Le pape François, conservateur ou progressiste ? Ça dépend du magistère…

Le pape François est mort, progressistes et conservateurs débattent de son héritage. Mais peut-on vraiment penser l’Eglise catholique selon nos repères politiques ?

Mai 4, 2025 - 11:39
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Le pape François, conservateur ou progressiste ? Ça dépend du magistère…

Depuis la mort du pape François, les observateurs peinent à le situer politiquement, entre progressisme sur les questions migratoires et sociales et conservatisme sur les sujets de société comme l’avortement ou la contraception. Et si les catégories politiques propres à nos clivages politiques nationaux s’avéraient en réalité inadaptées pour comprendre l’Église catholique et la figure du pape ?


Pour établir le bilan du pontificat de François, de nombreux médias mettent l’accent sur les enjeux migratoires et économiques. Sur ces thèmes, le pape argentin est vu comme un pontife progressiste, qui a su dénoncer « l’idolâtrie de l’argent » et a surtout fait de la question migratoire une priorité de son pontificat en rappelant l’exigence de l’accueil et critiquant les politiques restrictives de l’immigration. Souvenons-nous que c’est à Lampedusa que François a choisi de se rendre pour sa première sortie officielle hors du Vatican. C’est ce positionnement sur l’immigration qui a cristallisé l’opposition entre les catholiques conservateurs et progressistes.

Du côté de la droite conservatrice, on loue un pape qui a su rester ferme sur les questions morales : sur l’avortement, l’euthanasie, ou le mariage homosexuel. L’héritage de François trouble les repères habituels, au point que certains ne s’embarrassent pas et définissent même le pape comme un « conservateur révolutionnaire », une manière de jouer sur les deux tableaux du progressisme et du conservatisme.

Pour mieux comprendre l’ambiguïté politique du dernier pontificat, il est nécessaire de se recentrer sur son aspect religieux et de se demander : quel est le rôle du pape et de l’Église ?

 » Mort du pape François : portrait d’un pontife réformateur et engagé pour les plus démunis » YouTube/France 24 (21 avril 2025).

Les degrés du magistère de l’Église

Le catholicisme enseigne que le pape est le successeur de l’apôtre saint Pierre, à qui le Christ aurait confié les « clefs du royaume des Cieux » : « Et moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle. » (Évangile selon saint Matthieu, 16, 18-19). En tant que chef de l’Église fondée par Jésus-Christ, le pape a pour mission de préserver et transmettre la foi. À travers sa personne, l’Église exerce ainsi une fonction essentielle d’enseignement, appelée « magistère ». Ce magistère de l’Église comporte trois degrés :

  • Le premier : le magistère extraordinaire, ou la plus haute expression de l’enseignement du pape. Ce magistère définit solennellement et définitivement un point de doctrine, portant sur la foi ou les mœurs – c’est-à-dire la morale. L’Église estime que ce magistère est infaillible : le pape, à qui il a été confié la mission de garder et transmettre le dépôt de la foi, ne peut pas se tromper.

Le Code de droit canonique affirme ainsi : « Le Pontife Suprême, en vertu de sa charge, jouit de l’infaillibilité dans le magistère lorsque, comme Pasteur et Docteur suprême de tous les fidèles auquel il appartient de confirmer ses frères dans la foi, il proclame par un acte décisif une doctrine à tenir sur la foi ou les mœurs. » (§749). Lorsque le pape use de son magistère extraordinaire, son infaillibilité doit emporter « l’assentiment de foi » de la part des catholiques. Ce magistère est donc extrêmement engageant pour le fidèle. Il est rare que le pape engage pleinement son infaillibilité en usant de ce magistère extraordinaire. La dernière mise en pratique de cette infaillibilité prononcée solennellement remonte à 1950, lorsque le pape Pie XII proclama le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie.

  • Le deuxième degré correspond au magistère ordinaire qui prolonge et complète le magistère extraordinaire. Mais contrairement à ce dernier, le magistère ordinaire ne revêt pas de caractère solennel : il se réfère à l’enseignement habituel et constant du pape et des évêques. On y retrouve la même portée et la même valeur : l’enseignement doit obligatoirement porter sur la foi ou les mœurs, il est considéré comme infaillible lorsqu’il est unanime, et il doit alors engager une adhésion de foi des fidèles.

  • En dernier, le magistère authentique. Il fait référence à tous les enseignements du pape qui sont prononcés directement sans que la foi de l’Église ne soit engagée. Ce magistère constitue une immense part de l’activité pontificale et peut porter sur des objets très divers : des questions ecclésiales, des questions éthiques et sociales, mais aussi plus largement des problématiques contemporaines qui ne sont pas directement religieuses. Ce magistère n’est pas l’apanage du pape : chaque évêque dans son diocèse dispose du magistère authentique. Le pape, lorsqu’il en use, s’exprime donc en tant qu’évêque de Rome. L’attitude requise par les fidèles vis-à-vis de ce magistère est bien inférieure aux magistères précédents : l’Église demande « l’assentiment religieux de l’esprit », c’est-à-dire « l’assentiment de la volonté et de l’intelligence ». En d’autres termes : les fidèles doivent respecter ce magistère et mettre tout en œuvre pour le comprendre et y adhérer, mais il est toujours possible, en conscience, de ne pas y adhérer.

Le magistère est-il conservateur ou progressiste ?

  • Sur l’avortement et l’euthanasie – qui relèvent des deux plus hauts degrés du magistère (extraordinaire et ordinaire)- l’Église met en avant un enseignement constant et définitif qui ne dépend pas de la volonté du pape. L’Église enseigne que la vie doit être « respectée et protégée de manière absolue depuis le moment de la conception » jusqu’à la mort naturelle et conclut radicalement : « Depuis le premier siècle […] l’enseignement de l’Église n’a pas changé. Il demeure invariable. L’avortement direct […] est gravement contraire à la loi morale ». Suivant cette logique, on comprend que les propos du pape François sur l’avortement relèvent moins de convictions personnelles que d’une fidélité au magistère infaillible de l’Église : « Un avortement est un homicide » a-t-il déclaré en septembre 2024.
“Le pape en Belgique : les propos du pape François sur l’avortement font réagir – RTBF Info” YouTube/RTBF Info (septembre 2024)
  • Sur la famille et le mariage : les deux sont défendus comme une réalité naturelle « ordonnés au bien des époux et à la procréation et à l’éducation des enfants » (§2201). On pourrait également évoquer la question de l’homosexualité (§2357) ou de la contraception (§2370), considérée par le magistère comme « intrinsèquement désordonnées » : ces questions de mœurs et de morale appartiennent à l’enseignement « infaillible » de l’Église et ne peuvent faire l’objet d’une révision sur leur statut moral. C’est ce magistère moral qui doit emporter une adhésion de foi des fidèles catholiques.

  • Sur l’écologie, le pape montrait davantage une sensibilité progressiste, relevant du magistère authentique. L’encyclique – lettre solennelle adressée par le pape aux fidèles – de François Laudato si’ sur « la sauvegarde de la maison commune » appartient à ce registre. Consacrée à la question écologique, cette seconde encyclique du pape était très attendue et a produit de nombreux effets dans la doctrine de l’Église et chez les catholiques de France. Pour autant, il est simplement demandé aux fidèles de recevoir cette encyclique avec l’« assentiment religieux de leur esprit ». Autrement dit, les positions défendues par le pape peuvent être après examen contestées par le catholique, ce qui n’est pas le cas des positions en matière de mœurs.

  • Sur la question migratoire, des tendances contraires s’affrontent également au sein des plus hautes hiérarchies ecclésiastiques et le pontificat de Benoît XVI a souvent été cité en contre-exemple de celui de François sur le rapport à l’immigration. Alors que le pape allemand proclamait que « les États ont le droit de réglementer les flux migratoires et de défendre leurs frontières », le pape argentin s’était fait le chantre de l’accueil inconditionnel des migrants et défendait « le droit tant d’émigrer que de ne pas émigrer ».

“ Pape François : un pontificat marqué par le combat en faveur des migrants C dans l’air 21.04.2025” YouTube/C Dans l’air France (21 avril 2025)

Le magistère moral de l’Église fait donc l’objet d’une continuité historique et d’une supériorité sur le magistère authentique. On comprend mieux l’ambiguïté qu’il y a à se référer à notre clivage politique nationale pour expliquer le pontificat de François. Devant cette difficulté, les médias se sont montrés parfois bien embarrassés pour qualifier le dernier pontificat. Libération titrait au lendemain du décès du Saint-Père : « Le pape François est mort lundi à 88 ans, après un pontificat engagé sur les pauvres, les migrants et l’écologie mais décevant sur les questions sociétales ». Le Huffington Post peinait également à trouver un positionnement politique clair : le pape « laisse derrière lui un bilan jugé plutôt réformiste, en dépit évidemment de ses positions réfractaires sur l’IVG et l’homosexualité ».

Ces débats sur le progressisme ou le conservatisme du pape sont pertinents quand on tient compte du degré de magistère au sein duquel s’exprime le Souverain Pontife. Ses prises de position ne doivent pas masquer la véritable fonction magistérielle du pape, à savoir : préserver et transmettre le « dépôt de la foi ». Cette fonction essentielle semble cachée et invisible pour le non-catholique, auquel ne sont montrés que les aspects médiatisés, et donc politiques, du pontificat. À l’inverse, les catholiques français jettent un autre regard sur la parole papale. S’ils se montrent sensibles aux déclarations politiques et peuvent s’en revendiquer, ou au contraire les critiquer, le magistère moral reste une marque décisive d’appartenance à l’Église et de continuité de son enseignement. Donc le pape François, conservateur ou progressiste ? On serait tenté de répondre en simplifiant : un pape progressiste au sein d’une Église conservatrice.The Conversation

Clément Ménard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.