« La césure du procès pénal est une mauvaise réforme »

Depuis le 30 septembre 2021, le Code de la justice pénale des mineurs a pour ambition de rendre la justice plus rapide et plus lisible. Parmi les évolutions majeures, la césure du procès pénal vise à raccourcir les délais de jugement tout en laissant une place à la mise à l’épreuve éducative du mineur. Cette mesure entraîne donc un écart entre le délit et la sanction, empêchant le mineur de se rendre compte de ses actes, et le laissant libre de récidiver... L’article « La césure du procès pénal est une mauvaise réforme » est apparu en premier sur Causeur.

Mar 20, 2025 - 22:04
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« La césure du procès pénal est une mauvaise réforme »

Depuis le 30 septembre 2021, le Code de la justice pénale des mineurs a pour ambition de rendre la justice plus rapide et plus lisible. Parmi les évolutions majeures, la césure du procès pénal vise à raccourcir les délais de jugement tout en laissant une place à la mise à l’épreuve éducative du mineur. Cette mesure entraîne donc un écart entre le délit et la sanction, empêchant le mineur de se rendre compte de ses actes, et le laissant libre de récidiver…


Au cœur de l’actualité politique, médiatique et législative, la justice des mineurs demeure mal connue et mal comprise du grand public. Au-delà du fait qu’il est surprenant de voir des députés de la majorité présidentielle remettre en question le code de justice pénale des mineurs (CJPM), que leur camp a pourtant conçu et porté, notre collectif affirme que la réforme qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale ne résoudra rien tant elle pèche par manque d’analyse des causes profondes des dysfonctionnements actuels. 

De fait divers en fait de société, la justice pénale des mineurs est régulièrement au centre des débats, que ce soit pour critiquer son ambition affichée de donner la primauté à l’éducatif sur le répressif ou pour dénoncer le code de justice pénale des mineurs comme un ouvrage crypto-fasciste ayant pour but d’incarcérer tous les mineurs de France. Les commentateurs de tous bords semblent parfois oublier qu’on ne s’improvise pas juriste. Tout comme ils ne s’aviseraient pas de procéder à la révision d’une centrale nucléaire sur la base de vagues notions de physique, ils devraient s’abstenir de livrer des pseudo-analyses fondées sur des poncifs et des contre-vérités à propos d’un droit qu’ils maîtrisent mal et qui relève davantage de l’usine à gaz que du bel ouvrage législatif. Une mise au point s’impose, précisément dans l’intérêt du débat public, afin que chacun puisse se faire une opinion éclairée, à partir d’informations fiables et précises. 

Nous analyserons donc cinq réflexions fréquentes à propos de la justice des mineurs et tenterons de démêler le vrai du faux. Cet exercice sera également l’occasion d’apporter des réponses à la question centrale qui devrait tourmenter chaque apprenti réformateur de la Justice française : si laxisme il y a, la faute aux juges ou la faute à la loi ? Enfin, nous apporterons des propositions de réforme réelle, voire de véritable révolution.


Depuis le 30 septembre 2021, le code de la justice pénale des mineurs (CJPM) est en vigueur. Il a remplacé l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Cette dernière était devenue de l’avis de tous, au fil du temps et des réformes successives, illisible et peu adaptée aux enjeux contemporains. La « réforme » qui a été annoncée à l’époque est en réalité principalement une opération de réécriture, le CJPM reprenant les dispositions de l’ordonnance de 1945 mais en les classifiant afin de les rendre plus claires.

Une nouvelle procédure

Un changement majeur a toutefois été adopté : le passage d’un régime où le juge des enfants agissait comme juge d’instruction à un régime de césure du procès pénal. Cette modification avait pour objectif de réduire les délais entre le moment où l’infraction est commise et la condamnation du délinquant, et force est de constater que cet objectif a été atteint : d’un délai de jugement de 15 à 20 mois en moyenne sous le régime de l’ordonnance de 1945, nous sommes passés en 2023 à un délai moyen de 9 mois entre la première convocation en justice et le prononcé de la sanction. 

En effet, la procédure antérieure avait pour inconvénient de fonctionner comme une information préparatoire, procédure d’enquête lourde en principe confiée à juge d’instruction et réservée aux infractions les plus graves et les plus complexes. Après avoir cambriolé une maison, Kévin1 était convoqué aux fins de mise en examen (un statut de suspect ouvrant la possibilité de le placer en détention ou sous contrôle judiciaire) et placé sous surveillance (« j’ai des éléments contre vous jeune homme, attention le jour où vous serez jugé ça va barder »). Puis le juge des enfants clôturait la procédure quand elle lui paraissait en état d’être jugée. Entre ces deux actes s’ouvrait une phase indéterminée dans sa temporalité et dans son contenu, forme de faille spatio-temporelle au cours de laquelle Kévin était plus ou moins mis à l’épreuve et attendait sans certitude aucune le jour de son jugement (de même que sa victime le cas échéant). Des procédures pouvaient ainsi végéter pendant des mois voire des années dans les cabinets des juges des enfants, sans aucune obligation pour eux de les clôturer, entraînant des délais de jugement parfois effarants (et Kévin se retrouvait devant le tribunal pour enfants à 21 ans, ayant depuis braqué trois banques et conçu deux enfants). 

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Cette procédure était d’autant plus inadaptée que l’instruction préparatoire est utile lorsque les faits commis sont complexes. Heureusement, c’est rarement le cas des dossiers impliquant des mineurs, dont la délinquance se caractérise par son amateurisme et une propension surprenante à la reconnaissance des faits (la conviction de n’être pas ou peu sanctionné alliée à la tendance naturelle du jeune de 13 à 17 ans à la provocation n’étant probablement pas étrangère à cette dernière caractéristique). Une information judiciaire pour un vol de scooter ou un trafic de stupéfiants d’une journée, c’est un peu comme écraser une noix avec un rouleau compresseur : chronophage, coûteux, inutile et in fine ridicule.

La fameuse césure

Face à ce constat, le code de justice pénale des mineurs a principalement eu pour objet d’aligner le mode de jugement des mineurs sur celui des majeurs, avec une convocation de Kévin directement devant la juridiction de jugement (juge des enfants ou tribunal pour enfants), sans passer par la zone d’attente de l’instruction préparatoire. Cependant, l’idée de mettre à l’épreuve le mineur est demeurée, afin de lui permettre de s’amender une fois placé dans un cadre éducatif considéré comme adéquat : c’est la césure.

Notre Kévin commet un nouveau cambriolage (les mineurs manquent d’imagination) le 24 février 2025. Il est placé en garde-à-vue. À l’issue, il est convoqué une première fois pour que le juge statue sur sa culpabilité, dans un délai de trois mois donc aux alentours du 24 mai 2025. Puis s’ouvre une période de « mise à l’épreuve éducative » durant laquelle Kévin est placé sous surveillance judiciaire : concrètement, il a rendez-vous avec des éducateurs, doit aller à l’école et ne pas recommencer. S’il peut connecter deux neurones et réfléchir sur les faits, c’est bien aussi, mais c’est le niveau du dessus. À l’issue de cette période, limitée à 6 à 9 mois en théorie, fin 2025-début 2026 donc, Kévin reviendra devant le juge qui statuera sur la sanction (peine ou mesure éducative) qu’il convient de lui infliger, en fonction du parcours qui aura été le sien pendant cette période. De la première convocation au jugement sur la sanction, le délai maximum de la procédure est donc d’un an (si le délai est dépassé, il ne se passe… rien. Il ne faudrait pas non plus brusquer les tribunaux pour enfants).

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Bilan : les délais de jugement ont objectivement été réduits par la césure du procès pénal. Néanmoins, a été conservé le principe selon lequel les mineurs doivent être punis pour les infractions commises après une période de mise à l’épreuve. Si cette logique peut s’entendre pour les mineurs primo-délinquants, ayant des bases éducatives et adhérant à un suivi, le fait d’attendre plusieurs mois pour sanctionner des mineurs ancrés dans la délinquance, ultra-violents ou ayant commis des faits graves questionne sur l’efficacité du processus. Pendant son année de « surveillance », Kévin aura en effet probablement commis deux ou trois autres cambriolages, reçu deux ou trois autres convocations et finalement diversifié son activité dans la vente de cocaïne, bien plus rentable et bien moins risquée.

Un délai bien trop long

En effet, si les professionnels de justice ne s’émeuvent plus d’un délai de jugement moyen de 9 mois compte tenu de ceux observés dans certaines juridictions, il n’est pas satisfaisant d’apporter une réponse pénale à un acte délictueux près d’un an après l’infraction, que son auteur soit majeur ou mineur. Lorsque le délinquant est mineur, l’absurde s’ajoute à l’inadéquat : quel adulte responsable peut penser de bonne foi que punir un enfant 9 mois plus tard pour un acte répréhensible a le moindre sens pour lui ? Quelle dimension pédagogique peut bien avoir une réaction aussi tardive ? 9 mois plus tard, le mineur a – parfois de bonne foi – complètement oublié son geste et surtout a eu quinze fois le temps de faire pire, aucune limite n’ayant été fermement et sérieusement posée. Dans ces conditions, nous ne pouvons que constater que le CJPM a pérennisé un principe néfaste à la prévention de la récidive des mineurs délinquants : il ne sert à rien de constater que le délai a diminué alors que le principe devrait être l’absence de délai. Si suivi il doit y avoir, suivi il y aura après le prononcé d’une peine qui permettra une sanction si elle n’est pas respectée. 

En résumé : pour sauver Kévin, pas de « tu seras privé de télé… dans 9 mois ». 

RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI

NOTRE PROPOSITION POUR EN SORTIR :

  • Supprimer la césure pour prononcer une sanction rapidement après les faits et mettre le mineur à l’épreuve dans le cadre d’une peine 

La semaine prochaine, épisode 2 : « Il faut une comparution immédiate pour les mineurs »

  1. Ceci est une dédicace à notre actuel garde des Sceaux, en référence à son analyse de la jeunesse délinquante ayant sévi au moment des émeutes de l’été 2023. Les Kévin, on vous aime. ↩

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