Le « Journal » d’Anne Frank : un texte de la jeunesse pour la jeunesse ?

Véritable texte de littérature de jeunesse, puisqu’il est écrit par une très jeune fille, le « Journal » d’Anne Frank est aussi l’objet de nombre de réécritures, d’adaptations et de variations.

Avr 23, 2025 - 16:30
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Le « Journal » d’Anne Frank : un texte de la jeunesse pour la jeunesse ?

« À qui appartient Anne Frank ? », demandait en 1997, dans le New Yorker, la romancière et critique Cynthia Ozick. Véritable texte de littérature de jeunesse, puisqu’écrit par une très jeune fille, le célèbre Journal fait en effet l’objet de nombre de réécritures, adaptations, voire de variations qui tirent vers la fiction, notamment pour un public d’enfants.


Au moment où nous commémorons le 80e anniversaire de la disparition d’Anne Frank, son Journal, témoignage absolu, reste un ouvrage fondamental pour aborder avec les jeunes générations ce que fut le quotidien des juifs d’abord discriminés, puis déportés et exterminés.

Anne Frank est, non seulement, l’autrice d’un témoignage poignant, mais aussi une jeune fille au sortir de l’enfance, et c’est une victime. Elle « incarne » donc, d’une certaine façon, la Shoah et est devenue une référence incontournable quand il s’agit de transmettre cet événement aux jeunes générations.

Rédigé entre juin 1942 et le 1er août 1944, quelques jours avant l’arrestation à Amsterdam de la famille Frank et des autres personnes réfugiées dans l’« annexe », ce texte paraît dans une première édition, en juin 1947, sous la direction d’Otto Frank, le père d’Anne. Le succès est immédiat : rapidement, le texte est traduit dans environ 70 langues et donne lieu à des adaptations théâtrales et cinématographiques.

En 1991, une nouvelle édition critique du Journal, c’est-à-dire, sans les coupures effectuées par Otto Frank, dirigée par Mirjam Pressler, paraît. Depuis, ce texte a donné lieu à de nombreuses rééditions et, en 2017, les éditions Calmann-Lévy, propriétaires des droits pour la France, ont fait paraître un volume intitulé l’Intégrale, qui constitue désormais un ouvrage de référence sur Anne Frank et son Journal.

Véritable texte de littérature de jeunesse, puisqu’il est écrit par une très jeune fille, l’ouvrage d’Anne Frank est à ce titre régulièrement conseillé aux jeunes lecteurs. Néanmoins, il est aussi l’objet de nombre de réécritures, d’adaptations et de variations, notamment pour les plus jeunes d’entre eux. En effet, s’il s’agit de prendre des précautions en fonction de l’âge des lecteurs lorsqu’on s’attache à la narration de la Shoah, il est inconcevable, en ce qui concerne ce texte singulier, de procéder à des adaptations ou à des simplifications comme c’est le cas pour de nombreuses œuvres patrimoniales adaptées pour la jeunesse, d’autant que la Maison Anne-Frank, propriétaire des droits, veille au respect de son intégrité.

Dès lors, on s’aperçoit que, souvent, c’est la vie d’Anne Frank, personnage historique, plus que son Journal en tant qu’œuvre, que les auteurs et éditeurs s’attachent à transmettre aux plus jeunes.

Les documentaires et les biographies

La forme la plus classique est celle du documentaire. Outre les ouvrages publiés par le service pédagogique de la Maison Anne-Frank (l’Histoire d’Anne Frank, Anne Frank. Une histoire d’aujourd’hui, Anne Frank. Une vie, Tout sur Anne Frank), on en rencontre un certain nombre publié par la plupart des éditeurs jeunesse (Anne Frank. Vivre cachée pendant la guerre, Anne Frank : toute une vie en infographies, Anne Frank et l’appartement secret). Ces ouvrages présentent la vie, l’œuvre et l’annexe où se sont cachées Anne Frank et sa famille. La découverte de la vie de la personne réelle permet d’aborder son Journal, c’est-à-dire le texte et le personnage.

On rencontre également de courtes biographies écrites à l’intention des jeunes lecteurs (la Vie d’Anne Frank, Mon amie Anne Frank, Anne Frank et le loup d’Amsterdam). Enfin, plus récemment, sont apparues des biographies en bandes dessinées (Anne Frank en BD dans la collection « Les chercheurs de Dieu », Anne Frank. Biographie, le Journal d’Anne Frank, roman graphique, Journal d’Anne Frank. L’annexe : notes de journal du 12 juin 1942 au 1ᵉʳ août 1944) et sous forme de manga (le Journal d’Anne Frank, Anne Frank dans la collection « L'histoire en manga »). Ce dernier titre ancre spécifiquement le propos dans l’histoire du XXe siècle et consacre la jeune fille en tant que personnalité importante.

De façon générale, ces ouvrages permettent de présenter, tout à la fois, la biographie de la jeune fille, son Journal et les événements historiques de cette époque.

Des albums sur la vie d’Anne Frank

L’album est une forme littéraire particulièrement adaptée aux plus jeunes des lecteurs. Trois d’entre eux présentent la vie d’Anne Frank de façon particulièrement intéressante.

L’ouvrage de Joséphine Poole et Angela Barrett, sobrement intitulé Anne Frank, raconte la vie de la jeune fille, ainsi que le sort des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. La narration s’appuie sur le témoignage d’Otto Frank ainsi que sur les faits décrits dans le Journal. Les illustrations qui accompagnent le texte sont les photos familiales retravaillées par l’illustratrice.

Dans Les arbres pleurent aussi, les illustrations de Maurizio A. C. Quarello particulièrement originales mettent en valeur les citations du Journal présentes dans le texte d’Irène Cohen-Janca. Cet album, tout comme celui écrit par Jeff Gottesfeld et Peter Mac Carthy l’Arbre dans la cour. Par la lucarne d’Anne Frank, adopte le point de vue du marronnier qui constitue pour la narratrice le seul point de repère pour suivre le passage des saisons.

En optant pour l’anthropomorphisation, procédé courant dans les ouvrages adressés aux plus jeunes, les auteurs abordent, sans les passer sous silence, les violences subies par les juifs tout en attestant le propos puisque le marronnier est ici convoqué comme témoin.

Fictionnalisation – et « déclinaisons » du Journal

En 1997, Cynthia Ozick dans un article paru dans le New Yorker posait la question suivante : « À qui appartient Anne Frank ? » La journaliste déplorait toutes les publications qui dénaturent le Journal et faisaient d’Anne Frank une icône dont on donne une image bien éloignée de la jeune fille qu’elle était. Il est vrai que le Journal et le personnage d’Anne Frank donnent également lieu à des fictions, qui, tout en s’appuyant sur le texte original, en proposent des variantes fictionnelles.

Si l’ouvrage de Barry Denenberg (Anne Frank et les siens. Toute une vie), texte hybride mi-roman mi-documentaire, qui narre l’histoire de la famille Frank à partir du point de vue de Margot, la sœur aînée d’Anne, répond par avance à cette critique, celui de Sharon Dogar, (Cachés), dans lequel elle imagine et rédige le témoignage de Peter van Pels, a donné lieu à un concert de protestions de la part des membres de sa famille et de la Fondation Anne-Frank.


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Enfin, le personnage d’Anne Frank a donné lieu à un récit de forme hybride mi-bande dessinée mi-webdocumentaire, publié en roman graphique intitulé Anne Frank au pays du manga.

Anne Frank est donc devenue, bien au-delà de son œuvre, un personnage historique, digne d’admiration. Si son œuvre et sa vie suscitent variations et déclinaisons, il convient néanmoins de prendre certaines précautions.

Ces ouvrages, qui présentent l’auteur et son œuvre, sans proposer cette dernière directement aux lecteurs, relèvent d’une forme de propédeutique à la lecture du Journal. Ils se situent donc dans la tradition de la littérature pour une jeunesse à laquelle on propose une glose de l’ouvrage à connaître en attendant que le lecteur ait l’âge et les compétences requises pour s’en emparer seul.The Conversation

Béatrice Finet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.