun prend la mesure de la nouveauté.

Les renseignements généraux sondent l’air du temps, tout comme la presse. Les services préfectoraux maintiennent la ligne d’avant-guerre : une réticence face au vote féminin, mettant en avant le fait que les femmes se désintéressaient globalement de la politique, qu’il était peu opportun de faire cette réforme alors que tous les hommes n’étaient pas encore rentrés, ou que les femmes risquaient de voter sous influence.


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Dans certains titres très orientés sur le plan idéologique, on sent la volonté d’attirer les femmes à sa cause. C’est très évident dans l’Humanité et dans la Croix, dont les argumentaires sont sensiblement les mêmes : les femmes sont des pivots dans la défense d’une certaine vision du monde et sont courtisées en tant que telles. La presse généraliste est plus factuelle, encourageant les femmes au vote, leur expliquant le déroulement du scrutin, leur parcours dans le bureau de vote, etc. Tout laisse entendre que la réforme était mûre.

Des suffrages socialement marqués

C’est d’ailleurs la conclusion qui peut être tirée au moment des élections : il n’y a pas de grand bouleversement. Les grands équilibres politiques ne vacillent pas. Les femmes n’ont pas provoqué de raz-de-marée réactionnaire ou révolutionnaire. En revanche, elles sont allées voter massivement, sans doute aux alentours de 9 millions, sur les plus de 13 millions d’inscrites, même si leur abstention est supérieure à celle des hommes de 7 à 12 %.

Des études montrent que leur vote n’est pas lié à leur pratique religieuse, mais à leur milieu social. Les résultats de ces premiers votes montrent des femmes qui votent davantage pour les partis de droite modérée et du centre, tandis que les hommes votent plus à gauche. Néanmoins, ces écarts sont relativement marginaux. Statistiquement, le couple vote pour le même parti.

Pas de révolution non plus au niveau de la représentation nationale : les femmes élues sont très minoritaires (33 sur 586) et le restent jusqu’aux années 2000, atteignant un abyssal 1,4 % de députées en 1958 et ne dépassant les 10 % qu’à partir de 1997. Cette difficulté à faire émerger des femmes politiques, encore présente aujourd’hui, malgré la loi de 2000 sur la parité, est très certainement un héritage de cette histoire du vote féminin, mêlant évolution lente des mentalités et politique.

Enfin, le vote féminin n’a pas non plus directement provoqué de changement dans la condition féminine. Par exemple, la première réforme d’importance sur ce sujet n’est votée que vingt ans plus tard. Il s’agit de la modification des statuts matrimoniaux, en 1965, mettant fin à la soumission de l’épouse à son mari pour de nombreux actes de sa vie quotidienne (droit de veto sur son travail, autorisation pour l’ouverture d’un compte bancaire…).

« Le droit de vote des femmes » – La Grande Explication (Lumni, 2019).

L’obtention des droits de vote et d’éligibilité par les Françaises est une étape fondamentale de l’histoire de la République. Elle ne peut être lue uniquement au prisme des progrès de la condition féminine ni de la participation effective des femmes – quand bien même ces données sont des éléments importants.

Avant 1945, la France n’est pas une démocratie pleine et entière, et c’est bien l’accession à la citoyenneté de la moitié de sa population adulte qui lui fait atteindre sa maturité. Ainsi, la connaissance de cette réforme devrait être bien plus étudiée qu’elle ne l’est aujourd’hui : le suffrage électoral des Françaises appartient à l’histoire de France, autant qu’à l’histoire des femmes.The Conversation

Anne-Sarah Moalic Bouglé est membre de Territoires de Progrès. .