Formation professionnelle : bilan mitigé pour le plan d’investissement des compétences

En 2017, le Plan d’investissement des compétences (PIC) avait pour intention de transformer en profondeur le système de formation en France. Le bilan, en 2025, est mitigé.

Avr 8, 2025 - 16:19
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Formation professionnelle : bilan mitigé pour le plan d’investissement des compétences
La Locomotive a davantage permis de proposer des accompagnements sociaux et des parcours individualisés aux publics, qu’une réelle orientation dans des formations qualifiantes ou certifiantes. Matej Kastelic/Shutterstock

En 2017, le Plan d’investissement des compétences (PIC) avait pour intention de transformer en profondeur le système de formation en France, tout en réussissant l’insertion professionnelle des citoyens éloignés de l’emploi. Le bilan en 2025 est mitigé. Étude de cas avec le projet la Locomotive, en Maine-et-Loire et en Alsace, auprès de 2 000 personnes sans emploi, accompagnées pendant dix mois.


En 2017, la ministre du travail Muriel Pénicaud appelle de ses vœux à l’édification d’une société de compétences, afin « d’armer nos concitoyens » face aux défis de l’évolution du marché du travail. Lancé en 2018, le Plan d’investissement dans les compétences (PIC) vise à former, dans toute la France, un million de jeunes éloignés du monde du travail et un million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés. Issu du rapport de Jean Pisani-Ferry, il ambitionne de répondre aux demandes des métiers en tension, d’anticiper les besoins en compétences associés aux transitions écologique et numérique.

Ce plan, par l’accompagnement de publics très hétérogènes, vise à agir auprès des personnes « les plus vulnérables ». L’objectif pour le ministère du travail : favoriser leur « inclusion » par l’expérimentation de « nouvelles approches de remobilisation, de développement et de valorisation des compétences de ces publics ». Avec près de 13,8 milliards d’euros de budget, il est piloté par le ministère du travail pour une durée de cinq ans. Structurés en plusieurs axes d’intervention, une grande part des fonds sont alloués à une intervention à l’échelle régionale et à différents dispositifs nationaux, ainsi qu’à des appels à projets expérimentaux nationaux.

Au terme du plan, le bilan est mitigé et critique. C’est ce que relève la Cour des comptes dans son rapport d’évaluation du PIC, publié en janvier 2025.

Un bilan critique

Le constat de la Cour des comptes est cinglant. Elle considère que le PIC n’a pas atteint ses objectifs, car « la société de compétences a été laissée de côté ».

« L’entrée centrée sur la formation et les compétences des publics peu ou pas diplômés a laissé place à une approche plus sociale et globalisante visant les publics éloignés de l’emploi. »


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Les travaux de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) confirment eux aussi ce constat. Ils mettent en exergue que les projets régionaux financés ont rencontré des difficultés de double nature : à la fois liées au « sourcing » dans les formations proposées et aux freins sociaux des publics accompagnés, limitant leur entrée en formation.

L’expérimentation de la Locomotive

L’évaluation de l’une des expérimentations du Plan d’investissement dans les compétences (PIC) montre également les enjeux et limites rencontrés localement par les porteurs de projets.

La Locomotive est lauréate de l’appel à projet 100 % Inclusion. Ce projet est déployé en Maine-et-Loire et en Alsace. Il est porté par un consortium de 33 structures – principalement des associations –, issues des champs de l’emploi-insertion et de l’animation sociale. Il a pour finalité d’accompagner socialement et professionnellement 2 000 personnes sans emploi pendant dix mois.

Le profil de ces personnes est hétérogène : en situation d’isolement, ne recourant pas à leurs droits, citoyens, ne bénéficiant d’aucun accompagnement socioprofessionnel, jeunes à la recherche d’un projet professionnel, etc. Les accompagnements réalisés représentent un « espace-temps » de socialisation et d’entraide pour réinvestir un collectif et retrouver un rythme au quotidien. De facto, les temps collectifs se concentrent en partie sur les freins à l’emploi en complément de rendez-vous individuel avec un professionnel référent.

Accompagnement social davantage que professionnel

Dans le cadre de son financement, la Locomotive est soumise à une évaluation en partie liée aux taux d’insertion professionnelle – 500 personnes – ou d’entrée en formation des publics – 200 personnes. Ces objectifs ont été menés à terme.

Cependant, les acteurs professionnels font part de la complexité qu’entraînent les enjeux d’évaluation spécifique à ce programme. Lesquels ? L’insertion professionnelle des publics à court terme – parcours de dix mois – et l’accompagnent des publics dont l’employabilité ne semble envisageable qu’à moyen, voire long terme, au regard des difficultés rencontrées.

Ces enjeux font écho au constat dressé par la Cour des comptes relative à l’approche sociale du PIC. La Locomotive a davantage permis de proposer des accompagnements sociaux et des parcours individualisés aux publics, qu’une réelle orientation, voire un engagement, dans des actions de formations qualifiantes ou certifiantes des publics.

Challenger France Travail, CAP Emploi et les missions locales

Au travers du PIC, l’État a eu la volonté d’ouvrir le champ d’intervention de l’insertion professionnelle à de nouvelles structures.

L’idée est de faire émerger de nouvelles pratiques d’accompagnement innovantes des personnes éloignées du marché du travail. Il s’agissait en creux de « challenger les trois opérateurs historiques des politiques d’aide à l’insertion professionnelle », c’est-à-dire France Travail, CAP Emploi et les missions locales.

Les structures participant à la Locomotive sont intervenues dans les territoires d’actions en addition à l’existant. Les antennes locales de France Travail et de CAP Emploi n’ont pas été impliquées dans les actions mises en œuvre. En agissant en « additionnalité », il a été nécessaire aux acteurs impliqués d’agir sans entrer en concurrence avec les opérateurs du service public de l’emploi et les dispositifs préexistants. Conclusion : les accompagnements réalisés sont devenus plus complexes. Le consortium a également peiné à mobiliser et intégrer au projet le tissu et les acteurs économiques locaux pourtant en demande de main-d’œuvre.

Limites des appels à projet

La dimension expérimentale du PIC a révélé plusieurs limites. Premièrement, les financements temporaires ont engendré une vision à court terme du projet, limitant ainsi l’engagement de certaines structures. La majorité d’entre elles ont recruté des professionnels en contrat à durée déterminée (CDD) pour l’accompagnement, entraînant une rotation importante des personnels. Cette précarité a eu des répercussions sur les accompagnements, qui nécessitent une présence durable des intervenants pour établir une relation de confiance avec les personnes accompagnées.

Deuxièmement, à la fin de l’expérimentation, les personnes accompagnées ne bénéficient plus du projet et de ses actions sur les territoires. La logique du PIC, basée en partie sur des appels à projets, oblige les structures de la Locomotive à anticiper la fin des financements. Elles doivent rechercher de nouveaux appels à projets auxquels candidater pour pérenniser les actions. Les structures associatives sont donc en constante recherche de financements, ce qui peut fragiliser leur capacité à inscrire leurs actions dans le temps long et de manière plus durable au sein des territoires.

Ce dernier constat fait écho aux conclusions du rapport du Conseil économique social et environnemental (Cese) sur le financement des associations en 2024. La baisse de la part des subventions, la hausse des commandes publiques et les appels à projets poussent les associations à avoir un système de gestion court-termisme entraînant une double conséquence : dénaturation et perte de sens de leur action.The Conversation

Lisa Colombier est doctorante à l'Université de Strasbourg, ayant reçu des financements de la Caisse des dépôts dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences.

Aurélien Martineau est géographe, chercheur associé et membre de l'UMR CNRS ESO-Angers 6590, ayant reçu des financements de la part de la Caisse des dépôts dans le cadre du Plan d'Investissement dans les Compétences.