Jean-Marie Rouart: la justice à l’épreuve des mots
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Dans son nouveau livre, l’Académicien s’engage pour une justice plus humaine

Depuis quelques livres, que nous avons eu plaisir à lire, comme Mes révoltes (2022), Jean-Marie Rouart, sans renoncer bien sûr au roman, a opté de manière intermittente pour la veine autobiographique, distillant ainsi au fil de la plume les souvenirs d’une carrière d’écrivain qui fut riche et intense. Chemin faisant, le lecteur de Rouart se rend compte que le journalisme a été (il l’est moins aujourd’hui) une activité, et même une passion, très importante pour lui. Avant de diriger, comme on s’en souvient, le Figaro littéraire, Rouart s’occupait de ce qui touchait à la justice. Il repérait déjà les affaires intéressantes, et n’hésitait pas à rédiger des articles quasiment « militants ». Ainsi, longtemps avant de prendre la défense du jardinier marocain Omar Raddad, il intervenait en juin 1969 pour soutenir Gabrielle Russier, cette enseignante amoureuse d’un de ses élèves. Déjà, Jean-Marie Rouart était révolté contre l’injustice, au point même de heurter la morale rigoriste de ses supérieurs hiérarchiques, et de devoir démissionner du Figaro.
La réflexion de toute une vie
Aujourd’hui, il consacre un livre tout entier, Drôle de justice,à cette question. Il y a rassemblé les réflexions de toute de sa vie : « loin d’avoir, écrit-il, connu la justice sous une forme platonique, je l’avais approchée de près comme journaliste, et même de plus près encore comme inculpé et condamné dans une fameuse affaire judiciaire, celle d’Omar Raddad ». Rouart possède une légitimité indiscutable à entrer dans le vif du sujet. Il raconte brut de décoffrage ce qu’il a observé. Il revient également, ce qui ne manque pas d’intérêt, sur ses rencontres, traçant des portraits piquants et insolites, comme celui de l’avocat Jacques Vergès, dont il écrit : « Anticonformiste, anarchiste, il comprenait que le désordre était une aspiration légitime à bouleverser un ordre toujours, pour lui, fondé sur l’injustice. » Au passage, Rouart nous décrit le Jean d’Ormesson qu’il a connu au Figaro à une époque lointaine, et qui était déjà tel qu’en lui-même, c’est-à-dire sceptique et épicurien : « il m’enviait une liberté vis-à-vis de la société que l’homme du monde en lui, modelé dans une tradition aristocratique de discrétion, ne s’accordait pas ». En une demi-phrase, tout est dit.
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L’apport de la littérature
Point fort de cet essai : Jean-Marie Rouart n’oublie jamais la littérature, où il a puisé la meilleure partie de son savoir. Par conséquent, cet intérêt pour la justice et la manière dont elle est rendue par les hommes lui vient avant tout des livres. Il s’attache, dans Drôle de justice, à creuser cette idée : « Les liaisons secrètes qui existent entre la littérature et la justice n’ont cessé de me troubler. » Rouart choisit de nombreux exemples, en particulier celui de Tolstoï, auteur d’un roman essentiel, Résurrection, qu’on lit certes moins que Guerre et Paix. Rouart reprend à son compte la conviction de Tolstoï, qui fut aussi celle de bien des écrivains, à savoir une permanence de « la part de responsabilité de la société dans le crime ». On parle de justice là où, souvent, c’est l’injustice qui se manifeste par des voies tortueuses. Rouart indique donc le rôle de révélateur de la littérature, dans cette prise de conscience : « Ce que montre la littérature, constate Rouart, c’est qu’avant de parvenir devant un tribunal, la société a déjà jugé ceux qu’elle veut perdre. » Comment ne pas lui donner raison, dans le droit fil d’un chef-d’œuvre comme Résurrection ? Certes, Jean-Marie Rouart, en optant pour cette défense et illustration de la littérature, paraîtra peut-être bien isolé, en des temps où les lecteurs ne se bousculent plus pour lire Résurrection.
Une œuvre dramatique inédite
Dans une deuxième partie de son livre, Jean-Marie Rouart nous présente une pièce de théâtre inédite qu’il a écrite pour conforter sa critique de ce qu’il appelle cette « drôle de justice ». C’est une tragi-comédie en trois actes, écrite avec rigueur et sans effets de style, qui a pour personnage principal un vieux magistrat. L’ambition littéraire de Jean-Marie Rouart, dans cet « apologue », est de montrer, comme il le dit, « la vérité toute nue ». N’est-ce pas ce que l’on poursuit lorsqu’on cherche à rendre la justice ?
On appréciera, dans ce livre de Jean-Marie Rouart sur la justice comme il la voit, la diversité des approches, au service d’un propos jamais dogmatique, mais très convaincant, car très humain. Le bon sens est privilégié, de même que la juste mesure des solutions à apporter. Rouart rappelle que la justice est affaire, non seulement de droit positif, mais aussi de culture. Et donc éventuellement, dans le monde judéo-chrétien, de compassion. Tout ceci se retrouve dans les grands livres que nous avons reçus en héritage, annonce Jean-Marie Rouart. C’est en ce sens que son message mérite d’être entendu à la fois du législateur, du juge et du citoyen, dans le but d’édifier peut-être un jour, grâce à une grande réforme, une justice moins arbitraire.
Jean-Marie Rouart, Drôle de justice, essai suivi d’une pièce en trois actes. Éd. Albin Michel, 173 pages.
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