Il y a le ciel, le soleil et la mer
Les photographies de Didier Ben Loulou nous offrent un autre visage de ces côtes méditerranéennes meurtries par les guerres. Son dernier recueil Seaside aux éditions la Table Ronde aborde des rivages ombrés et tempétueux. Les nuages se confondent avec la terre, s’agit-il alors d’une Atlantide disparue ou de la germination d’un monde nouveau ? L’article Il y a le ciel, le soleil et la mer est apparu en premier sur Causeur.

Les photographies de Didier Ben Loulou nous offrent un autre visage de ces côtes méditerranéennes meurtries par les guerres. Son dernier recueil Seaside aux éditions la Table Ronde aborde des rivages ombrés et tempétueux. Les nuages se confondent avec la terre, s’agit-il alors d’une Atlantide disparue ou de la germination d’un monde nouveau ?
On attend la sortie des albums du photographe Didier Ben Loulou comme la promesse de voir enfin autre chose, d’approcher d’autres décors, de regarder ces terres fracturées par l’Histoire d’un œil non pas neuf mais sans aprioris. Sans réflexes. Sans mauvaises habitudes. Sans pitié mal placée. Sans exégèse. Seulement dans l’âpreté et la beauté radicale de leur effritement.
Leur régénérescence se niche dans leur effacement, c’est l’un des grands paradoxes de ces pays morcelés. Ben Loulou officie dans une région du monde où le fracas des images orchestré par la télévision notamment, leur répétition et leur violence, nous empêche de poser raisonnablement et sereinement nos yeux sur l’eau et la pierre en fusion. Plus qu’ailleurs, les éléments naturels prennent à cet endroit précis de la planète une configuration tantôt émouvante, tantôt inquiétante, comme si ce chaudron en perpétuelle ébullition nous disait quelque chose sur le sens de notre humanité. Est-ce la fin ou le début de l’Histoire ? Ben Loulou dépollue notre vision par un art poétique dans Seaside aux éditions la Table Ronde. Il parle même « d’expérience poétique ». « J’ai souvent longé cette frontière entre ciel et terre dans l’espoir d’aboutir à ce qu’il faut bien nommer une expérience poétique » écrit-il dans sa courte préface. Il nous rappelle que depuis longtemps, il « chemine aux abords de la Méditerranée » et qu’il arpente « la côte israélienne de la frontière de Gaza à celle du Liban ». Il n’y a rien de plus difficile que d’expliquer le travail d’un photographe au risque de le cataloguer dans un registre, de l’enfermer dans nos propres certitudes. Chez Ben Loulou, le voyeur n’est jamais instrumentalisé, saisi par la virulence d’une image artificielle, comprimé dans une pensée unique ; au contraire, sa photographie agit lentement mais profondément. Elle est ressac et onde. Cette maturation qui ne brusque pas, qui ne fige pas est la différence entre un véritable artiste et un « bon faiseur » de la photo. On ne se sépare jamais d’un recueil de Ben Loulou, on y puise au gré de nos humeurs ou des moments de notre vie, une sorte d’ancrage. Nous savons que dans notre bibliothèque, il y a quelque part, des photos qui sont à la fois un port d’attache et une méditation sur notre place dans l’existence. Un grand photographe nous ouvre d’autres portes sur une réalité méconnue, nous indique un autre chemin dans les méandres de la géopolitique. Ben Loulou pourrait s’appesantir sur la souffrance, sur les âmes brulées, sur tout ce qui sépare et rejette, il a choisi une autre voie, celle du creuset, à la manière d’un vulcanologue, il se jette dans le cratère de ces bords de mer.
A lire aussi, du même auteur: Qui se souvient de l’affaire Fualdès?
Que voit-on ? Une atmosphère en gestation, hésitant entre la noirceur des nuages qui enflent dans le ciel et l’eau qui vient taper sur les plages. Sommes-nous à Athènes ou à Carthage ? Aux prémices d’un changement ou à l’apogée d’un cycle d’or, quelque chose va se produire alors que tout semble faussement éteint. Le génie artistique de Ben Loulou est dans sa composition, dans sa peinture quasi-rupestre ; le ciel bleu nuit, instable, balayé par les vents répond à la pierre ferme, à la matière brute qu’elle soit un morceau d’habitation, un mur famélique ou une relique déconstruite. Un état sauvage, premier, qui aurait bizarrement eu une longue histoire, qui aurait connu d’autres civilisations, Ben Loulou capture cette frise chronologique arrachée aux racines des peuples. Il est un maître du dépouillement, preuve de sa grande technicité, il évoque charnellement les choses simples de la vie : des herbes folles, un fil électrique, une décharge, des traces de pneu dans le sable, des peaux collées, une chevelure, un fruit ouvert ou des barques renversées. Parfois, dans un nuancier ténébreux, une lumière éclate, elle irradie plutôt, c’est la rougeur d’une pastèque ou des tissus de chiffonniers posés à même le sol, on se croirait dans les bains de teinture marocains. Ben Loulou est le photographe du renouveau caché.
Seaside de Didier Ben Loulou – la table ronde
80 pages
L’article Il y a le ciel, le soleil et la mer est apparu en premier sur Causeur.