Le pari des droits de douane ou l’équation insoluble de Donald Trump
La surévaluation du dollar est l’élément clé dans l’asymétrie de la balance commerciale US. En effet un dollar cher rend la production américaine plus chère et par corollaire facilite les importations de biens. Selon Dorn & Hanson[1] entre 600,000 et 1 million d’emplois directs ont été perdus et jusque 2 millions en comptant la sous-traitance, […]

La surévaluation du dollar est l’élément clé dans l’asymétrie de la balance commerciale US. En effet un dollar cher rend la production américaine plus chère et par corollaire facilite les importations de biens. Selon Dorn & Hanson[1] entre 600,000 et 1 million d’emplois directs ont été perdus et jusque 2 millions en comptant la sous-traitance, soit 200,000 par an sur la période 2000 – 2011.
La théorie voudrait que ces déséquilibres entre monnaies se corrigent avec le marché. En effet un pays qui a des excédents commerciaux reçoit beaucoup de monnaie étrangère qu’il revend ensuite contre sa propre monnaie, faisant par conséquent monter celle-ci. A terme ce pays devient moins compétitif et la balance s’inverse. Ceci fonctionne sauf quand la monnaie étrangère reçue est une monnaie de réserve que le pays exportateur voudra conserver ou recycler en bons du trésor ou autres obligations.
Pour Stephen Miran économiste diplômé de Harvard, il paraît évident qu’à mesure que le PIB mondial augmente, il devient de plus en plus lourd pour l’économie américaine de financer ces actifs de réserves ainsi que le parapluie mondial de défense et qu’il faut par conséquent « remodeler » le système monétaire et le commerce international. Pour cela, il existe deux options. Une unilatérale qui a l’inconvénient d’avoir comme effet collatéral une forte volatilité sur les marchés financiers et une multilatérale qui devrait engendrer moins de volatilité mais serait plus longue à mettre en œuvre du fait des nombreux partenaires commerciaux à réunir et avec des gains potentiels réduits. C’est donc l’option unilatérale qui sera retenue, car celle-ci offre une plus grande flexibilité et des résultats rapides. Cette refondation du commerce international et ses conséquences monétaires ont été décrites dans une analyse publiée en novembre 2024[2], bible de D. Trump.
Pour mettre en œuvre cette refondation il faut un secrétaire d’état au trésor dont la détermination, la conviction et la capacité à supporter l’impopularité soient inébranlables. Scott Bessent descendant de huguenots, économiste diplômé de Yale, fameux «shortseller[3]» à Wall Street aux cotés de Jim Chanos puis de George Soros possède sans conteste toutes ces qualités.
Le 2 avril 2025 D. Trump dévoile donc l’option unilatérale : des droits de douanes exorbitants appliqués à la quasi-totalité des pays de la planète à l’exception notable de l’Iran, de la Russie et de la Corée du Nord. Les objectifs recherchés sont nombreux et probablement un brin antagonistes. Tout d’abord sur le plan commercial, faire venir chacun des pays négocier des concessions économiques, diplomatiques, de la protection militaire, du gaz et du pétrole, des terres rares, de la relocation industrielle au US, etc… Ensuite sur un plan monétaire, faire baisser le dollar, faire baisser les taux d’intérêt et maitriser l’inflation. Enfin faire entrer des centaines de milliards de dollars dans les caisses de l’Etat pour financer un vaste plan de baisse d’impôts. On est bien loin des règles de Mundell et Tinbergen, enseignées en n’en pas douter à Harvard et Yale, qui nous précisent que pour toute politique économique ayant des objectifs fixés, le nombre d’instruments doit être égal au nombre d’objectifs visés.
La réaction des marchés financiers ne s’est pas fait attendre, les bourses asiatiques, européennes et américaines perdent en quelques jours entre 15 et 20%. La riposte chinoise non plus. C’est la guerre des chiffres. On a atteint jusqu’à 125% de droits de douane réciproques entre les deux puissances.
Le 9 avril 2025, tout juste une semaine après avoir imposé des droits de douanes applicables le 4 avril, rétropédalage du Président américain qui annonce une suspension de 90 jours de ces droits de douanes, à l’exception de la Chine. Réaction inverse des marchés boursiers qui prennent 10% en quelques minutes, emballé par les algorithmes.
Mais qu’a-t-il bien pu se passer durant cette semaine pour provoquer un tel revirement ? la réponse est probablement à trouver du côté du marché obligataire. La Chine détentrice de 750 milliards de dollars de réserve obligataire américaine a sorti l’arme financière en vendant massivement ses obligations, suivi par le Japon, deuxième détenteur de dette américaine. Pour la première fois depuis la fin de la convertibilité du dollar en or en 1971, le dollar ne s’est pas comporté comme une valeur refuge. Il s’est effondré, de 6,5% contre l’Euro , de 15% contre le Franc Suisse et dans le même temps le rendement de l’emprunt américain à 10 ans prenait 50 points de base et touchait 4,5% alors que les taux européens restaient stables ou baissaient. Ce découplage entre rendements américains et européens est là aussi une première historique.
Rappelons que la dette américaine a passé les 36,000 milliards de dollars, que 9,200 milliards devront être refinancés en 2025, que le service de la dette s’élève à 1,200 milliards et enfin que 1 point de base représente 3,6 milliards de dollars sur la maturité totale de la dette US. Alors un krach obligataire de 50 points de base a de quoi infléchir une position.
Mais quid de ce pari à terme ? Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’inflation pourrait très bien être absente. Il y a aura, certes, un choc de prix sur les premiers mois, mais pour créer de l’inflation il faudrait enclencher la fameuse boucle prix salaires, ce qui paraît peu ensisageable vu les licenciements dans le secteur public et le probable ralentissement de l’économie. La dédollarisation de l’économie et la baisse des taux d’intérêts dépendent de tellement de facteurs exogènes aux décisions déjà chaotiques de D. Trump, tels que nouvelles alliances ou mésalliances économiques, arrêts ou ouvertures de nouveaux conflits, notamment Chine/Taiwan, désorganisation des supply chains, défauts majeurs sur certaines dettes, que l’on ne peut avoir au moins qu’une certitude : nous sommes entrés dans un monde où l’incertitude sera reine, dans lequel de nouvelles règles vont prendre place et où la souplesse, la flexibilité et la réactivité seront clès.
[1] https://www.nber.org/system/files/working_papers/w21906/w21906.pdf
[2] A User’s Guide to Restructuring the Global Trading System
[3] Il fut aux cotés de G. Soros lors de l’attaque contre la livre sterling en 1992