Le 7-Octobre a fauché aux juifs français leur libre conscience politique
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Ce ne sont pas ceux qui n’ont pas réussi à faire incriminer LFI pour antisémitisme qui auront la légitimité pour criminaliser le RN pour la même chose…
À Jérusalem, jeudi 27 mars, Jordan Bardella a été invité à s’exprimer parmi les invités d’un colloque organisé par le ministre israélien de la Diaspora Amihai Chikli. La salle a particulièrement retenu son attention vers 17h lorsque résonnait à quelques mètres du mur des Lamentations le discours d’un politicien encore qualifié d’extrême droite par une partie importante de la communauté juive et de la classe politique. Le Rassemblement national est-il en voie de s’extraire durablement de la stigmatisation d’antisémitisme qui lui collait encore à la peau avant le 7-Octobre ?
Acculés
Trêve de condescendance, et de culpabilisation : non, il ne s’agit pas de savoir si les juifs qui ont accueilli la venue du Rassemblement national avec bienveillance en Israël ont suffisamment conscience du noyau dur qui tourne autour du parti. Il est su de tous que d’anciens libraires négationnistes siègent à l’Assemblée nationale, que Jordan Bardella a eu des difficultés à se dépatouiller d’une question piège sur Jean-Marie Le Pen ou que le GUD constituait le noyau historique de l’extrême droite française. Néanmoins, ceux qui courent aux abris sous les tirs des Houthis, du Hamas et du Hezbollah répondent à d’autres logiques qu’à ces jugements qu’ils considèrent anecdotiques.
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Acculés depuis un an et demi, les Franco-israéliens et le reste d’Israël sont tournés vers d’autres impératifs que ceux du CRIF ou d’institutions proches de l’Elysée. Pendant que certains snobent un évènement historique à cause du déplacement du RN, Ugo Bernalicis, député Insoumis, lance en pleine Assemblée nationale qu’il faut une « solution finale », sourire en coin, au sujet du narcotrafic. Comme pour les affiches sur Cyril Hanouna, LFI joue avec l’accusation d’antisémitisme comme un adolescent retardé jouerait à chat-perché. Et aussi difficile que cela puisse être de bousculer nos représentations, les faits sont là : le RN a lutté contre la bête immonde avec ardeur et assiduité depuis le 7-Octobre. Rappelons comment, en pleine Assemblée nationale, Marine Le Pen s’est transformée en résistante face à Mathilde Panot qui faisait alors l’apologie du Hamas en refusant de reconnaître son caractère terroriste, alors que Jean-Luc Mélenchon déclarait en toute décontraction face à Benjamin Duhamel qu’il n’y avait pas eu de pogrom le 7-Octobre. Les esprits critiques crieront à l’opportunisme électoral, à l’hypocrisie et à la naïveté. Le problème étant que l’antisémitisme se prouve, et de préférence, de manière irréfutable. Ce n’est pas ceux qui n’ont pas réussi à faire incriminer LFI pour antisémitisme qui auront la légitimité pour criminaliser le RN pour la même chose.
Le règne de la froide realpolitik
En Israël, peut-être encore plus qu’ailleurs, le règne actuel est celui de la realpolitik, celle qui privilégie l’intérêt et remplace nos attachements idéologiques par le simple pragmatisme. L’électeur politique raisonne dorénavant à court terme : qui est là, pour répondre aux besoins qui sont les miens, tout de suite, maintenant ? Cette nouvelle perception du fait politique détourne mécaniquement l’électeur de l’histoire des partis politiques, notamment lorsque l’impact de l’histoire n’est plus sans incidence aucune. En effet, qu’est-ce que cela peut bien changer au sort d’Israël ou des juifs de France si Jordan Bardella n’a pas publiquement qualifié Jean-Marie Le Pen d’antisémite ? En avait-il la possibilité, si ce n’est la nécessité ? En quoi le GUD a-t-il une influence sur les décisions politiques du RN ? Plus encore, ce changement de paradigme va dans les deux sens et restructure complètement l’appareil politique. Si le GUD était à l’époque du FN une composante principale de son électorat, force est d’admettre qu’il devient une charge pour un RN en voie de démocratisation : avec 32% de voix obtenues aux dernières élections législatives, le RN a tout intérêt à s’en défaire pour prouver une évolution réelle. C’est peut-être confirmé par les propos forts de Bardella dans la conclusion de son discours tenu à Jérusalem : « Que l’antisémitisme provienne d’islamistes fanatiques, de l’extrême gauche camouflée en antisionisme ou encore de groupuscules d’extrême droite et de leurs complots délirants, aucune de ces haines n’a de place en France et en Europe ».
Demandez à Mélenchon, il connaît bien la chanson : l’hypocrite ne reconnaît pas le mal, et s’en affranchit niaisement. Ces mots du président du parti rappellent qu’il n’est pas venu participer à un colloque de lutte contre l’islamisme radical, mais de lutte contre l’antisémitisme. Il ajoutera aussi, « je n’aurais pas la main qui tremble pour traiter les faits antisémites ». Des paroles simples, mais qui définissent la voie idéologique du parti, à l’heure où Emmanuel Macron n’aurait probablement pas daigné rejoindre une conférence à 5000km de chez lui alors qu’il a refusé de prendre part à une simple manifestation en contre bas de l’Elysée. In fine, sont venus ceux qui voulaient venir.
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Soutien moral
De son côté, le ministère de la Diaspora et le gouvernement israélien ont bien compris qu’Israël avait besoin d’alliés. Les Franco-israéliens ont, eux aussi, besoin de soutien moral, et de sentir un avenir meilleur, offerts sur plateau par cette bouffée d’oxygène qui leur laisse la perspective d’un ennemi en moins.
Plus pessimistes, en fin de soirée, une petite poignée de manifestants franco-israéliens de gauche traditionnelle sont venus devant la salle de Conférence Binyan Aouma, pancartes à la main, pour exprimer leur refus de voir le « devoir de mémoire être instrumentalisé par l’extrême droite » suite à la visite de Yad Vashem. Ils ont été surpris quand l’un des conseillers de Marion Maréchal, en pleine interview pour CNews est venu échanger avec eux pour expliquer combien il se sentait offensé. En effet, en ayant lui-même des grands-parents résistants déportés dans les camps, il leur a indiqué combien ces affiches sont indignes et insultent aussi son histoire familiale. Les idéologies sont en mouvement, n’en déplaisent aux ultra-conservateurs… d’extrême gauche.
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